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DOSSIER : L’apprentissage, un succès à consolider et à étendre ?

par Gilles Rigourex
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L’objectif du million d’apprentis est sur le point d’être atteint. Fin novembre 2022, ils sont 979.704 contre 859.538 en 2021, soit une progression de 14% faisant suite à une progression de 31,2% entre 2020 et 2021. Faut-il s’en réjouir ? Oui, mais …

La progression fulgurante de l’apprentissage

Les entrées en apprentissage ont longtemps plafonné en France entre 200.000 et 300.000 par an. Alors que le nombre annuel de nouveaux contrats progressait lentement entre 2017 et 2019 passant de 305.721 à 368.968, il a véritablement explosé atteignant 526.418 en 2020 et 731.785 en 2021.

Dans le même temps, le nombre total d’apprentis passait de 436.907 fin 2018 à 862.254 fin 2021.

Ces chiffres éloquents, dont il faut évidemment se réjouir, sont dûs aux nouvelles dispositions mises en place par la Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Elles ont à la fois libéré et simplifié les modalités administratives régissant l’apprentissage et la formation professionnelle.

+Libéré+

  • Les CFA (Centre de Formation d’Apprentis) ont été sortis du carcan de l’Education Nationale. Depuis le 1er janvier 2020, il n’est plus nécessaire d’obtenir une autorisation administrative pour ouvrir un CFA. Les entreprises elles-mêmes peuvent le faire. Le nombre de CFA a ainsi explosé. De 958 fin 2017, ils sont passés à 1330 fin 2020 et 2141 fin 2021. Ce sont les organismes privés qui expliquent l’essentiel de cette progression. Entre 2020 et 2021, leur nombre est passé de 683 à 1302 (+ 90%), pendant que ceux rattachés à des Chambres Consulaires passaient de 151 à 164 (+ 8%), ceux intégrés dans des établissements d’enseignement de 429 à 597 (+ 39%), et les autres de 67 à 78 (+ 16%).
    Toutefois, les CFA doivent désormais obtenir la certification Qualiopi délivrée par France Compétences (cf. ci-dessous) pour exercer leur activité. Cette certification est délivrée sur « déclaration » lors de la création d’un nouveau CFA, mais elle fait l’objet d’un audit sévère 18 mois plus tard. Et il n’est pas exclu que nombre de nouveaux CFA soient recalés lors de cet audit.
  • Les conditions pour entrer en apprentissage et pour le déroulement du contrat ont été élargies. L’âge limite au moment de l’entrée en apprentissage a été porté de 25 ans à 29 ans révolus. La durée minimale du contrat d’apprentissage a été ramenée de 12 mois à 6 mois. Tout ou partie de la formation peut être délivrée à distance. Les conditions pour être maître d’apprentissage ont été clarifiées et allégées. Il est désormais possible de conclure des contrats d’apprentissage tout au long de l’année. Les rémunérations des apprentis ont été revalorisées.

+Simplifié+

  • Une nouvelle agence unique France Compétences reprend les missions précédemment exercées par trois organismes différents (FPSPP, Copanef et Cnefop). Elle assure une véritable tutelle de l’apprentissage en régulant l’offre de formation, en certifiant qualité les prestataires des formations, et en répartissant les fonds issus de la taxe d’apprentissage. Elle décide notamment des montants des prises en charge des coûts des formations qui sont versés aux CFA par les OPCO (cf. ci-dessous).
  • Les 20 anciens organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OPCA) sont remplacés par 11 Opérateurs de Compétences (OPCO) organisés par filières économiques cohérentes (Construction, Santé, Culture-médias-loisirs-sports, services financiers et de conseils, etc.). Ils collectent les taxes versées par les employeurs, et assurent le financement des contrats d’apprentissage, tant vis-à-vis des entreprises que des CFA.
  • Les différentes aides aux employeurs qui recrutent des apprentis sont remplacées par une aide unique. Celle-ci, qui s’étalait sur 3 ans avec des versements mensuels, a été remplacée à compter du 1er juillet 2020 par une aide exceptionnelle s’élevant à 5.000 € pour un apprenti mineur et 8.000 € pour un apprenti majeur. Pour l’année 2023, celle-ci est uniformisée à 6.000 €.

