Toute une série de phénomènes sont affectés du syndrome des cliquets : ils ne fonctionnent que dans un sens et ne reviennent jamais en arrière. Ce mécanisme à l’intérêt – ou l’inconvénient – de polluer considérablement l’évaluation des phénomènes. Il brouille la perception tant de la croissance que de la valeur absolue et amène très progressivement, de manière imperceptible… à des décisions insoutenables.
Au 1er septembre 2017, le RSA (revenu de solidarité active) a augmenté exceptionnellement de 1,62% pour représenter désormais 546 euros par mois contre 537 euros depuis le 1er avril, montant qui entérinait l’«inflation» des 12 mois précédents. Il atteint désormais quasiment 50% du SMIC mais pour des personnes qui ne travaillent pas. Il est intéressant de constater que le nouveau gouvernement qui s’est attaqué au coût du travail en France et au poids de l’État, cherchant partout de nouvelles recettes et des économies, entérine sans broncher une mesure qui va pencher du mauvais côté de la balance en termes de rétablissement des comptes, et même entérine l’accélération.
Un autre cliquet qui fonctionne au-delà de toute espérance est celui des voyages « bonifiés » de la SNCF : le ticket à 10% de son prix normal. Accordé comme dans beaucoup de sociétés à l’origine, cette consommation quasi gratuite des produits de l’entreprise s’est étendue progressivement du personnel proprement dit à la famille, puis à la famille élargie, et du cheminot en titre au simple stagiaire. Je sais que des personnes ont traversé la France grâce à un billet bonifié via une de leurs belles-filles, simple stagiaire à la SNCF. Cet avantage, compréhensible au départ, a dérivé au fil du temps : il paraîtrait qu’aujourd’hui, 1 million de personnes en France paient un billet à 10% du tarif normal, alors que les effectifs de la SNCF ne comptent plus que 150 000 personnes. Or, rappelons-le, la dette de la SNCF s’élève à 44 milliards d’euros.
Le point d’indice des fonctionnaires procède d’une logique similaire : gelé de 2010 à 2016 – véritable exploit – il est reparti à la hausse pour des raisons électorales évidentes en 2016 et 2017. Par ailleurs, le point d’indice n’étant qu’une des composantes de calcul du salaire des fonctionnaires, son gel n’a pas empêché les dérapages d’autres éléments (ancienneté, glissement catégoriel, primes…), ayant entrainé une augmentation globale. On ne s’étonnera donc pas de n’avoir jamais entendu évoquer la baisse de ce point d’indice, par exemple dans le cadre de la hausse de la CSG. On entend plutôt dire, mais sans savoir comment, que cette hausse serait compensée : l’alignement du régime public sur le privé démarre mal.
Un autre point intéressant est l’exemption d’impôt sur le revenu (IRPP) par hausse du seuil de perception. Il paraît effectivement raisonnable d’aider ceux de nos concitoyens qui ont du mal à vivre sans recourir au découvert : la devise de notre République inclut bien la « fraternité ». Mais le système des cliquets fait qu’aujourd’hui la dispense d’IRPP a entraîné progressivement pour les bénéficiaires la dispense d’autres impôts (en particuliers locaux) puis s’est mis à déclencher pour eux les différentes aides, HLM, APL, RSA, CMU, loi Dalot, etc., sans compter les aides locales ou communales.
« En même temps », pour reprendre des termes chers à notre nouveau président, nous sommes passés de 50% de bénéficiaires (indigents) à… 57% de la population exemptée purement et simplement. Ceci nous donne la première place sur le podium international en la matière. « En même temps » toujours, Emmanuel Macron va exempter de taxe d’habitation 80% (vous avez bien lu) de la population. Si l’on considère qu’il est délicat, voire injuste, de faire payer les impôts directs par un Français sur deux seulement, on va probablement voir émerger un syndicat des payeurs, lequel pourrait demander à cette occasion le rétablissement d’un suffrage censitaire. Payer pour quelque chose demandé par ceux qui ne paient pas peut également relever de l’injustice, voire de l’incohérence.
