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Débat : faut-il réindustrialiser la France ? – Partie 1

par Claude Sicard
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La France est le pays le plus désindustrialisé de l’Union européenne, derrière la Grèce. Pour Claude Sicard, face aux défis de la prometteuse industrie high-tech, la France doit revenir au modèle colbertiste de l’État stratège. Nous reproduisons ici son article publié le 24 octobre sur Figaro Vox.

Tous les observateurs qui examinent la situation de l’économie française sont unanimes : notre économie se trouve dans un état extrêmement préoccupant. Tous les indicateurs sont au rouge : taux de croissance du PIB, chômage, endettement de l’État, balance commerciale, etc.

Nicolas Baverez, dans un article paru dans Le Figaro au début de l’année 2013 nous disait : «Le modèle français qui fait que la France consomme en s’endettant à l’extérieur 10 % de plus qu’elle ne produit, est caduc». Et Jean-Louis Beffa, l’ancien président de Saint-Gobain, dans son très intéressant ouvrage La France doit choisir paru en 2012, nous dit: «Si la France ne réagit pas, elle est condamnée à la déchéance tranquille». On se souvient que Laurent Fabius avait lancé, il y a déjà quelques années, l’avertissement suivant: «Si les tendances actuelles se maintiennent, la France ne sera plus qu’un écriteau sur la porte d’un musée». En 1975 le PIB français par habitant était supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE: aujourd’hui il est inférieur.

Curieusement, les pouvoirs publics, notamment au niveau du ministère de l’Économie, se sont trouvés jusqu’ici incapables d’identifier la cause réelle des maux qui frappent notre économie. On trouve ainsi, par exemple, dans une note du Trésor de juin 2014, l’analyse suivante : «Depuis une quarantaine d’années, la France présente un déficit moyen annuel de croissance du PIB par tête de 0,4 point par rapport aux pays de l’OCDE». Excellent constat, donc : mais la solution au problème, présentée par cette note du Trésor, consistait à agir sur les différents paramètres suivants : «Accroître le taux d’activité, en particulier celui des seniors, diminuer le chômage structurel, soutenir les gains de productivité horaire, augmenter le taux d’activité des femmes». Certes, mais comment ? Cette note ne le dit pas : elle fait penser au théorème du lampadaire de l’économiste Jean-Paul Fitoussi, qui consiste à chercher là où il n’y a rien à trouver !

Ce que les pouvoirs publics n’ont pas vu, c’est que la cause réelle du décrochage de l’économie française s’explique fondamentalement, et avant tout, par l’écroulement de l’un des trois piliers de l’économie du pays, le pilier que les économistes nomment «le secteur secondaire», c’est-à-dire le secteur de l’industrie. Pourquoi un tel aveuglement de la part de nos dirigeants ? Probablement parce qu’ils s’en sont tous automatiquement référés à la fameuse loi dégagée par Jean Fourastié dans son fameux ouvrage paru en 1949 Le grand espoir du XXème siècle, loi dite des «Trois secteurs de l’économie». Cette loi veut que lorsqu’un pays se développe il se produit un reversement de la population active d’un secteur sur l’autre, dans un premier temps du secteur primaire vers le secteur secondaire, puis, ensuite, du secteur secondaire vers le secteur tertiaire qui est celui des services. De la sorte, on en viendrait à une société post-industrielle, où dans sa phase ultime, il n’y aurait pratiquement plus que des activités tertiaires. Aveuglés donc par ce théorème considéré comme incontournable, nos dirigeants, tous formés à la même école, ont laissé filer le secteur industriel de notre pays au point que celui-ci ne contribue plus, à présent, que pour 11 % à la formation du PIB, alors que l’industrie représentait 38 % du PIB à la fin des trente glorieuses. Dans le cas de l’Allemagne, il s’agit de 24 %, et dans celui de la Suisse de 23,5 %, la moyenne des pays européens se situant aux alentours de 20 %. La France est ainsi devenue le pays le plus sous-industrialisé de toute l’Union Européenne, à l’exception de la Grèce, pays dont on sait combien il pose actuellement de problèmes à l’UE qui a souhaité, à tort, le maintenir artificiellement dans la zone Euro.

On doit donc considérer notre pays comme un pays «sinistré», et c’est sous cet angle qu’il faudra présenter les mesures de redressement indispensables à mettre en œuvre auprès des autorités de Bruxelles, notamment auprès de la Commission de la concurrence, le jour où le gouvernement français entreprendra de redresser la barre sur le plan industriel.

