Page d'accueil Études et analyses Comment les conclusions de l’Université d’été d’Aix-en-Provence éclairent la compréhension du cas français

Comment les conclusions de l’Université d’été d’Aix-en-Provence éclairent la compréhension du cas français

par Claude Sicard
277 vues
image2-4.jpg

La dernière Université d’été d’Aix-en-Provence s’est tenue les 20, 21 et 22 juillet 2023, et comme à l’accoutumé ce fut un réel succès : plus de 150 personnes ont suivi les conférences et les débats. Elle a réuni bon nombre de grands noms français et étrangers de diverses disciplines, et tout spécialement des économistes très connus. Le thème cette année était : « Comment gérer le risque ».

Article paru sur Contrepoints le 7 Septembre 2023

Comment les conclusions auxquelles sont parvenus tous ces experts s’appliquent au cas français ? Nous allons voir qu’il en ressort que les dirigeants de notre pays ont très mal géré le risque.
Pierre Garello, président de cette grande manifestation, a eu l’amabilité de nous indiquer brièvement dans un article paru sur Contrepoints le 16 août dernier les conclusions qui se sont dégagées de ces débats.

Elles sont, nous dit-il, au nombre de trois :
1-Savoir reconnaitre une situation de crise
2-Prendre une décision
3-Avoir des connaissances

Pierre Garello nous dit : « Dans le monde actuel, le déni est en train de devenir une spécialité européenne : on essaie de cacher la crise sous le tapis ». Ainsi, dans le cas de notre pays, nos grands dirigeants ont-ils, très longtemps, refusé de voir que l’économie du pays était en crise : on n’a donc pas pris de mesures pour y remédier ; et lorsque l’on a finalement pris conscience que notre économie était en grande difficulté, et qu’il fallait agir, les connaissances ont manqué pour prendre les bonnes décisions.
Nous allons voir comment nos gouvernants ont agi, et où nous en sommes actuellement.

1-Ne pas savoir identifier une situation de crise

Le service des statistiques des Nations Unies a publié il y a quelques années les résultats d’une étude montrant comment ont évolué sur une longue période les économies d’un certain nombre de pays, et ils s’en est référé pour cela à l’évolution des PIB/capita, cet indicateur caractérisant bien la richesse des pays et leur évolution. Nous reproduisons ci-dessous ces données, pour quelques pays européens, en rajoutant le cas d’Israël qui est tout à fait exceptionnel :

PIB/tête (US dollars courants)
1980 2000 2017 Multiplicateur
Israël 6.393 21.990 42.452 6,64
Espagne 6.141 14.556 28.356 4,61
Suisse 18.879 37.937 80.101 4,25
Danemark 13.881 30.734 57.533 4,13
Allemagne 12.091 23.929 44.976 3,71
Pays-Bas 13.794 20.148 48.754 3,52
Suède 16.864 29.292 54.043 3,21
France 12.669 22.161 38.415 3,03

(ONU : Statistics Division)

Tout au long de cette période, les performances de l’économie française ont été très mauvaises, ce qui, curieusement, n’a pas préoccupé nos responsables politiques. À croire qu’ils ne s’en sont pas aperçu ? Ils s’en sont tenus, chaque fois, à des données portant sur le court terme : les tableaux publiés par l’INSEE, en effet, ne font jamais que comparer les derniers chiffres de PIB à ceux de la même période de l’année précédente, et l’on raisonne donc soit sur des données trimestrielles, soit, au mieux, sur des données annuelles. On est donc en permanence sur des problèmes conjoncturels et non pas sur des analyses de fond portant sur le long terme. On n’a donc pas vu – ou voulu voir – que l’économie française fonctionnait mal : le seul signal d’alerte était le taux du chômage, un taux en permanence bien plus élevé que partout ailleurs, un taux que nos dirigeants se désespéraient de ne pas pouvoir réduire, mais sans chercher à comprendre quelle en était la cause réelle. Les quelques acteurs qui s’en sont aperçu, et il y en eut bien sûr, n’ont pas été écoutés : s’attaquer à des problèmes de fond est toujours difficile, et on préfère les mettre « sous le tapis ». Finalement, il a fallu la crise sanitaire de la Covid-19, début 2020, pour faire prendre conscience à nos dirigeants que notre pays souffrait de désindustrialisation ; on a vu, alors, que notre pays ne produisait plus grand-chose lui-même et que nous importions tout de l’étranger, y compris nos médicaments ! Même la crise des Gilets jaunes qui avait éclaté en novembre 2018 n’avait pas servi de révélateur alors qu’elle était l’illustration même d’une crise causée par la désindustrialisation du pays : chômage très important, appauvrissement de grand nombre de personnes dans les campagnes et désertification du territoire dans les périphéries urbaines. Et lorsque nos gouvernants ont pris conscience de la grave désindustrialisation dans laquelle se trouvait le pays, ils ont uniquement perçu le problème de la sécurité de nos approvisionnements, manquant de repérer celui de l’appauvrissement général du pays. Un pays qui se désindustrialise, s’appauvrit.

