À écouter les médias, la dépense publique continue d’être au cœur des préoccupations gouvernementales. Mais, à part les victimes habituelles que sont la Défense nationale que l’on va continuer de comprimer et le contribuable que l’on va continuer d’opprimer en réduisant les exemptions baptisées « dépenses fiscales », la bureaucratie qui nous gouverne est bien trop habile à protéger son expansion par des cérémonies expiatoires. Elle va continuer à s’enfler jusqu’à l’explosion à la grecque. Parce que nous n’avons pas compris comment elle se protège.
La première cérémonie expiatoire de 1999, Fabius-Migaud
Déjà, en 1999, l’actuel ministre des Affaires Étrangères et ancien Premier ministre, Laurent Fabius, avait créé à l’Assemblé nationale dont il était alors le Président, une commission [[Groupe de travail parlementaire sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire]] pour le contrôle de la dépense publique dont le rapporteur était le rapporteur général du budget de l’époque, Didier Migaud, actuellement Premier président de la Cour des comptes.
Cette commission avait fait comparaître nombre de personnalités : Daniel Bouton, président de la Société Générale, ancien directeur du budget, Sir John Bourn, président du National Audit Office britannique, le NAO, correspondant à notre Cour des comptes, Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, Louis Schweitzer, président de Renault, Dominique Strauss-Kahn, ministre des Finances, Christian Sautter, Michel Charasse, etc..
Tous ou presque tous ces témoins constataient que les organes de la France et ses dirigeants étaient accrocs à la dépense publique et que le premier travail à accomplir était d’arrêter cette maladie.
Inexorablement, la dépense publique n’a pourtant cessé d’augmenter
Ce n’est pas que les études incantatoires ou de grands plans de réductions aient manqué : depuis les objurgations du rapport Pébereau de 2005 en passant par le rapport Camdessus de 2010, ou les admonestations récentes de la Cour des comptes.
Pourquoi les Britanniques ont-ils 2 fois moins d’agents pour des services publics plus efficaces ?
Nous aurions pu nous demander alors pourquoi les Britanniques, dans des institutions comparables, avaient au minium deux fois moins d’employés du secteur public que la France. C’est par exemple le cas pour la DGFiP, la direction des impôts qui emploie au total près de 120.000 fonctionnaires, le double des effectifs du Royaume-Uni où ils sont environ 60.000.
Cas plus outrancier, celui de la Banque de France qui emploie encore environ 13.000 salariés là où la Banque d’Angleterre en emploie moins de 3.000.
On pourrait attribuer cet écart de performance à un NAO plus efficace que la Cour des comptes. Ses analyses sont chiffrées, avec des propositions précises d’actions de réduction ; alors que les rapports de notre Cour des comptes sont, aux trois-quarts, vides de toute proposition concrète ; et cela volontairement car la Cour, organe judiciaire, pense qu’elle outrepasserait ses fonctions en proposant des mesures qui sont du ressort du législatif ou de l’exécutif. Le NAO, rattaché au Parlement britannique, propose des mesures précises, chacune d’entre elles bien isolée dans un paragraphe indépendant.
Nous avons accepté cette thèse pendant de nombreuses années. Mais il y a manifestement une faille car le NAO se targue d’économiser au budget public, chaque année, environ 10 fois son coût soit 700 millions. Dans un budget qui se situe maintenant au-dessus des 600 milliards de livres, c’est une goutte d’eau. Même si elle se répète tous les ans, ceci ne peut suffire à expliquer qu’au bout du compte, les services publics anglais aient moitié moins d’agents que les français.
Disons au passage qu’ils fonctionnent en général plutôt mieux, car l’excès de fonctionnaires dans la fonction publique française n’est pas causé par l’excès de services mais par la multiplication des personnes mises au placard ou placées dans des services à utilité nulle voire négative, dont les fonctionnaires eux-mêmes se demandent à quoi ils servent.
Les hauts fonctionnaires français ne pensent qu’à leur pouvoir, les Britanniques à leur efficacité ; pourquoi
La différence essentielle entre les services publics français et anglais est ailleurs.
Elle est dans le fait que les fonctionnaires français, nous en avons vécu des dizaines d’exemples, n’ont pratiquement qu’une seule pensée, comment élargir leurs domaines d’activité et le nombre de leurs collaborateurs, comment trouver les moyens de contourner les règles et garde-fous que d’autres fonctionnaires, ceux du budget, ont érigé pour essayer de limiter la croissance de la dépense publique. À commencer par le ministère des Finances où la Cour des comptes a dû constater avec effarement, en 2000, que non seulement les primes versées étaient doubles de celles du reste de la fonction publique mais qu’à 90%, elles étaient sans support légal et, pour près de la moitié, non déclarées aux impôts.
Alors que les hauts fonctionnaires britanniques ont un seul souci : comment montrer au cours de la séance de « grill » publiques qui les attend en moyenne tous les trois ans, qu’ils ont fait le maximum pour améliorer l’efficacité de leurs services et économiser l’argent public.
