On ne sait pas que Thomas Piketty et d’autres égalitaristes comme Joseph Stiglitz, ont stigmatisé les années 1980 à 2010 en montrant que les inégalités avaient augmenté et que la part des plus riches dans la richesse américaine, mesurée par le revenu ou par le patrimoine, en était le principal responsable.
La plupart des médias se sont indignés en chœur de voir un écart déjà énorme entre les plus pauvres et les plus riches, s’agrandir encore.
Nous ne reprendrons pas ici les réserves que l’on peut formuler sur ces résultats : ils ne tiennent pas compte notamment des transferts sociaux, ou de l’âge des enquêtés, ou de l’immigration massive dont la montée coïncide avec la montée de l’inégalité
Il est incontestable cependant que les plus riches, ceux qui figurent dans le 1%, voire les 3% des plus hauts revenus ont vu leur part dans le revenu total américain augmenter plus vite que pour la moyenne de la population.
Il est aussi incontestable que plus on resserre le champ et que l’on monte du 1% au 0,1%, ou même au 0,01%, l’augmentation de leur part devient plus importante.
Les égalitaristes en déduisent de façon simpliste que plus on est riche, plus on s’enrichit.
Ils ont évité de souligner que leurs chiffres sont des coupes historiques instantanées, et que les riches d’une année ne sont pas les mêmes que ceux de l’année précédente.
Plusieurs statistiques existent, comme celle de l’université du Michigan, le PSID (Panel Study of Income dynamic), où l’on suit 25.000 ménages américains et où l’on voit clairement qu’il est difficile de rester au sommet.
Ces enquêtes sont complétées par les séries de la revue Forbes sur les milliardaires, qui couvrent chaque année les 400 milliardaires américains les plus riches, et l’on voit aussi qu’une grande partie de ceux qui sont dans la liste une année, en sortent rapidement.
Des études ont même été menées pour distinguer ceux des riches qui sont des entrepreneurs et ceux des riches qui sont simplement des salariés ; il en résulte clairement que l’on peut monter du quintile de revenus le plus bas au plus haut en étant entrepreneur mais également tomber du plus haut décile au plus bas d’une enquête à l’autre, alors qu’il est impossible de monter aussi vite ou de descendre aussi vite lorsqu’on est salarié.
La richesse mesurée par les revenus ou les patrimoines est donc intimement associée aux prises de risque de l’entrepreneur et non à la relative sécurité d’une salarié (l’Amérique n’a pas de fonctionnaires dont l’emploi est garanti à vie, comme en France, avec lesquels on pourrait comparer).
C’est pourquoi l’enquête de la Federal Reserve menée tous les trois ans depuis 1983 sur les revenus et les patrimoines des Américains s’avère une mine pour démontrer le rôle des entrepreneurs dans la montée de la richesse des plus riches, car elle identifie avec précision ces entrepreneurs et leur rôle. Cette enquête, le Survey of Consumer Finances, avait déjà donné lieu en 2006 à une étude séminale de Cagetti et De Nardi qui montrait que dans la distribution des revenus, le 1% des revenus les plus élevés était constitué à 67% d’entrepreneurs et que ce pourcentage d’entrepreneurs décline lorsqu’on descend dans l’échelle des revenus.
Il était intéressant de constater que ce 67% est le même 67% trouvé pour les 0,002% les plus riches qui sont les milliardaires.
Une raison de cette coïncidence est qu’il est très difficile d’être dans 1% sans être entrepreneur, c’est-à-dire tirer sa richesse d’une entreprise : si l’on prend dans la série Forbes non seulement les milliardaires qui le sont devenus par leurs entreprises mais aussi ceux qui le sont pour être les enfants de milliardaires, on arrive à 90% des milliardaires de la liste.
Il était alors intéressant de reprendre les variables utilisées par Cagetti et De Nardi dans leur étude de 2006 et de voir si ces entrepreneurs qui se situaient dans le 1% y étaient avant de créer leur entreprise ou y sont entrés en créant leur entreprise.
Il était ensuite intéressant de savoir s’ils avaient créé des emplois, si leur quête de la richesse s’était accompagnée de la création de « jobs », quels investissements ils avaient dû faire pour créer ces jobs et quelle plus-value ils en avaient retirée.
Cette recherche a été facilitée parce que l’enquête comporte plusieurs variables, c’est-à-dire des réponses à des questions qui définissent si l’interviewé a une participation dans une entreprise, s’il y est ou non actif, et enfin s’il a racheté, hérité ou créé.
Il se trouve que l’une des réponses, X3111, qui porte sur le nombre d’emplois de l’entreprise ne paraît pas avoir été exploitée.
Une raison en est qu’il existe des enquêtes sur les entreprises américaines et leurs emplois, mais ces enquêtes, à la différence du Survey of Consumer Finances, ne contiennent pas d’informations financières et ne permettent pas de repérer, pour commencer, les entrepreneurs dont les revenus les situent dans le 1% le plus élevé.
Cette enquête apparaît donc comme une mine inexploitée permettant de lier l’emploi à l’entreprenariat, à la richesse des Américains, d’expliquer l’origine de l’enrichissement apparent des plus riches et de mieux comprendre comment et pourquoi l’économie américaine a créé de 1982 à 2010, 50 millions d’emplois supplémentaires.
(à suivre)