Depuis le « Grenelle de l’Environnement », la France s’est engagée démocratiquement dans une perspective mondiale de lutte contre le réchauffement climatique, symbolisée par les « Accords de Paris sur le Climat ».
L’énergie étant vitale pour l’activité économique, cet enjeu implique une transformation en profondeur de l’économie, sous-tendue par un effort financier considérable, avec une évaluation de l’externalité négative des rejets dans l’atmosphère de Gaz à Effet de Serre, pour le secteur de l’énergie, à un prix de la tonne de CO2 évitée de l’ordre de 150 à 300 €, selon les secteurs d’activité et l’efficacité des solutions mises en œuvre.
Sans remettre en cause l’objectif à terme de décarbonation de l’économie, il faut considérer avec prudence la terminologie de « l’urgence climatique », car vouloir aller trop vite et trop brutalement présente le risque d’être très destructeur en termes de PIB, de compétitivité, et d’emplois industriels, alors que les émissions françaises représentent moins de 1 % des émissions mondiales, et que les pays émergents, légitimement, ne veulent pas sacrifier leur développement.
Alors que la Chine, émettrice de plus de 30 % du CO2 dans le Monde, a repoussé en 2060, lors de la COP 26 son horizon de neutralité carbone (tout en continuant à ouvrir des mines et à construire des centrales électriques au charbon), et que l’Inde suit le même chemin (2070), l’échéance de 2050 pour atteindre la neutralité carbone en France et en Europe est utile en termes de vision.
Mais sa faisabilité reste soumise à la capacité humaine, technologique et industrielle des Etats membres pour mettre en œuvre les solutions alternatives aux énergies fossiles, sans sacrifier leur industrie et tomber dans le déclin et la dépendance aux importations en provenance des pays asiatiques, la crise du Covid servant à cet égard de signal d’alarme…
En France, le rythme de la transition énergétique dépend principalement de la capacité du pays à renouveler et développer son parc nucléaire, principalement sur les sites existants.
A titre d’exemple, l’interdiction des véhicules thermiques neufs que veut imposer la Commission UE à l’horizon 2035 (et que les constructeurs prennent pour argent comptant) présente un risque existentiel pour l’industrie automobile européenne : voir déclaration de C Tavares « La voiture électrique menace l’ordre social ». Surtout quand on importe des batteries et des véhicules électriques fabriqués en Chine avec un contenu en C02 très important (8 tonnes pour une batterie de ZOE), sans aucune taxe à l’importation, et même une subvention de 6.000 € financée par nos impôts !
Malheureusement l’Union Européenne (UE), guidée par les verts allemands, est très dogmatique dans ce domaine, et de plus, mise tout sur des solutions qui ne peuvent être suffisantes (éolien, solaire, véhicule électrique à batterie), tout en étant très réticente sur le nucléaire, comme en témoigne le débat sur la taxonomie verte, qui semble heureusement s’orienter vers une solution pragmatique.
C’est regrettable, car une transition énergétique construite de façon pragmatique dans la durée, avec un temps d’adaptation suffisant, peut permettre de supprimer notre dépendance au pétrole et partiellement au gaz (avec une très bonne indépendance énergétique), et de favoriser à la fois la balance commerciale, la réindustrialisation de l’économie et l’emploi, avec des métiers enthousiasmants pour les jeunes générations.
Et la France ne manque pas d’atouts pour réussir, si l’on veut bien arrêter de les détruire à petit feu, comme c’est le cas depuis 2012 (fragilisation et tentative de démantèlement d’EDF, bradage d’Alstom Energie à GE, tentative de bradage d’Alstom ferroviaire à Siemens, fermeture de Fessenheim) :
– un taux d’indépendance énergétique supérieur à 50 % (grâce aux parcs hydraulique et nucléaire construits après la guerre et pour répondre au choc pétrolier de 1973) ;
– une économie déjà décarbonée à plus de 40 %, alors que la plupart des pays dans le monde dépendent des énergies fossiles à plus de 85 % ;
– de grands groupes industriels (EDF, Total Energies, ENGIE, Air Liquide, Alstom ferroviaire, Stellantis, Renault, Faurecia, Michelin, etc.)