La thèse des trois secteurs de l’économie est à corriger par la façon nouvelle dont on doit voir les industries modernes, un secteur où avec les nouvelles technologies on a affaire à une société hyper-industrielle dans laquelle la valeur ajoutée par employé est très élevée. Jean Fourastié, sur les traces de Colin Clark, avait raisonné en termes d’emplois et non pas de valeur ajoutée. Dans une économie moderne, on aura toujours un secteur secondaire, mais où les industries seront de haute technologie. Sans quoi, un pays moderne n’aurait rien à exporter pour payer ses importations de produits qu’il ne fabrique plus, et, notamment dans le cas de la France, les importations d’hydrocarbures. Les balances commerciales du secteur tertiaire laissent toujours des soldes très faibles : 5 à 6 milliards d’euros dans le cas de la France malgré des activités touristiques exceptionnellement développées.

Certains économistes, mais ils furent malheureusement peu nombreux, avaient bien fait, en temps voulu, le bon diagnostic. Par exemple, Elie Cohen et Pierre-André Buygues qui ont publié en 2015 un ouvrage intitulé Le décrochage industriel. Il faut mentionner aussi Nicolas Baverez avec plusieurs ouvrages tirant la sonnette d’alarme, dont Réveillez-vous paru en 2012, et La France qui tombe paru l’année suivante.

Il nous faut, ici, nous en référer tout particulièrement aux analyses très pertinentes de Jean-Louis Beffa, un X-Mines ancien président de Saint-Gobain, couronné «manager de l’année» en 1989. Jean-Louis Beffa présente ses thèses dans son ouvrage La France doit choisir paru en 2012 aux éditions du Seuil. Il fait, très justement, dans cet excellent ouvrage, une analyse en termes de «modèles» possibles pour une économie, et il en caractérise quatre différents. La France, au cours des trente glorieuses, avait, quant à elle, opté pour un modèle qui accorde une large place à l’action publique, un système dans lequel l’État joue un rôle à la fois d’induction et de stratège. Mais notre pays a totalement changé de modèle à la fin des trente glorieuses, passant du modèle «commercial industriel» qui a été le sien pendant toute la période de reconstruction du pays, au modèle anglo-saxon que Jean-Louis Beffa qualifie de «libéral financier», un système où, comme on le sait, le marché est tout puisant, l’État s’effaçant complètement et devenant tout à fait passif. C’est ainsi que s’est amorcé le déclin de l’économie française, notre pays n’étant pas fait pour le modèle anglo-saxon. La France n’est pas mûre, semble-t-il, pour le système ultra-libéral, en sorte que Jean-Louis Beffa propose que nous en revenions sans plus attendre, car il y a urgence, au système antérieur où l’État redevenu stratège placerait l’industrie au cœur de ses préoccupations.

Si la France ne réagit pas, elle est condamnée à «la décadence tranquille» nous dit Jean-Louis Beffa. Dans un débat entre l’ancien président de Renault, Louis Schweitzer et l’économiste Christian Saint-Étienne, organisé par le Figaro Magazine, en mai 2015, Louis Schweitzer nous dit : «Nous avons besoin de notre industrie, c’est une évidence : il n’y a pas dans le monde de puissance économique qui ne soit une puissance industrielle… Même la Suisse est une puissance industrielle de premier plan». Et Christian Saint-Étienne, qui partage totalement les vues de son interlocuteur, nous dit de son côté : «L’industrie est au cœur de l’économie : elle est le moteur des services à forte valeur ajoutée». Jean-Louis Beffa appelle donc notre pays à se lancer dans «la révolution hyper-industrielle» dans laquelle on entre aujourd’hui. Elie Cohen avait d’ailleurs déjà montré le chemin en publiant en 1992 un ouvrage intitulé Le Colbertisme high-tech.

Ce que propose donc Jean-Louis Beffa, c’est «un nouveau pacte national» qui replacerait l’industrie au centre des préoccupations françaises. Les Français ne sont pas faits pour cette jungle darwinienne que représente le modèle d’Adam Smith, ce célèbre économiste partisan de la «main invisible qui conduit à l’harmonie». Selon cet ardent partisan du libéralisme, «la confrontation des égoïsmes mène à l’intérêt général». Ainsi, les États-Unis repartent-ils gaillardement de l’avant, maintenant qu’ils ont le gaz de schistes. Le BCG, dans une étude datant du début 2014, a prévu la création de 2,5 à 5 millions d’emplois d’ici à 2020, du fait du «reshoring» de bon nombre d’industries rapatriant leurs unités de production d’Asie, et d’une énergie devenue soudain bon marché.