Toutes ces mesures de libéralisation et de simplification ont stimulé fortement tous les acteurs concernés : les entreprises y ont trouvé une très bonne opportunité de formation et de recrutement de personnes à leur mesure à un coût réduit ; les CFA, anciens et nouveaux, une nouvelle manne financière ; les jeunes eux-mêmes la possibilité de financer leurs études et la perspective d’une embauche facilitée ; l’Etat une réduction du chômage et une promotion de la « valeur travail » sans distinction de secteur d’activité ni de statut d’employeur (l’apprentissage est ouvert tant au secteur public qu’au secteur privé).

L’apprentissage est soudainement en train d’acquérir ses lettres de noblesse. Il n’est plus réservé aux jeunes en situation d’échec scolaire ni aux métiers manuels.

Tout le monde est gagnant. Oui, mais…

Le revers de la médaille

La question que l’on se pose devant un tel succès est naturellement : à qui cela bénéficie-t-il le plus ? Aux secteurs en difficulté ou aux secteurs en croissance ? Aux jeunes en difficulté d’insertion ou aux jeunes déjà intégrés ? A quels organismes de formation ?

Les réponses se trouvent dans l’analyse des chiffres de l’apprentissage. Ils sont issus soit de la Direction de l’évaluation du Ministère de l’Education Nationale, soit de la DARES du Ministère du travail. Cette dichotomie explique certaines différences qui ne changent rien dans l’analyse de fond.

+Les niveaux des formations+

La France a besoin de personnes qualifiées à tous les niveaux. Mais les employeurs n’ont dans l’ensemble pas de difficultés à recruter des cadres. Celles qui leur font le plus défaut sont les employés qualifiés, les techniciens et les techniciens supérieurs. C’est-à-dire les personnes ayant un CAP, BEP, BP, BTS, c’est-à-dire tous les niveaux jusqu’à Bac + 2, soit les niveaux 5, 4 et 3 selon la nomenclature européenne.

Comment a évolué l’apprentissage selon les niveaux de formation ? Le tableau ci-dessous retrace l’évolution entre 2001 et 2021, et plus particulièrement entre 2018 et 2021, c’est-à-dire avant et après l’entrée en vigueur de la réforme.

Plus on monte dans les niveaux des formations, plus la progression est fulgurante.

Aux niveaux CAP / BEP, le nombre d’apprenti a même baissé entre 2001 et 2021 (- 26%), malgré un début de remontée qui s’amorce entre 2018 et 2021 (+ 12%).

Au niveau BAC, il a connu des hauts et des bas, pour finalement s’afficher en hausse sur l’ensemble de la période 2001 – 2021 (+ 79%, dont + 23% entre 2018 et 2021).

Ce sont les niveaux supérieurs qui ont le plus profité des nouvelles dispositions. Sur la période 2001 à 2021, le niveau Bac+2 a progressé de 281% et les niveaux Bac+3 et Bac+5 de 1101% ! Sur la seule période de l’entrée en vigueur de la réforme, le Bac+2 a progressé de 65% et les Bac+3 et Bac+5 de 123% !

Les apprentis de niveaux 1 et 2 (Master et Licence) qui ne représentaient que 4% du total des contrats en 2001 en représentent aujourd’hui 30%. Ils sont même en chiffre absolu plus nombreux que ceux du niveau 5 (CAP et BEP) : 187.791 contre 182.068.

Effectifs des centres de formation d’apprentis[[Source : Ministère de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance RERS 2022, DEPP ; Système d’information sur la formation des apprentis SIFA]]
Niveaux 2001 % 2011 2018 2021 %
Niveau V : CAP, BEP (-26%) 245 333 67% 191 857 162 650 182 068 29%
-22% -15% 12%
Niveau IV : BAC (+79%) 69 355 19% 123 018 100 952 124 236 20%
77% -18% 23%
Niveau III : BTS (+281%) 35 553 10% 62 074 82 200 135 540 22%
75% 32% 65%
Niveaux 2 et 1 : Licence, Master (+1101%) 15 633 4% 49 331 84 104 187 791 30%
216% 70% 123%
TOTAL (+72%) 365 874 100% 426 280 429 906 629 635 100%
17% 1% 46%

A quelque chose parfois malheur est bon. Les femmes qui ne constituaient que 30,3% des apprentis en 2001 atteignent les 43,6% en 2021. Elles sont davantage présentes dans les formations supérieures où elles sont 50,4% au niveau Licence et 44,9% au niveau Master, contre 27,1% au niveau CAP/BEP, 33,5% au niveau Bac et 39,9% an niveau Bac+2.

