Michel Barnier vient de faire son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, et il a présenté son plan d’action. Il tient en cinq points :
- Niveau de vie ;
- Des services publics de qualité ;
- La sécurité au quotidien ;
- La maîtrise de l’immigration ;
- La Fraternité.
Ce plan d’action correspond bien aux attentes des Français, telles que nous les révèlent les sondages, mais, curieusement, rien n’est prévu pour redresser notre économie.
Or, c’est pour notre pays une nécessité vitale, car nous sommes parvenus au terme d’un processus conduisant à recourir chaque année à la dette pour faire fonctionner notre économie. Nous nous trouvons donc dans une période de grande incertitude : notre dette est considérable, dépassant même le montant du PIB, le service la dette est en passe de devenir le poste le plus important du budget de la nation, et les autorités de Bruxelles nous rappellent à l’ordre, nous contraignant à respecter, dorénavant, à la lettre, les règles de fonctionnement de notre zone monétaire. Il est donc temps d’examiner comment nos voisins procèdent pour avoir des économies prospères et dynamiques, alors que nous n’y parvenons pas ; et le pays qui réalise les meilleures performances est précisément à nos portes, se situant à la lisière de nos frontières. Il s’agit de la Suisse, un pays dont l’une des langues, d’ailleurs, est le français ! Nous ferions donc bien de nous inspirer de sa manière de faire fonctionner son économie.
La Suisse est un pays qui a aujourd’hui l’un des PIB per capita les plus élevés d’Europe, alors qu’au XVIIe siècle les jeunes montagnards suisses devaient s’expatrier pour se mettre au service, comme mercenaires, des divers princes d’Europe.
Le décollage économique de ce pays s’est fait avec la Réforme protestante en Europe qui a poussé bon nombre de protestants italiens et français à venir s’installer en Suisse. Il faut donc voir comment ce pays a procédé pour acquérir la prospérité étonnante qui est la sienne aujourd’hui.
Certes, la France n’a nullement pour habitude de copier les autres pays. Elle a été, pendant des siècles, le pays le plus puissant d’Europe, et elle est, de plus, « le pays des Lumières ». Des auteurs comme Descartes, Pascal, Voltaire, Rousseau, ou Montesquieu, ont éclairé le monde, et Diderot et d’Alembert ont été, au XVIIIe siècle, les auteurs de « L’Encyclopédie », une œuvre monumentale qui s’est proposé de présenter en 17 volumes une synthèse de tous les savoirs de l’époque. Tout se passe donc comme si ce passé prestigieux conduisait à ce que l’âme secrète de la France soit de nature à montrer la voie aux autres pays.
Le qualificatif de « Pays des Lumières » aura nui, finalement, à la France : il l’a enfermée dans un orgueil démesuré. Ainsi, la France a-t-elle, aujourd’hui, l’économie qui se trouve être la moins performante d’Europe sans que ses dirigeants n’aient, à aucun moment, pris le soin d’examiner quels sont les éléments qui font que plusieurs autres pays, pourtant tout proches, réussissent beaucoup mieux qu’elle : ils se refusent à faire ce que dans le monde de l’entreprise on appelle du « Benchmarking». Cela consisterait à analyser comment s’y prennent d’autres pays pour avoir d’excellentes performances, afin d’en tirer des leçons pour soi. Un article des Échos en date du 12 janvier 1993 encourage les entreprises à faire du Benchmarking, leur disant : « Copier, c’est gagner ». Et, comme nous venons de le rappeler, la France n’a pas l’habitude de copier : elle veut montrer la voie !
Deux sociologies différentes
Dans les processus économiques les éléments sociologiques jouent un rôle déterminant. Karl Polanyi, un économiste-anthropologue austro-hongrois, nous dit dans « La grande transformation » ( Gallimard, 1983 ) qu’il n’y a pas de relations économiques sans relations sociales. Dans notre pays, la sociologie du monde du travail a été forgée par l’orientation qu’a pris le mouvement syndical au Congrès d’Amiens, en 1906 : c’est lors de ce congrès qu’a été élaborée ce qui s’est appelé « La Charte d’Amiens ». On a eu, ainsi, dans notre pays, un syndicalisme à caractère révolutionnaire, et nos chefs d’entreprise ont été entravés dans leurs actions par l’hostilité des syndicats ; et ils se sont trouvés soumis à un Code du travail très lourd et dissuasif, et cela a beaucoup bridé leur dynamisme.
En Allemagne, la collaboration des syndicats avec la Sozialdemokratie a permis de déboucher sur la cogestion des entreprises, et, en Suisse, elle a conduit, en 1937, à un accord avec le patronat qui s’est appelé « La paix du travail », un accord stipulant que les conflits du travail se régleraient dorénavant par des négociations et non plus par des grèves ou des lock-out. En France, avec un syndicalisme qui a la charte d’Amiens dans son ADN, on en resté à la lutte des classes. C’est la motion de Victor Griffuelhes, en effet, qui triompha au congrès d’Amiens, donnant au syndicalisme pour rôle de transformer la société par l’expropriation capitaliste : cette motion, adoptée à la quasi-unanimité, stipulait que le syndicalisme doit agir directement, en toute indépendance des partis politiques, se suffisant à lui-même avec comme moyen d’action la grève générale.