Les grands axes d’une politique énergétique positive pour la France
+Un premier étage visant à l’amélioration de l’efficacité énergétique et des économies d’énergie, comportant 2 mesures phare :+
1. Plan fret ferroviaire pour viser en 2030 un doublement à 18 % de la part modale de transport de marchandises, puis visant 1/3 du trafic à l’horizon 2050, permettant à cet horizon de déplacer 60 TWh de consommation de carburants (12 % du total) de la route vers le rail. Avec les autres leviers (fluvial, ferroviaire voyageurs, consommation unitaire des véhicules, covoiturage, vélo, …) l’ambition est d’économiser à cet horizon 20 % des besoins en carburant, sans entraver l’activité économique, ni les déplacements des Français. Bien sûr, cela ne se fera pas qu’avec la seule SNCF, mais un plan structuré, présenté par des industriels réunis dans l’Alliance pour le Fret Ferroviaire du Futur (4F), représentant 15 Md€ d’investissements, a été mis sur la table en 2020.
2. Plan de rénovation thermique des bâtiments (logements et tertiaire) visant une élimination en 20 ans des « passoires thermiques » (classes énergétiques E, F et G), soit 33 % des logements et 40 % des surfaces de locaux tertiaires, qui représentent plus de 50 % de la consommation de chauffage. Le but est d’économiser 35 à 40 % des besoins de chauffage de ces bâtiments (en démolissant les plus vétustes), soit une économie globale de 20 % des besoins d’énergie pour le chauffage (100 TWh), tout en améliorant le confort des habitants et en diminuant sensiblement leur facture d’énergie.
+Un deuxième étage visant une décarbonation des usages au moyen de sources d’énergies renouvelables thermiques (non électriques), car il est illusoire de vouloir décarboner « tout électrique ».+
Principaux leviers :
1. Poursuite du développement des biocarburants (en prenant en compte la compatibilité avec la production agricole alimentaire), avec une utilisation ciblée sur le super bioéthanol (E85) pour des véhicules hybrides rechargeables, et en décarbonant rapidement de façon durable le secteur agriculture et pêche, sans changement d’outil de travail, en mettant à sa disposition le biogazole d’ores et déjà disponible, au lieu de le mélanger au gazole d’origine fossile.
2. Développement du carburant gaz naturel véhicule (GNV) avec de la production de biométhane à partir d’effluents d’élevage et de déchets organiques, en affectant son usage aux transports lourds et aux navires transocéaniques (porte-containers, paquebots, …). Au-delà, la production de biométhane injectée dans les réseaux de distribution de gaz permettra de « verdir » en partie le gaz, qui pourra continuer à offrir des solutions performantes pour le chauffage des bâtiments (associé à des pompes à chaleur), et pour certains process industriels.
3. Développement de l’utilisation de la biomasse (bois énergie) dans le chauffage des bâtiments, dans les maisons individuelles et via le développement de réseaux de chaleur alimentés en biomasse. L’utilisation de foyers fermés performants et peu onéreux, souvent en chauffage d’appoint pour les périodes froides, permet une utilisation beaucoup plus efficace qu’actuellement.
4. Le remplacement des chaudières fuel chauffant près de 4 millions de logements dans les 10 prochaines années par des pompes à chaleur (PAC) électriques, avec de la biomasse en appoint, est également un gisement d’énergie thermique renouvelable : pour 1 kWh d’électricité, la PAC permet d’extraire de l’environnement (eau ou air) 2,5 kWh de chaleur « gratuite ».
+Un troisième étage visant une décarbonation par l’électrification des usages, en partie via le vecteur hydrogène bas carbone.+
C’est un enjeu considérable, qui demandera d’augmenter de plus de 60 % la production d’électricité (déjà décarbonée par ailleurs en France) :
1. Plan de renouvellement et de développement du parc nucléaire (40 EPR2 à construire d’ici 2050, et 50 à terme) à la même échelle que celui déployé à la suite du choc pétrolier de 1973, ce qui nécessite l’engagement de ressources (financières, matérielles et humaines) considérables, et une volonté politique très puissante et durable. L’outil principal, EDF, ne doit pas être démantelé ni privatisé, ni renationalisé : une possibilité est de créer une filiale nucléaire régulée dédiée (à l’instar de RTE et d’ENEDIS pour les réseaux), avec un mode de financement des investissements similaires (sans argent public, mais avec la garantie de l’Etat), et une mise à disposition de la production en priorité pour les besoins nationaux à un prix régulé par la CRE.
2. Plan de développement de la production et de l’utilisation de l’hydrogène bas-carbone, pour décarboner des usages spécifiques dans l’industrie lourde et les transports. La production d’hydrogène bas-carbone (4 Mt en 2050, soit 136 TWh), s’appuiera sur des électrolyseurs décentralisés au niveau des parcs éoliens, des électrolyseurs haut rendement utilisant la chaleur fatale de grands sites industriels ou de centrales nucléaires, et sur un équipement en capture du CO2 au niveau de quelques grands sites industriels utilisant le méthane comme matière première. Ce plan comportera un investissement pour installer prioritairement un réseau de stations de distribution H2 (1.000 dès 2025, 2.500 en 2030), afin d’en démocratiser l’usage, au-delà des flottes dédiées et des transports lourds, aux véhicules routiers pour les longues distances. L’utilisation des batteries pour les véhicules sera recentrée sur les trajets quotidiens (80 % du kilométrage parcouru), y compris pour les véhicules disposant d’une pile à combustible ou d’un moteur thermique E85, qui seront donc hybrides. Les véhicules électriques à batterie de forte capacité et les bornes de recharge ultra rapides ne feront plus l’objet de subventions d’argent public.