+L’âge moyen et le niveau antérieur d’études à l’entrée en apprentissage+

Le corollaire de la montée des niveaux de formation est celle de l’âge d’entrée en apprentissage.

Alors que les moins de 18 ans représentaient 52,2% des entrées en apprentissage en 2001, ils ne sont plus que 18,8% en 2021. Dans le même temps, les 22 ans et plus passent de 7,8% à 32,1%.

Ceux qui n’ont aucun diplôme ni titre professionnel à leur entrée en apprentissage passent de 48,4% en 2001 à 17,7% en 2021 ; les titulaires du Bac passent dans le même temps de 12,2% à 32,4%. Et ceux qui ont déjà un Bac+2 atteignent les 17,9% en 2021.

L’apprentissage est proportionnellement de moins en moins une filière d’insertion professionnelle de jeunes sans qualification et de plus en plus une filière de prolongation d’études pour des jeunes ayant déjà acquis une certaine qualification.

Ce n’est pas un mal en soi si cela permet à certains d’acquérir des qualifications supérieures qu’ils ne pourraient pas envisager faute de moyens financiers pour prolonger leurs études par exemple. Mais l’arbre cachant la forêt, ne sommes nous pas en train d’abandonner en route les moins favorisés et ceux qui ne réussissent pas dans le système général d’éducation qui ne leur convient pas ?

Ceux qui se réjouissent le plus sont les grandes écoles qui font le plein d’apprentis.

+Les secteurs d’activité+

La France est malade de sa désindustrialisation et de son économie davantage orientée consommation et services à la personne plus que production.

Quels sont les secteurs d’activité qui ont le plus profité de l’embellie de l’apprentissage ? Les chiffres sont donnés dans les deux tableaux ci-dessous : le premier en %, le second en conversion en valeur absolue. Tous les secteurs sont gagnants, mais à des degrés divers.

L’agriculture se maintient en %, ce qui signifie qu’elle a progressé au même rythme que l’ensemble et donc accueilli beaucoup plus d’apprentis : 18.000 en 2021 contre 6.000 en 2001.

L’industrie a nettement baissé en % passant de 22,5% en 2001 à 15,1% en 2021. Ce qui s’apparente au décrochage général de l’industrie dans l’activité économique du pays. Mais en chiffres absolus, elle accueille néanmoins 107.000 apprentis en 2021 contre 54.000 en 2001.

La construction « décroche », sa part se réduisant de 21,1% en 2001 à 11,2% en 2021. Mais en chiffres absolus, elle a quand même gagné 29.000 apprentis de plus.

Le commerce explose brutalement entre 2018 et 2021. Alors qu’il stagnait en chiffres absolus entre 2011 et 2018, il a fait un bond de 102.000 apprentis supplémentaires entre 2018 et 2021. Est-ce l’effet du commerce en ligne ?

De façon surprenante, ou non, les métiers de l’hôtellerie – restauration n’attirent plus du tout. Alors que le secteur est en grande tension pour recruter, et que l’apprentissage y faisait figure de proue, il stagne autour de 33.000 apprentis, en légère baisse entre 2012 et 2021. Sa part est passée de 11,4% en 2012 à 4,7% en 2021.

Cinq secteurs d’activité ont atteint ou dépassé les 300% de croissance entre 2012 et 2021 : le soutien aux entreprises + 340% (activités scientifiques et techniques et les services administratifs) ; l’information et la communication + 401% ; la finance et l’immobilier + 290% ; le tertiaire non marchand qui a connu la plus grosse embellie de tous + 665% (administration, enseignement, santé et action sociale), ce qui est bien au-delà de la croissance des apprentis dans le secteur public qui a cru pour sa part de 107%  ; et les « autres » + 551% (arts, spectacles, etc.).

On retrouve là l’addiction française pour le tertiaire marchand et surtout non marchand, non pas au détriment du primaire et du secondaire mais à leur corps défendant. Les Olympiades des métiers où nombre de Français et de Françaises prouvent chaque année leurs talents ne font pas encore véritablement école.

