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La France peut-elle encore tenir longtemps ?

par Claude Sicard
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Vous avez été plusieurs à réagir sur la fiche de lecture du livre d’Agnès Verdier Molinier, soit directement sur le site, soit vers moi. Je recueille au maximum et tenterai de répondre un peu plus globalement. En attendant et en parallèle, Claude Sicard, une de nos meilleures têtes, avait lui aussi préparé une analyse du livre qui me paraît bien complémentaire à toutes nos réflexions. Je vous la livre et rendez-vous pour essayer de dégager des conclusions : quoi faire ? Quand ? Comment ? Dans quel ordre ?… Le débat est ouvert.
Yves Buchsenschutz

La France, avec la crise du coronavirus, apparait soudain à bien des observateurs sous un jour nouveau. Son système sanitaire que l’on pensait être l’un des plus solides du monde s’est révélé complètement défaillant, et l’on s’est aperçu que le pays ayant perdu des pans entiers de son tissu industriel est devenu très dépendant de l’étranger pour un très grand nombre de produits, y compris pour des biens essentiels comme les médicaments ou les matériels médicaux sophistiqués dont ont besoin les hôpitaux pour sauver des vies.
Cette prise de conscience que font les Français de l’état préoccupant dans lequel se trouve leur pays, ébranle leur confiance dans leurs dirigeants et leur fait douter de leur avenir. C’est donc face à ces interrogations que se place Agnès Verdier Molinié, la directrice de l’IFRAP, qui vient de faire paraitre un ouvrage coup de poing, très bien documenté, qu’elle a intitulé « La France peut-elle tenir encore longtemps ? », chez Albin Michel.

On connait bien cette pertinente analyste des problèmes économiques de notre pays qui dirige l’iFRAP, un think-tank qui a été créé par Bernard Zimmern en 1985, avec pour mission de procéder en permanence à l’évaluation des politiques publiques, et qui est aujourd’hui une fondation. Agnès Verdier Molinié mène avec une constance tout à fait louable un combat contre l’immobilisme de nos dirigeants, et Valérie Pécresse la qualifie ainsi, avec une certaine connivence, de « Jiminy Cricket » au service de la cause des idées libérales. Dans son nouvel ouvrage elle dénonce les maux qui affectent notre économie : beaucoup trop de dépenses publiques, une trop grande emprise de l’Etat sur l’économie, un Parlement aux ordres de la majorité, et un endettement du pays qui devient alarmant. Le combat qu’elle mène avec vaillance dérange les cercles du pouvoir et, ainsi, a-t-on vu par exemple Amélie de Montchalin, première vice-présidente du groupe La REM à l’Assemblée nationale, déverser sur elle des propos fielleux, disant, par exemple, qu’« elle pollue le débat public avec des idées simplifiées ». Agnès Verdier Molinié ne s’en émeut pas et reste indomptable. Elle est, incontestablement, la figure de proue de la nouvelle vague du libéralisme en France.

L’ouvrage d’Agnès Verdier Molinié est donc le bienvenu dans la situation actuelle, et il vient étayer les diagnostics qu’elle avait présentés antérieurement, dans deux ouvrages traitant des maux dont souffre notre pays : « On va dans le mur », paru en 2015, et « En marche vers l’immobilisme », paru en 2018.

Le diagnostic :

Agnès Verdier Molinié prend pour point de départ de la réflexion qu’elle propose la situation d’endettement de la France. Le pays, depuis une quarantaine d’années, ne cesse de faire augmenter sa dette extérieure, et cela est devenu extrêmement préoccupant. C’est ce que montre le tableau suivant :

Dette publique de la France (en % du PIB)
1980 20,0 %
1990 38,0 %
2000 60,0 %
2010 81,6 %
2019 100,1 %
2020 117,5%
2021 122,3 %

La crise de la Covid 19 est venue malencontreusement aggraver la situation, faisant bondir de 20 % d’un coup, en un an, l’endettement du pays. On voit bien, avec ces données, que cette dette est structurelle : elle croît inexorablement, et dans la dernière période elle a augmenté de 60 à 80 milliards d’euros chaque année. Il est bien évident que cela ne peut continuer ainsi, indéfiniment. Agnès Verdier Molinié s’en alarme, et nous dit : « La France est piégée par sa dette ». Elle estime que « ce n’est pas la croissance qui fera baisser mécaniquement dans les prochaines années, la dette » : la croissance de notre économie ne sera qu’extrêmement modérée, en effet, dans les années qui viennent, et il faut donc agir, car nous dit cet auteur « ce n’est pas juste des impôts supplémentaires (qui nous attendent), mais la misère et la ruine pour tous, si nous ne réagissons pas ».

