Les chiffres montrent que l’apprentissage permet de lutter efficacement contre le chômage des jeunes. Or il recule aujourd’hui pour les jeunes les moins qualifiés qui en sont justement davantage victimes. S’il y a des facteurs conjoncturels à ce recul, il n’en reste pas moins que des réformes structurelles peuvent et doivent être menées.
Aujourd’hui près de 2 millions de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni scolarisés, ni en formation[[OCDE, Perspectives de l’emploi, 2012.]]. Ce phénomène n’est pas près de se tarir puisque 200 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification[[Selon le ministre Luc Chatel (Bulletin quotidien, 19 mars 2012, p. 25) : « Entre juin et octobre 2012, 233.129 élèves ont quitté le système scolaire ».]], le chômage des jeunes continue donc d’augmenter, atteignant aujourd’hui plus de 26%.
Cette situation pourtant n’est pas inéluctable : les chiffres montrent que l’apprentissage est un facteur d’insertion efficace pour les jeunes faiblement diplômés. Dans la voie professionnelle, le taux d’insertion dans l’emploi sept mois après l’obtention d’un diplôme (du CAP[[Certificat d’Aptitude Professionnelle, qui donne une qualification d’ouvrier ou d’employé qualifié dans un métier déterminé. Il se prépare en deux ans après la troisième.]] au Baccalauréat) est en effet de 71% via l’apprentissage, contre seulement 51% via l’enseignement professionnel classique[[Dominique Abriac, Roland Rathelot et Ruby Sanchez, « L’apprentissage,entre formation et insertion professionnelle », dossier thématique du rapport Formation et emploi, 2009. En France, l’enseignement professionnel secondaire peut mener à un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP), à un Brevet d’études professionnelles (BEP), ou au Baccalauréat professionnel. C’est un enseignement technique en relation avec le monde de l’entreprise qui permet d’acquérir des connaissances et des compétences dans un domaine professionnel, alors que l’enseignement général est plus scolaire. L’enseignement professionnel a lieu dans des lycées professionnels et des lycées techniques.]].
Pour rappel, un contrat d’apprentissage consiste à alterner des périodes d’enseignement dans un centre de formation d’apprentis et des périodes de travail en entreprise[[C’est également possible dans la fonction publique.]]. L’apprenti correspond aux caractéristiques suivantes :
– Il a entre 16 à 25 ans au plus, sauf dérogations, à la signature du contrat.
– Il prépare un diplôme en une, deux ou trois années selon le métier.
– Il apprend son métier tout en travaillant dans l’entreprise.
– Il doit suivre des cours en centre de formation d’apprentis d’une durée de 400 à 800 heures selon le métier, pendant ses heures de travail.
– Sa rémunération correspond à un pourcentage du SMIC ou du SMC[[Salaire Minimum Conventionnel, qui dépend de la convention collective applicable dans l’entreprise (sauf dispositions réglementaires contraires, le salaire minimum conventionnel ne peut être inférieur au SMIC).]] qui varie en fonction de l’âge et de la durée du contrat.
On devine intuitivement qu’une formation de ce type répond à la fois aux besoins des jeunes et à ceux des entreprises. Elle répond d’une part aux besoins des jeunes qui ne sont pas tous à l’aise avec un enseignement académique à plein temps, en apprenant de manière plus concrète. Elle leur permet aussi de s’approprier les codes de l’entreprise, un facteur important de leur employabilité future, tout en leur apportant un gain financier qui est le fruit légitime et mérité de leur travail. Elle peut d’autre part répondre aux besoins des entreprises : par ce biais, celles-ci ont l’opportunité de former elles mêmes le type de personnel qu’elles recherchent, à un coût supposé être attractif.
Malgré ce tableau positif de l’apprentissage, il est frappant de constater que le nombre d’apprentis n’a que peu évolué ces dernières années. Si la masse des jeunes en apprentissage a régulièrement augmenté depuis 1992, cela provient pour une large part d’une l’augmentation chez les jeunes ayant un niveau scolaire élevé (BTS, Licence, Master), c’est à dire ceux qui sont le moins touchés par le chômage. On assiste par ailleurs à une chute de l’apprentissage pour les niveaux les plus faibles : pour les niveaux CAP[[Cf. note 3]] et BEP[[Le brevet d’études professionnelles (BEP) est une étape dans le cursus du baccalauréat professionnel en trois ans.]], il est passé de 245 000 jeunes en 2000 à 187 000 en 2012.
Évolution comparée du nombre d’apprentis et du taux de chômage en %
Source : Les freins non financiers au développement de l’apprentissage (rapport de quatre Inspections Générales, février 2014).
Si cette baisse est conjoncturelle (ou en tout cas aggravée par la crise de 2008), de nombreuses réformes pourraient néanmoins être faites au niveau structurel. En termes quantitatifs, la comparaison avec les Allemands montre qu’il existe en France une large marge de progression : le taux d’apprentis dans la population jeune est de seulement 5% en France contre 16% en Allemagne. Cela n’est pas sans lien avec un taux de chômage des jeunes de seulement 8% outre-Rhin contre 26% chez nous.
Face à cette persistance d’un faible taux d’apprentis en France, la classe politique parait d’autant plus coupable que l’apprentissage est vu favorablement par une majorité écrasante de Français. D’après un sondage récent[[Sondage CSA de février 2014 commandé par l’Institut Montaigne.]], l’apprentissage est vu par 89% des Français comme une mesure efficace pour lutter contre le chômage des jeunes[[Personnes âgées de 15 ans ou plus.]]. Alors que le gouvernement s’obstine à vouloir mettre en œuvre les contrats d’avenir[[Emplois aidés, contractés essentiellement dans le public.]], 85% des Français font davantage confiance à un soutien des formations de type apprentissage. 93% pensent que le gouvernement devrait augmenter son soutien aux entreprises qui recrutent des apprentis.
Si des efforts ont été faits en termes des ressources financières, force est de constater que la solution ne réside pas stricto sensu dans les milliards dépensés, qui peuvent parfois alimenter surtout le millefeuille administratif. L’effort financier total[[Aides aux employeurs, financement des Centres de Formations des Apprentis et rémunérations versées aux apprentis.]] a ainsi cru de 56% entre 2004 et 2010, pour une augmentation de seulement 16% du nombre d’apprentis[[Cf. note de l’Institut Montaigne : Une nouvelle ambition pour l’apprentissage : 10 propositions concrète, p.3.]]. Le succès viendra donc d’abord d’un dispositif plus lisible et plus incitatif pour les entreprises. Contrairement à l’Allemagne et au Royaume-Uni – où les entreprises sont considérées comme les pièces maitresses du dispositif – l’apprentissage en France est encore pour l’essentiel dans le giron de l’Éducation Nationale. Il est par ailleurs d’une grande complexité administrative et il présente un coût finalement assez élevé pour l’entreprise. Ce sont ces différents points que nous approfondirons dans un prochain article.