Un autre cas intéressant de cliquet est celui des retraités, mais qui fonctionne dans l’autre sens. Si je prends mon exemple personnel, quand j’ai pris ma retraite il y a dix ans, je touchais 65% de mon salaire (ou plus précisément 65% de la moyenne de mes 25 meilleures années). Entre rabots successifs, inflation et hausse d’impôts, je dois être aujourd’hui aux environs de 50%. Entre nouvelle CSG (-1,7%), inflation (-1,2% ?) voire innovations en termes de taxe d’habitation (?), autres modifications diverses (+0,5% ?), je vais probablement passer à 47%. A cette vitesse-là, je serai à zéro dans 20 ans. Je vais réviser mon espérance de vie.
Les études prouveraient qu’en 2017, un retraité est mieux loti qu’un actif et en particulier qu’un jeune… ce qui justifierait la baisse régulière des allocations de retraite. Je n’ai entendu personne faire remarquer qu’un jeune démarre dans la vie avec pas grand-chose (c’était aussi la situation des retraités d’aujourd’hui), alors qu’un retraité, dans beaucoup de cas, a épargné et évolué tout au long de sa vie. Il n’est donc pas étonnant du tout qu’il ait souvent accumulé et réussi à consolider sa situation un peu mieux qu’un actif débutant. Il faut donc faire des comparaisons équitables. Cela rappelle les données de Piketty d’après lesquelles un étudiant américain ayant emprunté 20 000 dollars pour payer ses études est plus pauvre qu’un Bangladeshi n’ayant rien et en particulier pas de dettes.
Plus simplement, les grandes avancées fiscales de l’époque Hollande, qui ont en partie entraîné son désaveu, ne sont non seulement pas remises en cause, mais elles deviennent le socle d’un nouveau cliquet pour ceux qui payent (encore) l’impôt. De même le seuil de 2,5 SMIC (issu du CICE) continue à déterminer la richesse.
Que faire ?
• Reconstruire quelque chose de simple, équilibré, transparent et efficace mais cela demandera de revenir sur des privilèges. C’est vrai, c’est très dur, mais cela marche, tous ceux qui l’ont fait le savent : interrogez un échantillon de directeurs commerciaux qui l’ont fait chez des clients ou de DRH face à des syndicats, ils vous expliqueront.
• Arrêter immédiatement la politique de compensation. Un précédent article explique comment les indemnités de licenciement de la nouvelle loi travail vont en fait coûter plus cher aux patrons que les anciennes afin de compenser son plafonnement auprès des syndicats.
• Abroger les mauvaises lois et revenir aux législations antérieures si elles sont meilleures plutôt que de corriger à tâtons les effets néfastes : une bonne partie de la loi ALUR et des normes handicapés, le traitement de la pénibilité… sont tout simplement à supprimer, avant toute nouvelle reconstruction législative…
• Instaurer un suffrage censitaire : ce n’est que la généralisation du principe pollueur – payeur
Et puis surtout : diminuer les dépenses ! Quand commence-t-on ?
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France : les avantages acquis jamais remis en cause
Bravo et merci à l’auteur de cet article qui démontre et surtout rappelle à point nommé les dérives incessantes des règles au seul profit des éternels quémandeurs de « justice sociale » qui ne seront de toutes les façons jamais satisfaits.
Vous évoquez très à propos les mesures Hollande diverses qui ont tant déçus ses électeurs et lui ont fait perdre sa popularité dans l’opinion. Mais il faudrait identifier précisément qui sont les vrais déçus. Car, aucun président avant Hollande n’a pris autant de décisions démagogiques en faveur des soit disant démunis et autant frappé les soit disant « riches ». En réalité, les gens de gauche devraient porter Hollande au pinacle car lui et ses ministres ont fait tout ce qu’il était possible de faire pour plaire à tous les « sans dents » et autres faux pauvres mais vrais profiteurs du système et qui souhaitent que tout continue comme avant et même progresse encore à leur avantage. Le Président Macron aura fort à faire pour remettre les profiteurs et autres fainéants à leur place.