Telle est la question. Il a été élu pour réformer la France et la majorité des Français se cabrent, à présent. La manifestation des gilets jaunes du 17 novembre en est l’expression la plus récente. Sa quote de popularité est très basse : 25% de satisfaits, nous disent les instituts de sondage, et 18%, seulement, dans la tranche des 35 à 54 ans (Institut Yougov). Avec un tel handicap et l’étiquette de « Président des riches » qui lui a été accolée, il va lui être très difficile de conduire à son terme son train de réformes, ou du moins celles-ci ne vont-elles pas revêtir toute l’ampleur nécessaire.
Emmanuel Macron se heurte à bien plus de difficultés qu’il ne l’avait imaginé. Ceci, pour trois raisons fondamentales. Première raison : il n’a pas pu indiquer à la nation, en tout début de mandat, la situation difficile dans laquelle se trouve l’Economie de notre pays, vraisemblablement afin de ne pas dégrader l’image de la France dans le monde. Cela eut permis à la population de comprendre la politique de réformes qui allait être menée. Seconde raison : il a une connaissance très imparfaite, semble-t-il, de la culture du peuple français, un peuple qui a été profondément imbibé par la doctrine de Karl Marx et sa vision de l’histoire. Il en est resté à l’esprit frondeur des « Gaulois », n’ayant pas connu, du fait de son jeune âge, la période d’après-guerre où même le général de Gaulle fut contraint, pour gouverner, de composer avec les communistes. Troisième raison : il a pris, pour lancer son train de réformes, le problème à l’envers.
La situation réelle de l’Economie française
Il faut bien voir dans quelle situation se trouve notre Economie. Le PIB de la France croît moins vite que celui des autres pays européens, le taux de chômage est en permanence très élevé, et le pays s’endette, chaque année, un peu plus. Il faut en saisir les raisons.
Première cause : Notre taux de population active est beaucoup plus faible que celui des autres pays. Il s’agit du nombre de personnes qui travaillent, par rapport à la population totale du pays : 43,6%, contre, par exemple, 52,4% en Allemagne, et 53,3% aux Pays-Bas. Autre constat : le temps de travail annuel est beaucoup plus court qu’ailleurs : 1.482 h/an, contre 1.766, en moyenne dans les pays de l’OCDE. En Corée du Sud il est de 2.113 heures. Et, phénomène aggravant, le nombre de jours perdus pour des raisons de grève est considérable : 139 j pour 1.000 actifs, par exemple dans la période 2005-2013, contre 16 j en Allemagne, et 9 j seulement aux Etats-Unis.
Seconde cause : Notre secteur industriel a fondu de moitié depuis la fin des Trente Glorieuses. L’industrie ne participe plus que pour 10% à la formation du PIB, alors que la norme européenne est à 20%. En Allemagne, il s’agit de 23%.
Le graphique ci-dessous montre la relation existant entre la production industrielle (calculée en US dollars par habitant) dans différents pays, et les PIB/capita de ces pays :
Prod.indus/tête | PIB/tête | |
Inde | 508 | 1939 |
Brésil | 1818 | 9821 |
Grèce | 2323 | 18613 |
Turquie | 3100 | 10500 |
Chili | 4611 | 15346 |
France | 6889 | 38476 |
Espagne | 6975 | 28156 |
Italie | 6985 | 31953 |
UE | 7181 | 33716 |
GB | 7378 | 39720 |
Finlande | 10980 | 45703 |
DK | 11093 | 56307 |
Suède | 11820 | 53442 |
Allemagne | 12262 | 44469 |
Australie | 12358 | 53799 |
Suisse | 20198 | 80189 |
La production industrielle ressort comme étant le facteur explicatif clé de la richesse des pays. Avec une production industrielle relativement faible de 6.689 US $/habitant la France a un PIB/tête de seulement 38.476 US$. Beaucoup de pays en Europe sont bien au-dessus : l’Allemagne par exemple avec 12.262 US $/habitant de production industrielle avec un PIB/tête de 44.469 US $
Devant l’affaissement de la production industrielle, les gouvernements successifs ont été amenés à compenser par des dépenses publiques de plus en plus importantes les effets dévastateurs de la déficience de l’industrie. Cela s’est fait tout naturellement sous la poussée de l’opinion publique, comme cela est habituel en démocratie. Les dépenses publiques ont ainsi crû régulièrement, chaque année, à un rythme bien supérieur à celui du PIB. En 2017, elles ont représenté 56,4% du PIB, la France devenant ainsi le pays où en proportion du PIB elles sont les plus importantes en Europe. La moyenne de l’UE est à 47,0 % seulement.