Nouveaux contrats d’apprentissage par secteur d’activité (en %)[[Source : Ministère du travail, DARES]]
Secteurs 2001 2012[[Changement des séries entre 2008 et 2009. Soutien aux entreprises = activités scientifiques et techniques, services administratifs et soutien ; Tertiaire non marchand = administration, enseignement, santé, action sociale ; Autres = arts, spectacles, etc.]] 2018 2021
Agriculture – Sylviculture – Pêche 2,5% 2,9% 3,5% 2,6%
Industrie 22,5% 20,6% 21,1% 15,1%
Construction 21,1% 19,4% 16,1% 11,2%
Commerces 26,8% 18,8% 20,5% 23,1%
Hébergement et restauration 27% 11,4% 10,1% 4,7%
Soutien aux entreprises 8,1% 9,6% 14,8%
Coiffure – Soins de beauté 5,6% 5% 3,4%
Transport – Entreposage 3% 3,2% 3,2%
Information – Communication 2,5% 2,6% 5,2%
Finance – Assurances – Immobilier 4,2% 3,9% 6,8%
Tertiaire non marchand 1,7% 2,2% 5,4%
Autres 1,7% 2,2% 4,6%
Total 99,9% 99,9% 100% 100,1%
Nombre absolu 239 806 295 044 305 896 710 297
Nouveaux contrats d’apprentissage par secteur d’activité (traduits en chiffres absolus)
Secteurs 2001 2012 2018 2021 Variation 2012-2021
Agriculture – Sylviculture – Pêche 5 995 8 556 10 706 18 468 116%
Industrie 53 956 60 779 64 544 107 255 76%
Construction 50 599 57 239 49 249 79 553 39%
Commerces 64 268 55 468 62 709 164 079 196%
Hébergement et restauration 64 748 33 635 30 895 33 384 -1%
Soutien aux entreprises 23 899 29 366 105 124 340%
Coiffure – Soins de beauté 16 522 15 295 24 150 46%
Transport – Entreposage 8 851 9 789 22 730 157%
Information – Communication 7 376 7 953 36 935 401%
Finance – Assurances – Immobilier 12 392 11 930 48 300 290%
Tertiaire non marchand 5 016 6 730 38 356 665%
Autres 5 016 6 730 32 674 551%
Total 239 566 294 749 305 896 711 007 141%
Ajustement 240 295 0 -710

+Les entreprises qui recrutent des apprentis+

On dit que les Français aiment leurs agriculteurs, leurs artisans, leurs petits et moyens entrepreneurs. Mais qu’ils sont méfiants à l’égard des grandes entreprises. Qu’en est-il en matière d’apprentissage ?

L’apprentissage fut longtemps l’apanage des toutes petites et petites entreprises. En 1993, 74,6% des apprentis étaient employés par des établissements de moins de 10 salariés, et 54,4% même de moins de 5 salariés. Ils demeurent encore aujourd’hui les principaux employeurs à hauteur de 46,4%, dont 31,9% pour celles de moins de 5 personnes.

Mais les grandes et même les très grandes entreprises montent nettement en charge. Les entreprises de plus de 1000 salariés n’employaient que 9,1% des apprentis en 2012 ; elles en emploient 14,4% aujourd’hui, sur un nombre absolu qui a lui-même plus que doublé.

Certains grands groupes ont décidé de créer leur propre CFA afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques, parfois en se regroupant. Ainsi le CFA des Chefs créé en 2020 réunit Accor, AccorInvest, Adecco, Disneyland Paris, Korian et Sodexo.

+Quand la simplification tourne au cauchemar+

La volonté de simplification et de nettoyage dans un secteur de la formation professionnelle qui stagnait et où se cotoyaient le pire et le meilleur étaient tout à fait louables. Et l’objectif a été partiellement atteint.

Mais l’ampleur du bouleversement et de la réussite n’ont pas été appréhendés. Une nouvelle bureaucratie centralisée s’est substituée à un magma de procédures et d’interlocuteurs.

France Compétences a été débordée et n’arrive pas à faire face ni sur le plan logistique ni sur le plan financier. Les délais pour valider les demandes de certifications et de validation des coûts des formations s’allongent et dépassent les règles qui étaient annoncées. Les déficits se sont accumulés d’année en année et l’Etat a dû venir au secours pour renflouer l’Agence : 2,75 milliards d’euros en 2021 ; le budget rectificatif pour l’année 2022 mentionne une dotation exceptionnelle de l’Etat pour 4 milliards.

Il en est de même dans certains OPCO, complètement dépassés par les enjeux. Les démarches qui ne se font plus qu’en ligne n’aboutissent pas, et il est souvent impossible d’avoir un interlocuteur. Quand on y arrive, ce n’est jamais le même et il faut tout réexpliquer sans pour autant que la démarche aboutisse à quoi que ce soit. Tant les entreprises que les CFA s’en plaignent. Devant cette incurie, certaines branches expriment le souhait de changer d’OPCO ou de créer leur propre OPCO.