3. Développement renforcé du solaire photovoltaïque : équipement des toitures de bâtiments et d’ombrières de parkings avec autoconsommation, et de grands parcs au sol, en évitant toute déforestation ou aliénation de terrains agricoles, et en visant une puissance installée de 85 GW en 2050 (100 TWh de production).
4. Le développement de l’éolien terrestre, indispensable pour disposer de l’électricité nécessaire pour produire l’hydrogène bas-carbone en complément de l’électricité nucléaire, sera poursuivi à un rythme ralenti, pour permettre son insertion dans l’environnement avec l’accord des populations, représentées par leurs élus locaux, qui auront également à se prononcer sur la rénovation des parcs arrivant en fin de contrat (500 éoliennes par an). Le développement de l’éolien maritime fera l’objet d’un moratoire, avant lancement de la construction de parcs, au-delà de celui en voie de finition devant Saint-Nazaire (donc y compris celui de Saint-Brieuc), pour évaluer son potentiel réel le long du littoral français et son impact sur la sauvegarde des espèces animales et l’activité de la pêche. Les 4 sites pilotes d’éolien flottant permettront d’évaluer son intérêt économique.
Pour mettre en œuvre cette politique de transition énergétique, une action internationale vigoureuse et déterminée sera indispensable
1. Refonte au sein de l’UE du système de fixation du prix du carbone pour les produits industriels et la production d’électricité, en donnant une visibilité long terme pour les acteurs : objectif à terme 200 €/tCO2, pour rendre non compétitives les solutions industrielles utilisant 100 % d’énergie fossile, en priorité pour exclure l’usage du charbon dans la production d’électricité. Les recettes de la taxation du carbone devront être fléchées et affectées au financement des plans structurants de la transition énergétique dans chaque Etat membre.
2. Mise en place d’un bouclier écologique aux frontières de l’UE, sous la forme d’une taxe carbone au même niveau que le prix du carbone fixé au niveau de l’UE, pour éviter une concurrence déloyale et dévitalisante, en particulier des pays asiatiques, devenus « l’usine du Monde ». L’importation de batteries de véhicules et de panneaux solaires, dont la production est très électro-intensive et émettrice de CO2, sera en particulier visée, ce qui en favorisera la relocalisation en Europe.
3. Retrouver notre souveraineté vis-à-vis de l’UE, en particulier pour le marché de l’électricité et l’organisation d’EDF : régulation du prix du nucléaire et affectation en priorité de sa production aux consommateurs français, considérer les barrages hydrauliques comme patrimoine national et service public essentiel (écosystème eau et énergie), non aliénable par une mise en concurrence (à l’exemple de ce qui vient d’être réussi pour la Compagnie Nationale du Rhône, contrôlée par ENGIE).
4. S’inscrire dans un partenariat UE / continent Africain pour l’électrification du continent avec de l’électricité bas carbone (ENR et petits réacteurs modulables nucléaires SMR), avec une composante d’importation d’hydrogène bas carbone (bateaux, voire gazoducs en Méditerranée) en complément de ce qu’il est possible de produire en France. La diminution progressive des importations de pétrole et de gaz naturel améliorera sensiblement la balance commerciale de la France, ouvrant une marge de manœuvre dans ce domaine, et pour rendre la coopération « gagnant-gagnant ».
En conclusion, les choix structurants pour la transition énergétique doivent être guidés par :
• L’efficacité en termes de diminution des émissions de GES (critère coût de la tonne de CO2 évitée), en prenant en compte les externalités négatives sur l’environnement (occupation de l’espace, nuisances, déchets, etc.)
• La compétitivité et la sécurité de l’approvisionnement en énergie de la France.
• L’amélioration de la balance commerciale (pétrole, gaz, équipements, et la souveraineté sur les technologies fondamentales.
La mise en œuvre sera en partie nationale (centrales nucléaires), et en partie décentralisée dans les territoires (Fret Ferroviaire, ENR thermiques et électriques, réseaux de distribution, hydrogène, efficacité énergétique, etc.), l’acceptabilité sociale devant être de la responsabilité des élus locaux, au plus près du terrain et des citoyens.