Nous avons calculé, par une approche économétrique simple, que nos dépenses publiques sont excessives de 245 milliards €, par rapport aux autres pays. Et, dans les dépenses publiques, les dépenses sociales représentent le poste le plus important : 58,8 % de l’ensemble.
Ce phénomène de dépenses sociales importantes se constate dans les pays où la machine économique ne produit pas suffisamment de richesses. Plus la part de la production industrielle est élevée dans le PIB des pays, moins les budgets de dépenses sociales sont importants, comme le montre le graphique ci après :
Grèce | 14.8 % | 25.0 % |
France | 17.4 % | 31.5 % |
GB | 18.6 % | 22.0 % |
Portugal | 19.4 % | 24.0 % |
N.Zelande | 20.2 % | 19.0 % |
Suède | 22.1 % | 20.0 % |
Australie | 23.0 % | 18.0 % |
Suisse | 25.2 % | 19.0 % |
Allemagne | 27.6 % | 24.0 % |
Pologne | 27.9 % | 19.5 % |
Turquie | 29.2 % | 17.0 % |
Chili | 30.0 % | 11.0 % |
Corée sud | 35.9 % | 10.0 % |
La France se trouve au-dessus de la droite de régression : ce supplément de revenus dans le PIB/tête est fourni par les dépenses publiques qui sont à un niveau record en France : nous avons rappelé, plus haut, que l’excès de nos dépenses publiques, par rapport aux autres pays, se monte à 245 milliards € !
La corrélation n’est, certes, pas parfaite, car un certain nombre d’autres éléments interviennent, mais elle existe. Pour financer ces dépenses publiques qui sont exorbitantes, les gouvernements, en France, ont exercé sur le pays une pression fiscale croissante, qui est devenue finalement bien supérieure à ce qu’elle est partout ailleurs : 47,6% du PIB à présent, alors que l’on en était à 33% seulement, par exemple, en 1974. Les entreprises sont victimes, malheureusement, de cette fiscalité excessive, alors qu’elles auraient dû être épargnées afin de pouvoir demeurer compétitives. Une étude de l’Institut Coe-Rexecode a montré qu’en 2016 l’écart des charges fiscales pesant sur nos entreprises par rapport aux entreprises allemandes s’est monté à 71 milliards €.
Pour faire face à ces dépenses élevées, les prélèvements obligatoires n’étant jamais suffisants, l’Etat s’endette un peu plus, chaque année, et la dette du pays en est venue à atteindre, maintenant, 100% du PIB. C’est, là un seuil que les économistes considèrent comme dangereux de franchir. Dans la zone euro, ce seuil a d’ailleurs été fixé plus bas, par prudence, à 60%, et notre pays ne respecte donc pas cette obligation, ce qui lui est en permanence reproché par ses partenaires.
Telle est donc, à grand traits, la situation très difficile dans laquelle Emmanuel Macron trouve notre Economie. Pour la rétablir dans ses grands équilibres, il faudrait créer 5,4 millions d’emplois, réduire les dépenses publiques de 245 milliards €, et cesser d’accroître la dette de la France. Une tâche donc tout à fait monumentale, d’autant qu’il va falloir cesser d’accroître la dette du pays.
Une connaissance imparfaite de la culture du peuple de France
Les Français n’aiment pas les riches, et ils ont une passion pour l’égalité. Lucien Jaume, spécialiste de Thomas Hobbes, nous dit que les Français sont davantage attachés à l’égalité qu’à la liberté. Le marxisme a profondément marqué les esprits, en France. Il y avait eu antérieurement, d’ailleurs, il faut le rappeler, Proudhon qui avait déclaré : « La propriété, c’est le vol », et les Saint-simoniens qui avaient dénoncé « l’exploitation de l’homme par l’homme ». En 1906, la Confédération Générale du Travail, dans sa « Charte d’Amiens », a inscrit la lutte contre le capitalisme dans ses objectifs, et cette charte a été l’ADN des syndicats français pendant tout le XXe siècle. Emmanuel Macron, qui s’est affiché comme un adepte du libéralisme économique, se voit donc reprocher par une large partie de l’opinion de mener une « politique antisociale ». Jean-Michel Delacomptée, dans un article récent dans le Figaro nous dit : « Emmanuel Macron a de la France une perception intellectuelle : les réalités du peuple lui restent extérieures. Ce n’est pas de sa faute : son corps d’origine, l’Inspection des finances, est une caste ».