A quoi est due cette dette ? A des dépenses publiques inconsidérées que l’Etat se révèle incapable de réduire, des dépenses qui sont anormalement élevées, et qui ne cessent de croître. Agnès Verdier Molinié accuse nos gouvernements successifs de ne pas s’en inquiéter suffisamment, disant : « Les politiques n’ont visiblement pas tellement envie de regarder les enjeux en face ». Les taux sont, certes, extrêmement bas, voire négatifs, et il suffit donc de « faire rouler la dette » c’est-à-dire emprunter chaque année les montants nécessaires pour rembourser ce qui est venu à échéance. Mais cela peut très bien ne pas durer. Aussi parle-t-elle d’une « course aux abymes » (page 44), et elle avertit, au passage, les épargnants, leur disant que l’Etat pourrait bien être amené un jour à bloquer les fonds d’assurance vie (page 48). Ces dépenses publiques sont anormalement élevées en raison de dépenses sociales considérables (« un pognon de dingue » aurait dit, un jour, en réunion, Emmanuel Macron). Agnès Verdier Molinié rappelle que nous en sommes maintenant à 31,5 % du PIB, en matière de dépenses sociales, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est à 20,1 % du PIB seulement. Elle s’insurge donc contre la gabegie, et explique : « Nous cumulons plus de 200 aides et prestations différentes répondant à 80 modes de calcul différents ». Elle propose donc de mettre en place une allocation sociale unique, en fusionnant les guichets et la cinquantaine de prestations non contributives qui existent. Et elle rappelle qu’il faut sans plus attendre s’attaquer sérieusement à la fraude aux prestations sociales qu’elle chiffre à au moins 20 milliards d’euros par an.

Ce qui aggrave la situation, nous dit Agnès Verdier Molinié, c’est que la Parlement ne joue pas son rôle de contrôle de l’exécutif : il vote trop souvent « à l’aveuglette », et elle déplore que le pouvoir du Parlement soit « grignoté de tous les côtés » (p.146). Quant à la nouvelle pratique de notre Président consistant à tirer au sort des citoyens pour « rechercher de nouvelles idées », elle en rajoute à la confusion générale. Agnès Verdier Moligné ne manque pas de s’en indigner disant : « dans un pays qui va mal comme la France on confie des sujets stratégiques à des personnes tirées au sort » !

Autre élément du diagnostic : la très grave désindustrialisation de la France. Notre industrie, nous dit Agnès Verdier Molinié, ne représente plus que 10,2 % du PIB (chiffre de 2016) : entre 2000 et 2017, la France a perdu, en moyenne, 58.000 emplois industriels par an. Elle intitule d’ailleurs l’un de ses chapitres : « Sauver ce qui reste de notre industrie », et elle rappelle que cette fonte du secteur industriel est la cause des déficits importants de notre balance commerciale : il va s’agir de pas moins de 68 milliards d’euros en 2021.
Agnès Verdier Molinié, après tous ces constats, nous dit, dans son ouvrage : « L’alerte est lancée », et elle présente, en annexe à son livre, un plan de désendettement sur cinq ans.

Agnès Verdier Molinié formule dans son ouvrage de très nombreuses propositions d’action : il faut, dit-elle « changer la trajectoire du Titanic », et agir encore qu’il en est encore temps.

Les propositions

Les principales propositions de réformes énoncées par Agnès Verdier Molinié sont les suivantes :
1- Remettre la France au travail et revaloriser le travail
Il faut réhabiliter le travail et s’aligner sur les autres pays : la durée du travail
effectué par les salariés français à temps plein figure parmi les plus faibles d’Europe, et le taux d’emploi des actifs est le plus bas de tous les pays de l’UE : 65,5 % contre 75,2 % au Royaume-Uni et 76,7 % en Allemagne.
2- Repousser l’âge de départ en retraite d’au moins deux années.
3- Donner davantage de pouvoirs aux Régions, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé. Pour l’heure, nous n’avons fait que de la déconcentration.
4- Reinidustriliser le pays. En ce domaine un grand nombre de dispositions sont à prendre :
– Reformer le droit du travail pour l’assouplir ;
– Simplifier considérablement les procédures en matière de création de nouvelles
usines ;
– Baisser la fiscalité : réduire d’au moins 25 milliards d’euros la fiscalité de production,
– baisser le taux de l’IS, baisser les cotisations sur le travail de 7,5 milliards d’euros, et alléger le forfait social de 2,5 milliards d’euros ;
– Réduire considérablement la fiscalité sur les successions : les règles actuelles empêchent la
transmission des entreprises aux descendants du créateur, alors qu’en Allemagne les entreprises familiales de taille intermédiaire (les Mittelstand) sont la colonne vertébrale du tissu industriel du pays, et constituent l’un des éléments qui font toute sa force ;
– Se rapprocher du modèle social allemand qui associe davantage les syndicats à la gestion des entreprises ;
– En matière fiscale : flécher le capital vers le risque entrepreneurial.

