En cette période de recherche de solutions pour sortir de la crise, les discussions sur le rôle de l’Etat en tant qu’emprunteur vont réapparaitre dans l’actualité. Un tel regain avait été constaté après la crise économique et financière de 2008-2009. La question était alors de savoir si une importante augmentation de la dette publique contribuerait ou pas à la croissance économique. Reposons-nous cette question en 2020.
Pour y répondre, le calcul d’un coefficient de corrélation entre les évolutions des niveaux de la dette et ceux de la croissance, constitue un facteur déterminant.
Le calcul suivant a été effectué sur 648 couples valeurs de la dette et croissance sur 28 pays européens (manquent 24 valeurs sur 648 avant 2000 pour 6 pays) :
Coefficient de corrélation calculé de 1996 à 2019, sur 28 pays, entre le taux de croissance annuel du PIB par habitant en volume (source INSEE) et le taux de croissance annuel de la dette brute consolidée des administrations publiques (source Eurostat) : Coef : – 0,23
La faiblesse de ce coefficient signifie que les variations des dettes publiques n’ont qu’une influence très faible sur la croissance. Sa valeur négative peut être interprétée par le fait que les augmentations de dette ont été réalisées en période de ralentissement et surtout, sans aucun résultat.
Ces résultats de 1996 à 2019 vont dans le même sens que les conclusions d’une étude (réalisée par Leila Ben Ltaief, Université de Tunis) publiée en 2014 et qui affirmait que : « Suite aux différents tests économétriques effectués, nous signalons que les résultats obtenus au niveau de l’échantillon total et des pays à seuil élevé d’endettement rapporté au PIB (les pays du Sud de l’Europe), plaident en faveur d’un effet négatif du fardeau élevé de la dette publique sur la croissance. Cette conclusion justifie l’effet néfaste et pénalisant sur le taux de croissance de la production qu’exerce le surendettement au-delà des valeurs limites exigées. Donc, plus les émissions de dette publique augmentent, moins les gouvernements ont de marge pour employer des politiques anticycliques. »
Aujourd’hui, le débat n’étant pas clos, rappelons quelques éléments d’analyse : Quelles peuvent-être les origines des dettes publiques ?
– Une crise avec une forte chute de l’activité qui réduit les entrées fiscales mais pas les dépenses de fonctionnement ;
– Des politiques sociales de longue durée pour aider les ménages défavorisés ;
– Une politique économique visant une forte relance de la croissance de moyen terme ;
– Des dépenses publiques permanentes d’une économie qui « vit au-dessus de ses moyens » ;
– Des dettes pour rembourser les dettes antérieures.
Existe-t-il des risques ?
Un Etat n’est pas un ménage ni une entreprise et peut, en théorie, s’endetter à vie, à très haut niveau. Il ne peut pas faire faillite, mais dans le cas où il fait défaut, il n’honore plus ses créanciers et peut alors appliquer un délai, une remise ou renoncer au remboursement intégral de sa dette. Les optimistes disent par exemple pour ce qui concerne la France, que l’ampleur de la dette est significativement inférieure à l’ensemble des actifs publics incluant également les écoles, les hôpitaux, les routes… Cette vision relativiste de L’OFCE datait de 2009 et ne s’appliquerait plus aujourd’hui, en 2020, car le patrimoine des administrations publiques a chuté à près 190 milliards alors qu’il était de 420 milliards en 2009 (INSEE) ! En réalité tout est question de savoir, pour un pays donné, où se situe le curseur entre la confiance et l’inquiétude. Le Japon n’est pas la Grèce.
Quel est alors le contexte actuel pour la France ?
Le confinement décrété a généré un choc économique de grande ampleur. Ce choc se transforme en crise de récession dont la durée sera de l’ordre du long terme. On peut néanmoins rappeler le contexte international qui précédait le choc. Un niveau d’activité de bon niveau, peu d’anticipations négatives politiques ou économiques, pas d’anticipation d’une nouvelle inflation, peu d’anticipations de hausse des taux d’intérêt et une tendance de l’évolution des gains de productivité plutôt stable. Ces conditions étaient évidemment plutôt favorables à la conjoncture française qui, contrairement aux autres pays européens, se distinguait par des variables négatives (chômage, investissement, équilibre extérieur…), et des données structurelles pesantes pour ce qui concerne l’Etat (poids, équilibre, solde budgétaire…) Dans de telles conditions, le retour à une conjoncture normale ne sera pas évident. Ce retour à la normale sera d’autant plus grave que la transition énergétique risque de s’imposer de manière de plus en plus forte avec des phénomènes de créations et de destructions nécessitant des investissements, de la formation, des restructurations géographiques…
Pour être plus précis
Le coefficient de corrélation (dette /PIB) de 1995 à 2019 pour la France est de -0,70 et se classe au 26e rang sur 28, ce qui signifie qu’une augmentation de la dette constitue potentiellement un impact négatif pour la croissance ; en partie parce que l’accroissement de la dette va se traduire directement ou indirectement par des hausses de taxes et d’impôts qui agissent de manière négative sur le commerce extérieur, l’investissement, la consommation et donc le PIB. Ces perspectives risquent d’être aggravées dans la mesure où nos gouvernements ont trop souvent du mal à maîtriser les équilibres budgétaires.
Recommandations
L’idéal serait qu’un gouvernement gère avec rigueur, détermination, et actions de long terme, une politique économique de réduction des dépenses et des recettes de l’état. Un pays dont le poids de l’Etat dans le PIB est parmi les plus élevés au monde et qui en plus est fortement endetté, est potentiellement en position de grande faiblesse face à des crises comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Malheureusement, l’histoire nous démontre que l’avenir nous réservera d’autres crises avec effets de surprise. Un comportement qui consiste à faire l’hypothèse que notre environnement économique international de long terme sera stable, est discutable lorsqu’il constitue la base d’une politique économique.
Revenons néanmoins à des propos plus optimistes. La France est dans l’Europe, la France est protégée par l’Europe. Alors croyons en ce que vient de proclamer Pierre Moscovici : « Il faut se garder de tout catastrophisme comme de tout irénisme. Une dette à 120% du PIB n’est pas en soi une catastrophe. Nous ne sommes pas en 2008, les conditions d’endettement sont beaucoup plus favorables et la qualité de la signature de la France est forte. »
Bernard Biedermann
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