En France et en Suisse, on n’a donc pas la même notion de l’intérêt général : les Suisses veulent que leur pays progresse sur le plan économique dans l’ordre, intelligemment, et c’est ainsi, par exemple, que dans une votation, en 2012, sur un projet portant à 6 semaines les congés payés des salariés, la population a rejeté cette disposition par 65 % des voix, considérant qu’elle était contraire à l’intérêt général. D’importants pouvoirs sont dévolus aux cantons et aux communes en matière de dépenses et de recettes, et ce système fédéral, plus la pratique de la démocratie directe, conduit à pouvoir maintenir les dépenses publiques à un niveau faible : on en est à 39,6 % du PIB, alors qu’en France il s’agit maintenant de 57,0 % !
Un économie qui a des performances étonnantes.
L’économie suisse se distingue par une croissance stable, un taux de chômage très faible, un excédent structurel de la balance commerciale, et un écosystème de R&D performant ; et c’est un pays dont le système éducatif fournit d’excellents résultats.
Le PIB per capita des Suisses est actuellement de 93.515 US$, contre 46.315 US$ dans le cas de la France, et on voit que dans la période 1980-2021 il a été multiplié par 4,8, alors que dans le cas de la France le multiplicateur n’a été que de 3,2. Aussi les salaires sont-ils très élevés en Suisse :
Salaire moyen |
France…………43.755 US$ |
Suisse………… 62.283 US$ |
L’enquête du « World Economic Forum » sur la compétitivité des pays, indiquait, pour l’année 2019, que la Suisse se trouvait en position n°5, alors que la France venait seulement en position n°15, les deux pays en tête étant Singapour et les États-Unis..
Dernier élément, enfin, d’appréciation : la dette extérieure du pays :
Dette extérieure (en % du PIB) |
(Année 2023) |
France………………110,6 % |
Suisse……………… 38,3 % |
Il existe en Suisse un « frein à l’endettement» : cette disposition est entrée en vigueur en 2003. Par une votation populaire il a été instauré un mécanisme d’équilibre obligatoire des finances publiques sur un cycle conjoncturel, c’est à dire sur une période de 3 ou 4 années.
Les facteurs de réussite :
Nous avons mentionné, plus haut, la qualité du climat social : la Suisse est un pays où il n’y a jamais de grève. Il s’y rajoute un certain nombre d’autres éléments qui méritent réflexion.
a) L’État intervient peu dans la gestion des entreprises
La Suisse est un pays libéral, et l’État intervient très peu, laissant les agents contracter librement. Ainsi le code du travail est-il très léger. Un employeur peut rompre un contrat de travail sans donner au salarié une explication : il suffit qu’il respecte la loi. Les délais de rupture d’un contrat de travail sont les suivants : un mois la première année, deux mois ensuite jusqu’à 10 ans, et trois mois au-delà. Et il n’y a pas d’indemnité à verser, sauf dispositions particulières prévues dans certaines conventions collectives.
b) Importance du travail
Le tableau ci-dessous illustre l’importance du facteur travail dans le succès de l’économie suisse :
Comparaison France-Pays nordiques -Suisse
France | Allemagne | Danemark | Suisse | |
Taux de pop. active | 46,7 % | 53,4 % | 53,0 % | 55,7 % |
Durée vie active | 35,6 ans | 38,4 ans | 36,9 ans | 42,4 ans |
Heures travail/an | 1.490 h | 1.850 h | 1.750 h | 1.831 h |
Durée hebdo. travail | 35 h | 37 h | 37 h | 45-50 h |
On voit qu’il manque à la France, comparativement à la Suisse, environ 6 millions de personnes au travail, ce qui ferait un PIB majoré de 584 milliards d’euros si ces personnes étaient dans la vie active : actuellement elles se trouvent en charge de la collectivité (5.112.700 personnes sont inscrites à « France-Travail », l’ancien Pôle-Emploi). De même, le PIB de la France se trouve amputé des différences importantes existant avec les autres pays dans le nombre des heures travaillées par an: 1831 h/an dans le cas de la Suisse et 1.490 h seulement dans le cas de la France.
c) Importance de la production industrielle
L’industrie est le secteur d’activité clé pour assurer la richesse d’un pays, comme le montre le graphique ci-dessous :
On voit que le coefficient de corrélation est excellent. Une augmentation de 10% de la production industrielle accroît de 9 % le PIB/capita.
Et l’Institut des Libertés Charles-Gave, un institut suisse, a montré par un graphique très parlant le rôle majeur qu’a joué l’industrie dans la progression du PIB de la Suisse dans la période 1980-2021:
Curieusement, cette corrélation a complètement échappé aux dirigeants français qui, après la période faste des Trente Glorieuses, ont considéré, en faisant une mauvaise interprétation de la loi des trois secteurs de l’économie qu’avait énoncée Jean Fourastié dans « Le grand espoir du XXe siècle », qu’il était naturel qu’un pays en se modernisant en vienne à ne plus être constitué que par des activités de service. Ils n’ont pas vu que dans une économie développée le secteur industriel continue à exister, avec, certes, moins de personnels mais toujours la même valeur ajoutée, ceci par les effets d’une productivité qui augmente rapidement dans le secteur industriel. Ils ont donc pris le parti de reporter sur les pays en voie de développement, qui ont une main-d’œuvre abondante et bon marché, les activités industrielles, sans réaliser que la désindustrialisation est un phénomène qui appauvrit un pays et réduit ses capacités d’action sur le plan international.