5- Rationaliser et baisser les dépenses sociales
– Rationaliser la gestion des dépenses sociales ;
– Mettre en place une « allocation sociale unique en fusionnant les guichets » ;
– Mette fin à la fraude sociale.

6- Reduire le train de vie de l’Etat

7- Accélérer dans les diverses administrations la numérisation des services ;

8- Réduire considérablement, dans les emplois publics, le taux de « fonctionnarisation » des
personnels ;

9- Introduire dans la Constitution un frein limitant la possibilité pour l’Etat de s’endetter ;

10- Accroître les pouvoirs du Parlement en matière de contrôle des politiques publiques.

Cet ouvrage d’Agnés Verdier Molinié constitue donc une ébauche très complète des dispositions à prendre pour redresser le pays. Le point crucial nous parait être le problème de la réindustrialisation de la France ,car, comme nous l’avons montré dans d‘autres articles, l’industrie est essentielle pour produire de la richesse dans un pays. Et c’est précisément la régression de ce secteur d’activité qui a amené les pouvoirs publics à accroitre de plus en plus les dépenses sociales, au point qu’elles ont atteint maintenant des sommets. La France est le pays, aujourd’hui, où les dépenses sociales, en proportion du PIB, sont les plus élevées en Europe : elles ont gonflé automatiquement les dépenses publiques, et pour y faire face les gouvernements ont dû accroitre d’année en année la pression fiscale sur le pays, et recourir, en complément, à de l’endettement, les prélèvements obligatoires n’étant jamais suffisants. Ce n’est pas un hasard si notre pays se trouve être celui où simultanément, parmi tous les pays européens, les dépenses sociales sont les plus élevées, le niveau des prélèvements obligatoires le plus haut, l’endettement du pays le plus important, et le taux d’industrialisation le plus faible par rapport au PIB (la Grèce mise à part). Tous ces paramètres ont évolué dans le même sens, très régulièrement, les quatre premiers vers le haut, et le cinquième ,le taux de production industrielle, vers le bas : la variable explicative est manifestement, la baisse régulière, d’année en année, de la contribution de l’industrie à la formation du PIB.

On ne peut donc que conseiller à nos politiciens de se reporter au nouvel ouvrage de la directrice l’iFRAP : l’analyse que fait Agnès Verdier Molinié des maux qui affectent notre pays est excellente, et les recommandations formulées pour éviter au Titanic d’aller au naufrage, tout à fait pertinentes.

 

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3 commentaires

Jean-Luc PEYRET mars 16, 2021 - 8:18 pm

La France peut-elle tenir encore longtemps ?
J’ ai toujours dévoré tous les livres d’ Agnès Verdier Molinié , et suis 150% d’ accord avec elle.

Nous ne pourrons réindustrialiser la France qu’ en baissant les impôts de production , donc en baissant les dépenses de l’ Etat , donc en baissant le nombre de fonctionnaires (et la fraude sociale_Cf. livre de JJ Prats) , et donc le plus grand défi de l’ Etat est de trouver comment recycler dans le secteur concurrentiel le million de fonctionnaires en surplus par rapport à la moyenne de l’ U.E. à 15 ( avec la GB).

Nos fonctionnaires ont en moyenne un niveau de formation supérieure à leurs homologues du privé , mais ils sont plus formatés à transmettre les instructions de leur ministre qu’ à prendre des risques , et ils ne savent travailler qu’ en silo , comme le malheureux recours à Baker
Mc Kenzie pour la logistique de transport du vaccin l’ a honteusement montré….

C’ est le travail d’ une génération et il faut s’ y mettre dès maintenant ! !

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Lucien mars 16, 2021 - 11:26 pm

Agnès Verdier Molinié n’a pas tort!
Agnès Verdier Molinié a raison. Son diagnostic est indiscutable et les remèdes qu’elle recommande parfaitement appropriés.
Reste à trouver les dirigeants honnêtes, clairvoyants et énergiques pour exécuter ce vaste programme avec une main de fer. Et non des élus dont le seul objectif est d’être réélu « ad vitam aeternam ». Il faut donc rajouter à la liste de Madame Verdier Molinié les points suivants :
1. Le Président est élu pour cinq ans pour un seul mandat
2. Les députés sont élus pour cinq ans pour un seul mandat
3. Les sénateurs…..et ainsi de suite
4. Supprimer l’Ecole Nationale d’Administration qui produit les brillants énarques dont la sophistication n’a d’égale que leur nullité d’hommes politiques et éventuellement de gouvernement (voir l’ineffable Le Maire, prototype de l’incompétence et de la suffisance de nos soi-disant élites)

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bruno de Caarbonnieres mars 22, 2021 - 1:55 pm

une réflexion parmi d’autres
Bravo,je ne peux que souscrire à ces propositions, mais comment intégrer les caractéristiques
de notre peuple qui se met quasi systématiquement en travers de toutes réformes!
Merci d’en tenir compte pour valider vos propositions

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