Cela fait une sacrée différence quand ce sont les agents eux-mêmes dont les comportements sont à l’opposé.
Comment les Britanniques sont-ils parvenus à ce résultat remarquable, qui a été copié dans tout le Commonwealth (mais pas aux USA, actuellement victimes d’une inflation de dépense publique à la Française) ?
La méthode britannique : comparution devant l’opinion
Par une méthode simple : rendre les hauts fonctionnaires responsables devant l’opinion publique de leur gestion.
Les hauts responsables de la gestion du service public, les 150 têtes d’administrations, sont convoqués, en moyenne tous les 3 ans devant une commission de la Chambre, le Public Account Committee, le PAC, et ils sont « grillés » par les membres de cette commission à partir d’un rapport sur leur service ou portion d’administration, qui a été établi par le NAO par des enquêtes sur place qui peuvent durer des mois. Et le gouvernement a 3 mois pour accepter ou refuser les recommandations chiffrées et précises que le PAC tire de ces auditions
À ces auditions assistent tous les médias, car elles sont l’annonce de découvertes spectaculaires ou de changements radicaux.
En France, il y a de telles comparutions devant la Mission d’Étude et de Contrôle, MEC, mais elles sont 5 à 10 fois moins nombreuses, pas préparées par une mission d’audit préalable, et le gouvernement n’a aucune obligation de suivre ou même tout simplement de répondre. Sachant ces audits sans effets, les médias ne s’y intéressent pas et n’y envoient aucun journaliste.
Il en va presque de même des rapports de la Cour des comptes. Le rapport public de la Cour fait la une des journaux une fois par an et comme le disait Daniel Bouton en 1999, « Nous avons 364 jours par an la position [de dépenser] et nous avons un acte expiatoire un jour par an qui est le jour où la Cour des comptes remet son rapport au Président de la République ».
Notre haute fonction publique fait tout pour éviter des comparutions sérieuses
Bien entendu, Bercy et les magistrats de la Cour, presque tous issus de l’ENA, et qui ont été, sont ou seront un jour à la tête des administrations contrôlées, ont tout fait pour éviter des comparutions trop dangereuses pour eux.
Nous avons ainsi pu assister à une audition de la commission des Finances du Sénat qui enquêtait sur un trou de 241 millions dans le budget de l’ANVAR. Mais à cette audition n’assistaient ni Philippe Jurgensen, inspecteur des finances, ancien directeur général de l’ANVAR, ni son secrétaire général, par ailleurs magistrat à la Cour des comptes, Jean-Marie Sépulchre, sous la gouvernance desquels s’était creusé le trou. N’étaient venus répondre de l’administration que des fonctionnaires qui n’avaient eu aucun rôle dans la disparition de ces 241 millions.
Le changement radical à opérer en 2017
Si nous voulons que la dépense publique se mette à diminuer, il va nous falloir casser cette complicité entre les différents rouages de l’administration et ses organes de contrôle. Le seul capable de le faire est le pouvoir politique, c’est-à-dire d’abord l’Assemblée nationale. Il faut qu’elle se donne les moyens de faire comparaître les hauts fonctionnaires, à la cadence de 50 comparutions par an, pour qu’un haut fonctionnaire (il y a 250 programmes séparés au sein du budget) soit certain d’avoir à comparaître au moins tous les 5 ans, en attendant de le faire tous les 3 ans comme au Royaume-Uni.
Un objectif pour 2017
Pour obtenir ce résultat, il n’est pas nécessaire de faire une réforme constitutionnelle.
La commission équivalente au PAC britannique a déjà été créée en 2007, c’est la Commission d’Études et de Contrôle, CEC.
Il suffit qu’il y ait un changement du règlement intérieur de l’AN pour que la commission des Finances délègue ses pouvoirs de contrôle à la CEC, que celle-ci fasse comparaître les hauts fonctionnaires chefs de services, mais que ces comparutions soient préparées par la Cour des comptes si elle accepte de se départir de son isolationnisme. Ou que sinon, on transfère à la CEC les quelques 200 experts extérieurs qui assistent les magistrats de la Cour dans leurs investigations. À coût public constant, nous arriverions enfin à ce que les rapports de ces experts se traduisent en recommandations qui débouchent sur de véritables réductions de la dépense publique, pas sur le nième rapport à enfouir dans un tiroir.
Multiplier les comparutions des 250 hauts fonctionnaires responsables chacun d’un programme au sein du budget pour que chacun ait à rendre compte en moyenne tous les 5ans puis tous les 3 ans. Organiser ces comparutions à partir d’audits réalisés par un office indépendant d’évaluation auprès de l’Assemblée nationale en y transférant les 200 experts de la Cour si celle-ci s’obstine à ne pas donner de solutions concrètes et chiffrées à ses audits. Obliger le gouvernement à prendre position sur les recommandations de la CEC.
Cela nous paraît la solution pour que la réduction de la dépense publique ne soit plus une incantation digne des vaudous ou une charge de cavalerie comme la RGPP qui nous rappelle Azincourt.