On parlait beaucoup dernièrement du crowdfunding comme de la solution miracle en passe de résoudre les problèmes de financement des PME. Si cette innovation est globalement positive, il ne faut pas se faire d’illusion sur la conclusion que l’on tirera dans quelques années : une solution risquée pour les petits investisseurs, ou bien alors, qui ne résout que très peu la problématique des start-up.
Quel est le traitement fiscal d’un petit prêteur passant par une plateforme de lend crowdfunding pour financer une entreprise ? Si politiquement la mesure a l’avantage d’apparaitre comme une sorte de « capitalisme populaire », le rendement en capital est à y regarder de plus près, pas tellement impressionnant. Si, en raison du risque substantiel, les taux nominaux affichés sont assez attractifs, de l’ordre de 4 à 9%, en revanche le traitement fiscal l’est moins, puisque les intérêts supportent 15,5% de prélèvements sociaux plus l’impôt sur le revenu. Pour les contribuables les plus aisés (et donc éventuellement les plus à même d’investir substantiellement sur ce type de plateforme) le taux d’imposition peut donc être de plus de 60%.
S’il est vrai que le montant engagé par chaque prêteur pour un projet est assez faible (1.000 euros maximum)[[Pour un montant de prêt total par projet d’un million d’euros maximum.]], il faut souligner par ailleurs le risque important qu’il encourt : entre 1 à 7% de défauts à ce jour selon les plateformes et la définition du taux de défaut choisi. Il faut savoir de plus que ces taux risquent fortement d’être revus à la hausse du fait que l’immense majorité des prêts ne sont pas encore arrivés à terme…
Ayant sans doute constaté la fiscalité particulièrement peu incitative de ce qui promettait pourtant aux yeux de nos politiciens de révolutionner le financement des start-up pour créer une nouvelle Silicon Valley, une petite niche fiscale a néanmoins été introduite juste avant les fêtes, permettant aux particuliers d’imputer leurs pertes sur ce type de prêt dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Dans le détail, on s’aperçoit pourtant que l’avantage consenti est absolument ridicule, puisqu’il s’agit seulement de pouvoir imputer ses pertes sur les intérêts d’autres prêts de crowdfunding qui seraient perçus parallèlement (imputation possible sur un délai de 5 ans).
Donc encore faut-il que le petit particulier qui a eu le coup de cœur pour investir dans telle entreprise perçoive suffisamment d’intérêts les années suivantes via d’autres prêts pour y imputer sa perte… En général en effet les intérêts sont payés avant que les emprunteurs ne fassent défaut. Comme il n’y a pas de report en arrière des déficits pour les particuliers, le prêteur peut commencer par être taxé sur les intérêts des premières années et, lorsque commencent les défauts, ne plus percevoir d’intérêts sur lesquels imputer les pertes. Il pourra ainsi avoir payé des impôts sur une opération perdante !
Au vu de la nature risquée de l’activité de prêt à ces entreprises – qui n’ont souvent pas accès aux banques et pour lesquelles le prêteur n’a pas accès aux comptes – on peut naïvement se demander pourquoi Bercy n’a pas plutôt autorisé l’imputation des pertes sur l’ensemble des revenus. On sait en effet que pour l’immense majorité des particuliers, leurs revenus sont des revenus salariés.
Cette question naïve revient cependant à gravement méconnaitre la religion de la DLF (Direction de la Législation Fiscale), qui n’est autre que celle de la « tunnélisation ». Ou plus précisément le dogme selon lequel on peut imputer ses pertes uniquement sur des revenus de même nature et non pas sur l’ensemble de ses revenus, comme cela se pratique pourtant couramment dans les pays anglo-saxons depuis des décennies. Cette doctrine de Bercy se constatait déjà en cas d’investissement en capital. Malgré un lobbying actif de l’iFRAP, il n’a jamais été possible qu’un contribuable puisse imputer ses moins-values sur l’ensemble de ses revenus. Outre cette limite importante, il faut noter par ailleurs que toutes les plateformes de crowdfunding ne sont pas concernées par la déductibilité, qui exclut les bons de caisse[[Un bon de caisse est un titre de créance remis à un particulier en contrepartie du prêt qu’il a accordé à une entreprise, et qui réclame pour le moment peu de formalisme.]] et donc de fait un certain nombre d’entre elles, officiellement en raison des risques de blanchiment.
On constate donc ici que dans le système actuel le lend crowdfunding a assez peu de chance de devenir rentable – sauf peut-être sur certaines niches. Par ailleurs, quand on connait la rentabilité nulle des investissements réalisés par les réseaux de business angels supposés avisés, on peut honnêtement douter que l’investissement réalisé par le tout venant dans l’equity crowdfunding et dans les mêmes conditions fiscales puisse être davantage rentable. Sans grand risque de se tromper, on peut d’ores et déjà affirmer que l’ambition de François Hollande que la France devienne pionnière du financement participatif n’a absolument aucune chance de se réaliser. Le Royaume-Uni est déjà loin devant nous. La doctrine fiscale française aura été encore une fois plus forte que la volonté d’innover.
La situation française, unique au monde, est en fait très ironique. On crée des taux nominaux d’imposition très forts, ce qui entraîne inévitablement des effets économiques néfastes, pour lesquels on crée ensuite une multitude de niches. Afin d’éviter les abus, on assortit ensuite toutes les niches de tout un tas d’exceptions, sans oublier bien sûr… de les tunnéliser.