On voit, sur la corrélation que nous avons présentée plus haut, que la France avec une production industrielle faible de 6.970 dollars/ habitant en est à un PIB/capita de 46.315 dollars ; l’Allemagne, avec 13.228 dollars en est à 52.745 dollars, et la Suisse, avec une production industrielle très importante de 23.068 dollars/habitant a un PIB/capita de 93.515 dollars. Le secteur industriel suisse est à forte valeur ajoutée : produits pharmaceutiques de haute gamme, mécanique de précision, ascenseurs, horlogerie de luxe, etc….Et grâce à ces productions industrielles la balance commerciale du pays est chaque année positive.
d) Importance des dépenses de R&D
Les dépenses de Recherche-Développement sont importantes en Suisse, comme l’indique le tableau ci-dessous :
Dépenses de R&D (en % du PIB) |
France…………..2,2 % |
Suisse………….. 3,0 % |
Mais pour procéder véritablement à une comparaison il faut calculer ces dépenses per capita : on voit qu’il s’agit de 979 US dollars par habitant dans le cas de la France, et de 3.027 dollars dans celui de la Suisse, c’est-à-dire trois fois plus.
e) Importance des investissements étrangers
La Suisse, par sa neutralité politique et sa fiscalité, attire aisément les investissements étrangers. Aussi, le stock d’IDE (Investissements directs étrangers) existant dans ce pays est-il très important :
Stock d’IDE ( en % du PIB) |
France………… 32,0 % |
Suisse…………128,4 % |
Les IDE, notamment ceux qui se traduisent par des investissements dans le secteur industriel, sont très précieux pour un pays : ils complètent avantageusement les capacités d’investissement des agents locaux, et contribuent au renforcent de l’économie du pays qui les accueille.
La Suisse : un pays qui a sa propre monnaie et où les habitants sont heureux de leur sort
La Suisse, du fait de la bonne structure de son économie et du dynamisme de celle-ci, a sa propre monnaie, et le franc suisse (CHF) est une monnaie solide. Elle n’a pas eu besoin de se fondre dans l’Europe, comme on y a contraint les Français aujourd’hui, étant soucieuse de conserver la maîtrise de son destin. Et les Helvètes sont tout à fait satisfaits de leur sort, comme le montre le dernier « World Happiness Report » où l’on voit que ce pays se situe en 9e position, bien devant la France qui se place au 27e rang seulement, le pays en tête dans ce classement mondial étant la Finlande.
François Garçon, un spécialiste de la Suisse, dans un article sur Atlantico en date de janvier 2023, no us dit : « La comparaison entre la France et la Suisse est bien cruelle ».Et on remarquera que le cas de la Suisse infirme la thèse qu’on nous rabâche constamment, qui voudrait que dans le monde actuel, face à des colosses économiques comme les États-Unis et la Chine, un pays de dimension limitée doit, pour survivre, obligatoirement se fondre dans un ensemble beaucoup plus vaste. En 1992, la Suisse a dit non à l’Espace Économique Européen (EEE) : le professeur Fabio Wasserfallen, spécialiste de politique européenne à l’Université de Berne, nous dit : « La Suisse est trop riche et trop stable pour vouloir adhérer à l’UE ». Elle veut conserver sa souveraineté, sa neutralité, sa structure fédéraliste, et la démocratie directe. Elle a sa propre armée, avec une quarantaine d’avions de combat, des missiles GEM-T, plusieurs unités de tir Patriot, etc. On la voit mal se plier aux oukases de la Commission de Bruxelles qui émanent de hauts fonctionnaires, des personnes qui, aux yeux des Suisses, ont une autorité artificielle car elles ne sont pas issues du suffrage universel. La Suisse est un État démocratique qui a opté pour une économie libérale, et elle nous démontre qu’elle sait être très prospère. Et l’on voit qu’avec sa structure fédérale elle maîtrise parfaitement ses dépenses publiques, ce qui lui permet d’être un pays peu endetté.
2 commentaires
CHUICHE : YAPAFOTO ! Franche, sans culotte au malpropre et au défiguré !
La Suisse a longtemps été très pauvre et les Suisses émigraient ou faisaient des prestations à l’étranger (mercenaires). Le père de mon beau-père est arrivé pied nu de suisse et a été garçon de café.
Le problème : comment procéder par quel premier pas ?
Certains proposent une vraie décentralisation… libérant et responsabilisant les régions et les communes et leurs citoyens électeurs.
Selon Raul MagniBerton, cela serait possible par un tout petit changement d’une loi de 2014… https://www.puf.com/liberons-nos-communes page 130 …