Pour ne citer qu’un exemple réel : un CFA forme une cinquantaine d’apprentis qui ont fait leur rentrée début octobre 2022. Tous les apprentis ont été placés dans des entreprises avant le 15 décembre. Toutes les conventions d’apprentissage ont été adressées aux OPCO compétents entre octobre et décembre. Le CFA attend toujours fin février la validation de 30 conventions alors que le délai annoncé est en principe de 3 mois maximum. Il n’a toujours pas eu de réponse quant au montant qui sera pris en charge par certains OPCO sur le total du coût de la formation. De ce fait il ne peut pas émettre les factures aux OPCO. Et donc il n’est toujours pas payé et n’a encaissé que 5% du montant total des formations alors que celles-ci ont démarré depuis 5 mois. Sans une trésorerie abondante, il aurait coulé !

+Un système sous perfusion+

Nul doute que le succès de l’apprentissage depuis 3 ans repose non seulement sur l’assouplissement des règles mais aussi et sans doute encore davantage sur les aides financières.

France Compétences a publié son Rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle, édition 2022.

En 2021, le coût économique total de l’apprentissage s’est élevé à 21.641 millions €, dont 9.583 (44%) sont allés aux apprentis eux-mêmes via les rémunérations versées par les entreprises, les exonérations d’impôts sur le revenu et les aides au permis de conduire ; 6.580 (30%) sont allés aux CFA via les financements par les OPCO pour 5.885, les Conseils Régionaux pour 284, les entreprises pour 111, et diverses autres contributions ; 5.196 (24%) sont allés aux employeurs des apprentis via l’aide exceptionnelle unique versée par l’Etat pour 4.012, les exonérations de charges sociales pour 960, l’aide unique à l’employeur pour 214 et diverses primes.

On constate que :

  • Pour l’apprenti, c’est tout bénéfice. Il contribue pour une moyenne d’environ 43 € par personne par an (reste à charge sur la participation au transport et à la restauration), et il est payé entre 462 € et 1333 € par mois selon son âge et son année d’apprentissage. Il ne supporte pratiquement aucune charge salariale, et il est exonéré de l’impôt sur le revenu dans la limite du SMIC. Il fait donc ses études et se forme gratuitement, en étant payé.
  • Pour l’entreprise, qui est au final le véritable moteur du système puisque l’embauche est une condition sine qua non pour suivre une formation en apprentissage, elle dispose de personnel de façon durable (6 mois à 3 ans) à quasiment ¾ de temps à un coût généralement très inférieur au SMIC, et elle perçoit l’aide unique qui couvre une bonne partie de ce coût. Globalement, les entreprises contribuent à hauteur de 9.131 millions essentiellement pour les rémunérations des apprentis, mais elles reçoivent 5.186 millions d’aides et d’exonérations de charges. En moyenne, un apprenti coûte environ 5.500 € par an.
  • Pour les CFA, qui sont soumis à un contrôle financier, c’est la garantie de percevoir les coûts de la formation soit des OPCO soit des entreprises s’il y a un reste à charge. Et c’est un excellent vecteur de recrutement sur le thème : « venez étudier chez nous, c’est gratuit » ! Ils sont entièrement couverts de leurs coûts totaux de formation. En 2020, le taux de marge des CFA s’établissait à 8,3%, contre 6,2% dans l’ensemble du secteur de l’enseignement.

On constate donc que le système repose en grande partie sur les financements publics. Compte tenu de l’aide reçue à l’embauche, le coût d’un apprenti pour l’employeur (rémunération moins aide) revient à – 38 € par mois pour un apprenti de moins de 18 ans en 1ère année, à 406 € s’il a 21 ans et plus. L’aide ne s’appliquant qu’à l’embauche, le coût augmente en 2ème année à 667 € pour un jeune de moins de 18 ans à 1043 € s’il a 21 ans et plus.

Mais qu’adviendra-t-il si, ou lorsque, l’aide exceptionnelle s’arrêtera. Elle a été reconduite pour 2023, mais rien n’est moins sûr, notamment quant aux modalités, pour 2024 et les années suivantes. L’idée d’une suppression complète pour les formations de niveau supérieur au Bac fait son chemin. Or ce sont celles-ci et celles-ci uniquement qui expliquent l’envolée de l’apprentissage. Le nombre d’apprentis jusqu’au niveau Bac inclus est passé de 315.000 en 2011 à 306.000 en 2021. Il n’a pas du tout progressé ! Si l’apprentissage des niveaux supérieurs au Bac régresse voire s’effondre, l’embellie sera terminée.

