De quoi s’agit-il ?
Il est aberrant que la censure du gouvernement puisse être adoptée grâce à l’addition des votes des deux partis extrêmes qui n’ont aucun programme de gouvernement en commun, comme cela s’est présenté trois fois depuis la dissolution du Parlement de 2024. Il a en effet fallu que le RN vote en faveur de la proposition de LFI pour que le censure soit adoptée (LFI se refusant toutefois à voter en faveur d’une proposition émanant du RN). Il s’est agi d’une alliance objective contre nature qui est purement négative et n’est susceptible d’apporter aucune solution.
L’Allemagne1 a introduit dans sa Loi fondamentale de 1949 l’institution de la « motion de censure constructive », dont l’objectif est de ne permettre aux députés de censurer un gouvernement qu’en le remplaçant. Concrètement, la procédure nécessite qu’un quart des députés propose le nom d’un nouveau chancelier en remplacement du chancelier actuel. La proposition fait ensuite l’objet d’un vote à la majorité. En cas de succès, le Président doit nommer ce nouveau chancelier, qui est alors appelé à former son gouvernement, lequel fait encore l’objet d’un vote final d’approbation à la majorité.
A l’origine de cette disposition constitutionnelle, on trouve le mauvais souvenir de l’instabilité gouvernementale qu’a connue la République de Weimar avant le Troisième Reich, marquée par des censures permanentes orchestrées par des alliances objectives entre communistes et nazis, et conduisant à la paralysie politique (14 chanceliers et 16 gouvernements en 14 années). En France, les troisième et quatrième républiques ont d’ailleurs connu les mêmes expériences, et il y eut plusieurs tentatives pour instituer une même règle, la dernière fois sous le gouvernement Pflimlin de 1958, mais elles ont toutes échoué.
L’institution de la motion constructive en France aurait à l’évidence l’effet de rendre impossible la censure du gouvernement comme on l’a vu récemment avec l’alliance contre nature entre LFI et le RN, faute pour ces deux partis de pouvoir s’entendre sur le nom d’un Premier ministre et sur la composition de son gouvernement. De nombreuses voix s’élèvent d’ailleurs en faveur de l’institution, comme celle de journalistes (Alain Duhamel), de personnalités (Daniel Cohn Bendit), de think tanks (Institut Montaigne) etc. Toutefois, on peut se demander si l’introduction dans la Constitution est possible, et aussi quel en serait au final l’effet.
Modifier la Constitution ?
Première remarque, il faudrait toucher à un principe essentiel de la Vème République comme celui de la désignation du Premier ministre par le Président de la République. L’Allemagne n’a pas un régime semi-présidentiel comme celui taillé en 1958 pour la personne de Charles de Gaulle, et on peut estimer que la renonciation à ce principe français ne serait pas compatible avec la Vème République et nécessiterait l’adoption d’une nouvelle Constitution. Qui pour s’en charger ?
D’une façon générale, la procédure de révision de la Constitution est définie à l’article 89 de la Constitution. L’initiative revient soit au président de la République, soit aux membres du Parlement.
Si la révision est à l’initiative du Parlement, elle doit être approuvée par référendum. Si elle est lancée par le président de la République, elle peut être approuvée par référendum ou par 3/5e des membres du Parlement réunis en Congrès.
On voit difficilement comment un tel référendum à l’initiative du Président de la République pourrait recevoir l’approbation des citoyens dans les circonstances actuelles. Quant à une initiative parlementaire dans le même sens, on l’estime peu probable dans la mesure où son effet premier serait une diminutio capitis infligée aux députés.
Pour quel résultat final, si ce n’est l’impuissance étatique ?
Certes, l’exigence de la motion constructive rendrait impossible la censure par alliance contre nature de deux partis incapables de s’entendre. Mais pour autant, comment le gouvernement en place serait-il en mesure de faire voter des lois faute de majorité ? Ne ferait-on pas que déplacer le problème sans le résoudre ?
En Allemagne, l’institution n’a été utilisée que deux fois depuis 1949, et n’a réussi que lorsque Helmut Schmidt a dû laisser la place à Willy Brandt, mais il faut noter que tous deux faisaient partie de la CDU. L’Allemagne utilise en revanche souvent la motion de défiance pour contraindre la décision de dissolution prise par le Président. Cette motion est l’équivalent de l’article 49-1 de la Constitution française, utilisé récemment par François Bayrou dans les circonstances que l’on connaît, mais non suivi par une dissolution.
En Belgique, malgré l’institution de la motion de censure constructive, le pays s’est trouvé sans gouvernement de plein exercice pendant 541 jours en 2010 et 652 jours en 2018. Ce qui démontre bien que cette institution n’est pas la panacée.
En réalité, le bon fonctionnement d’un régime parlementaire nécessite une culture nationale du compromis. Cette culture existe en Allemagne, mais pas en France, en raison essentiellement de l’existence d’un parti révolutionnaire opposé à tout compromis mais qui a réussi jusqu’à maintenant à entraîner avec lui les lambeaux d’un parti socialiste à la dérive et les cohortes étourdies d’un parti écologiste s’occupant de tout sauf d’écologie responsable. Il ne reste qu’à espérer qu’un consensus suffisant puisse être atteint grâce à une dissolution anticipée suivie d’une élection ne conduisant pas à la réconciliation des gauches sous l’égide de sa partie la plus extrême.
- Au niveau fédéral comme à celui de la plupart des Etats fédérés, mais aussi en Belgique, Espagne, Pologne, Slovénie et Hongrie.
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