Pour ce qui concerne notre pays, Jean-Louis Beffa appelle donc à un sursaut industriel, en en revenant à un modèle de développement dirigiste très encadré par l’État, avec, nous dit-il, un triptyque actionnariat privé / dialogue avec l’État / salariés présents au capital et aux conseils d’administration. Jean-Louis Beffa propose qu’il y ait au moins trois salariés, dont un cadre, dans les conseils d’administration des grandes entreprises. En somme, le modèle de cogestion à l’allemande.

Au moment où s’élaborent les programmes des candidats à la future élection présidentielle, il serait souhaitable que s’inscrive en priorité dans ces programmes cette nécessité de réindustrialiser d’urgence la France en adoptant le modèle «commercial industriel» qui correspond bien à sa culture. Le graphique ci-après qui établit une corrélation entre le taux d’industrialisation des pays et les résultats de leur balance commerciale, indique que l’objectif à viser est une remontée de notre secteur industriel (hors BTP) à 17 % ou 18 % du PIB. On retrouve là, sensiblement, la moyenne des pays européens.

Pour l’instant, dans ce que l’on connaît, du moins, des programmes des candidats à la prochaine élection présidentielle, aucun ne paraît avoir réellement pris la mesure du problème : on attend d’un candidat à la prochaine élection suprême qu’il nous dise que son programme a pour toute première priorité de remonter la production industrielle à 18 % du PIB en adoptant le modèle que Jean-Louis Beffa a appelé «le modèle commercial industriel». Aucun candidat, malheureusement, ne s’exprime de cette manière, tous les candidats de droite proposant des allégements fiscaux plus ou moins importants permettant de rendre nos entreprises plus compétitives. Mais compter que l’on parviendra à totalement reformer la fiscalité de notre pays et à mettre à bas notre monstrueux Code du travail pour laisser les énergies des acteurs privés se déployer pleinement dans un système totalement libéral est, nous semble-t-il, tout à fait illusoire. Le pays n’acceptera pas, on doit le craindre, que l’on procède, comme le demandent les partisans du libéralisme, à la mise à bas du modèle français marqué par l’obsession de l’égalitarisme, un système où l’assistanat est particulièrement développé au détriment des acteurs qui produisent la richesse. Les mouvements revendicatifs qui se sont manifestés, parfois violemment, à propos du projet de loi El Khomri sont un signe de la résistance des couches populaires au changement, et l’on voit mal comment le nouveau pouvoir de droite qui va se mettre en place en 2017 pourrait prendre un jour l’initiative d’ordonner de tirer sur la foule des manifestants pour briser les résistances. Elles seront nombreuses, indéniablement, et elles empêcheront que l’on en vienne à un système libéral intégral, d’autant qu’il faudrait pour que les acteurs privés se mettent vraiment en mouvement que la confiance revienne.

Pour l’instant, il se crée très peu d’entreprises dans le domaine industriel, les statistiques indiquant qu’il s’agit tout au plus de 5 % des créations nouvelles. Si l’on parvenait à remonter la production industrielle à 18 % du PIB, il se créerait environ un million d’emplois dans le secteur industriel, et, par effet induit, 3 à 4 millions d’emplois dans le secteur des services. Ainsi, notre économie retrouverait-elle, alors, ses grands équilibres, et la balance commerciale serait positive chaque année. Le président Mitterrand qui nous avait dit «on a tout essayé» n’avait pas vu où se trouve la solution : il ne faudrait pas que nos nouveaux dirigeants partagent, demain, son aveuglement.

Claude Sicard, consultant international

Pour lire la suite du débat, cliquer ici

 

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1 commenter

Francknel novembre 7, 2016 - 11:43 am

fin de l'industrie
Depuis la fin des années 50, l'industrie en France se meurt par la volonté et l'obscurantisme des politiciens qui ne voient de développement qu'à travers des administrations surpeuplées (copinage, népotisme, électoralisme) et le tourisme qui est et sera toujours aléatoire.

On monte plus de musées que d'ateliers, dommage !

Et la fuite en avant s'aggrave avec des "accords" internationaux de la soit-disante Europe avec des pays producteurs qui ne manqueront pas de nous acculer à la faillite par surpopulation inactive.

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