La morale de l’histoire

Et finalement, comment les apprentis s’insèrent-ils dans l’emploi à l’issue de leur apprentissage ?

Bizarrement, on ne dispose de statistiques récentes (2021) que pour les niveaux allant jusqu’au BTS. Rien au-delà.

Six mois après leur sortie de l’apprentissage, les taux d’emplois sont les suivants pour les apprentis sortis en 2020 : 51% pour le CAP, 60% pour le Bac Pro, 72% pour le brevet professionnel, 68% pour le BTS. Ces % augmentent d’environ 10 points si l’on considère l’emploi 12 mois après la sortie.

Il est généralement constaté une meilleure insertion dans l’emploi pour les filières en apprentissage que pour les filières générales. Est-ce suffisant ? 20% à 65% selon les niveaux de formation restent encore sur le carreau un an après leur sortie.

L’embellie de l’apprentissage est donc une bonne nouvelle, mais elle ne doit pas occulter sa finalité première qui est de proposer aux employeurs des jeunes qualifiés et motivés, dans tous les domaines et à tous les niveaux, en priorité aux secteurs en tension, notamment mais pas seulement ceux de l’industrie.

Pour éviter que la morale soit celle de « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » et donc que le système, en soi judicieux, n’éclate, il est urgent :

  • De remettre les véritables priorités au centre du système. Même si l’apprentissage doit rester une filière générale s’appliquant à tous les secteurs et à tous les niveaux, les aides doivent être mieux ciblées vers les secteurs en tension et les publics qui en ont réellement besoin. Faut-il subventionner également la formation en finance Bac+5 d’un futur trader dans une grande banque, et celle technique d’un jeune boulanger qui se lève à 4 heures du matin, qui n’a pas encore de transport en commun en service et qui met ses mains dans le pétrin ?
  • De donner une visibilité sur le long terme. Tant les entreprises que les CFA ont besoin de savoir plusieurs années à l’avance sur quel pied danser. Les changements annuels au gré des opinions politiques et des finances publiques ne font pas une politique à moyen et long terme.
  • De résoudre rapidement les dysfonctionnements dans les organismes de gestion de l’apprentissage.

Et la morale de la morale : quand l’Etat et les Collectivités Publiques lâchent la bride et permettent au secteur privé de mettre en œuvre toute sa puissance de frappe et son engagement au service de la collectivité, dans le respect de règles souples mais pertinentes, les résultats dépassent les espérances.

Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas encore compris qu’il faut qu’il aille dans la même direction dans d’autres domaines où la France décroche face à ses voisins et concurrents, non pas faute de talents et de personnes volontaires, mais à cause d’organisations obsolètes et de règlementations souvent ubuesques : l’enseignement, la santé, l’énergie et l’écologie, le logement, etc, …? Alors la France rattraperait ses retards comme elle l’a fait en matière d’apprentissage !

 

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2 commentaires

Guyot-Sionnest mars 3, 2023 - 8:36 am

Une bonne synthèse une bonne conclusion
Une bonne synthèse une bonne conclusion C’est dans et avec les entreprises et leurs équipes que toute formation « théorique » devient productive. Cela concerne tout le monde, tous niveaux et tous ages. Les millions de disponibles (chômeurs) mériteraient d’être accueillis en réapprentissages dans des entreprises en croissance pour accélérer la croissance des gazelles et remettre en selle les disponibles Au lieu de leur faire remplir des CV et rester chez eux pendant des mois voire des années.

Répondre
Gilbert Sussmann mars 4, 2023 - 10:43 pm

DOSSIER : L’apprentissage, un succès à consolider et à étendre ?
Article tout à fait remarquable, impression d’une approche sans omissions, et sans concessions. Avec la clarté en plus. EPATANT.

Je trouve confirmation de l’immense avancée enfin en cours.
Certes, l’auteur le dit, le nouveau mécanisme n’aide qu’une partie de la population visée : ça ne me « gêne » pas, par optimisme ; car les + jeunes, apparemment oubliés, et surtout ceux qui les…suivront,vont disposer d’autres procédures récentes ou en préparation.

Dans ce contexte de pessimistes, cette avancée devrait être mise en exergue .

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