Les flux migratoires qui se déversent sur l’Europe inquiètent très vivement les populations locales qui y voient une menace pour leur sécurité et leur identité. Ces flux ne vont aller qu’en s’amplifiant, la population du continent africain devant doubler d’ici à 2050. Curieusement, les dirigeants européens demeurent figés, s’en remettant aux mécanismes existants d’aide au développement qu’ils ont laborieusement mis en place depuis le traité de Rome. Leur seule initiative a consisté à demander à la Turquie de bloquer les passages des clandestins vers l’Europe, ce que le président turc Receyp Erdogan a accepté de faire, contre rémunération. Mais ce n’est, là, on doit en convenir, qu’un pis aller.
Il va donc falloir entreprendre de traiter ces problèmes de migration en s’attaquant aux racines mêmes du mal : le grave sous-développement de tous ces pays. Et, pour cela, agir au niveau de l’Europe, en réformant complètement nos procédures d’intervention. Cela va demander des moyens considérables, et que l’on opère avec une approche nouvelle de ces problèmes.
L’ Europe consacre aujourd’hui à l’APD (aide publique au développement) environ 60 milliards €, chaque année, et cette aide s’étend à l’ensemble des 79 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Seulement 40 % de cette aide est orientée vers les pays africains, soit 24 milliards € par an. S’agissant essentiellement d’aides bilatérales, les actions sont menées dans le désordre. Le FED, qui est l’instrument d’intervention de l’UE, dispose d’un budget restreint : 30,5 milliards € pour la période 2014-2020. Les procédures actuelles étant inefficaces, il va falloir complètement les modifier en s’inspirant, notamment, de la façon d’opérer des Chinois en Afrique. Ceux-ci agissent par des actions directes : ils réalisent eux-mêmes les grands travaux d’infrastructures, et créent des zones d’activité où s’installent de nouvelles entreprises industrielles, généralement chinoises d’ailleurs. En échange, ils obtiennent des concessions d’exploitation de gisements minéraux ou pétroliers ou de vastes domaines agricoles. Le FMI a reconnu que l’aide chinoise « impacte positivement la croissance des pays africains », ce qui n’est nullement le cas des aides occidentales.
La stratégie à adopter par l’Europe consisterait donc à :
– porter à 100 milliards € par an, soit 0,7 % du PIB de l’UE, notre APD, conformément aux engagements pris en 1960 devant l’ONU, alors que l’on en est à 0,39 % seulement aujourd’hui. Cette aide serait focalisée sur les pays africains, et directement gérée par l’UE, les pays membres renonçant à leurs pratiques actuelles d’aides bilatérales.
– consacrer l’APD de l’Europe exclusivement aux trois objectifs suivants :
. La réalisation d’infrastructures dans les pays aidés ;
. L’alimentation d’un fonds d’assurance des investissements destiné à couvrir des risques politiques des entreprises européennes s’installant en Afrique, à l’image de la MIGA créée par la BIRD à Washington ;
. L’aide à la réinstallation des migrants dans leurs pays d’origine, selon des modalités à définir avec les pays concernés.
L’aide de l’Europe à l’Afrique se trouverait donc multipliée par quatre, et l’on exigerait, en contrepartie, de ces pays qu’ils réintègrent automatiquement chez eux tous leurs migrants.
En procédant de cette manière, l’Europe répondrait pleinement aux attentes de ses peuples qui souhaitent sauvegarder la cohésion de leurs sociétés, et elle s’acquitterait simultanément de ses devoirs moraux en faisant des efforts considérables pour aider ces pays émergents à sortir de leur état de sous- développement. Bien évidemment, les véritables réfugiés continueraient à être accueillis comme précédemment. Et il s’ouvrirait pour nos entreprises des marchés importants.
Claude Sicard
Economiste, consultant international
Article initialement publié dans la revue Valeurs Actuelles