On peut donc s’interroger pour savoir si c’est par une politique libérale qu’il faut redresser l’économie française, ou bien par une politique dirigiste ? Une enquête IFOP, de Mai 2014, nous dit que 56% des Français pensent que l’Etat doit intervenir davantage dans la vie économique. Jean-Louis Beffa, ancien président de Saint-Gobain, a pris parti : il préconise d’en revenir au Colbertisme. Dans son ouvrage « La France doit choisir » paru en 2012, il explique que la France pendant les Trente Glorieuses a connu un réel essor économique avec son modèle « commercial-industriel », un modèle où l’Etat intervient fortement. Elle a opté, ensuite, pour le modèle anglo-saxon que Jean-Louis Beffa qualifie de « libéral financier », et, sur le plan économique, elle a alors décliné. Il conseille donc d’en revenir au modèle français, et il prêche pour un « néo-colbertisme », un modèle où l’Etat, redevenu stratège, jouerait un rôle important en recourant aux technologies les plus avancées.
Le fonds culturel de la population n’est donc pas vraiment en faveur du libéralisme économique : il est vu comme un système qui fait surgir beaucoup de riches et crée de profondes inégalités. On se souvient qu’Alexandre Soljenitsyne avait dit : « Les hommes ne sont pas dotés des mêmes capacités : s’ils sont libres, ils ne sont pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres ». Françoise Mélonio, directrice des études à Sciences-Po, nous dit dans un rapport du CEVIPOF datant de 2016 que seulement un tiers des Français sont libéraux, au sens économique. Et elle formule la remarque suivante : « Il est vrai que nous sommes héritiers d’une tradition qui pense que la vie économique doit être encadrée par le politique : les Français se méfient du marché. La tradition anglo-saxonne est très différente : Frédéric Bastiat a été très peu écouté, malgré son talent ».
Emmanuel Macron a pris, pour lancer son train de réformes, le problème à l’envers
Emmanuel Macron qui se voit étiqueté, journellement, du qualificatif de « Président des riches » va avoir les plus grandes difficultés à relancer notre machine économique. Avec sa réforme prématurée de l’ISF, il a pris le problème à l’envers. Cette réforme conçue pour inciter les détenteurs de capitaux à investir dans de nouvelles entreprises est venue trop tôt, car les conditions pour que se mettent en route de nombreux business-angels n’étaient pas réunies. Il eut fallu, en premier lieu, procéder à de très profondes reformes fiscales afin que les personnes disposant de capitaux soient incitées à prendre des risques, et, simultanément, réformer très profondément le code du travail, en s’inspirant, par exemple, du droit du travail de la Suisse.
Cette étiquette de « Président des riches » va entraver considérablement ses possibilités d’action.
Emmanuel Macron va-t-il donc parvenir à redresser l’Economie française ? Le pari reste ouvert.
Claude Sicard
Economiste
3 commentaires
Causalité
Est-ce l’affaissement de la production industrielle qui a conduit l’Etat à compenser par des dépenses publiques ou est-ce au contraire l’excès de dépenses publiques qui a étouffé l’économie et provoqué l’affaissement de la production industrielle? Il faut bien comprendre la causalité si on veut agir pour redresser la situation.
le profil du sieur Micron relève plus de la neuropsychiatrie . . .
. . . que de la conduite des affaires d’un pays tel que le nôtre , de quelque façon que ce soit.
Qu’est-ce que le RSI ? Deux catastrophes, trois problèmes, une solution .
Qu’est-ce que le RSI ? Deux catastrophes, trois problèmes, une solution :
https://reseauinternational.net/quest-ce-que-le-rsi-deux-catastrophes-trois-problemes-une-solution/