2-Prendre une décision

Dans son article, Pierre Garello explique : « C’est à travers les crises que l’on affirme sa volonté, que l’on trace un nouveau cap compatible avec notre objectif à long terme ». Sitôt, donc, que l’on a découvert que notre pays était très gravement désindustrialisé, qu’a-t-on fait ? On a pris des mesures pour le réindustrialiser, mais sans avoir perçu, semble-t-il, que la réindustrialisation du pays était l’élément clé du redressement de notre économie. Notre Président a lancé, en mai 2021, le « Plan France 2030 » en y consacrant un budget de 30 milliards d’euros. C’est là un bon début, mais il s’agit d’un plan très insuffisant : ce n’est évidemment pas avec un budget de 30 milliards d’euros que l’on va parvenir à redresser une situation qui n’a pas cessé de se dégrader depuis une quarantaine d’années, c’est-à-dire depuis la fin des Trente Glorieuses.
Il y avait eu, précédemment, du fait de la crise sanitaire, le « Plan France Relance », lancé en septembre 2020, volet français d’un vaste plan européen (la NextGenerationEU : plan de Relance pour l’Europe) destiné à faire redémarrer les économies des pays européens, mises en sommeil par la crise de la Covid-19. C’est à cette occasion que l’Union Européenne a contracté, pour la première fois, un vaste emprunt européen. Le plan français a été doté d’un budget de 100 milliards d’euros, dont 40 milliards fournis par l’Union Européenne, et il a comporté trois volets : la transition écologique, la compétitivité et la cohésion des territoires. Et lorsque le Plan France2030 a été lancé par Emmanuel Macron, il restait un solde de 24 milliards d’euros disponible qui a été intégré dans le nouveau plan.

Le « Plan France 2030 » comporte 10 objectifs, dont :
– faire émerger des réacteurs nucléaires de petite taille (SMR) ;
-devenir le leader de l’hydrogène vert ;
-décarbonner notre industrie ;
-produire un avion bas carbone.

Il s’agit donc, enfin, d’un plan centré sur l’industrie. Mais il y avait aussi deux autres préoccupations : «investir dans une alimentation saine et durable », et « placer la France en tête de la production de contenus culturels et créatifs ». On en est donc là, actuellement, et la réindustrialisation du pays est en route, mais à un rythme totalement insuffisant, alors qu’il y a urgence à redresser notre économie. On estime qu’il y a aussi d’autres priorités, parmi lesquelles la lutte pour le climat et la réduction des inégalités sociales. En 2022, il s’est créé 35.000 emplois nouveaux dans l’industrie, dont 5.000 dans de nouvelles usines (Trendeo) : c’est très insuffisant pour redresser notre situation.

3-Avoir des connaissances

Ce qui a manqué à nos dirigeants, c’est la connaissance du rôle clé joué par l’industrie dans la création de richesse des pays. Jusqu’à une période toute récente, en effet, ils se sont trouvés nourris à l’idée qu’une société moderne est une société « post-industrielle », c’est-à-dire une société avec une économie fondée exclusivement sur des activités tertiaires. C’est la conclusion erronée à laquelle étaient parvenus les sociologues au vu des travaux de Jean Fourastié qui avait, on s’en souvient, publié en 1952 un ouvrage qui fit grand bruit : Le Grand espoir du XXe siècle ( Galimard, Idées-nrf) dans lequel il démontrait que, à mesure qu’un pays se développe, il passe du secteur primaire, l’agriculture, au secteur secondaire, l’industrie, puis ensuite du secteur secondaire au secteur tertiaire, celui des services. Ils n’ont pas vu que Fourastié avait raisonné sur les emplois et non sur des valeurs ajoutées : dans un pays moderne, les emplois industriels diminuent, certes, mais du fait que la productivité croît très rapidement dans l’industrie, la valeur ajoutée par travailleur augmente très vite, ce qui fait que le secteur industriel continue à tenir une place relativement importante dans le PIB des pays. Le sociologue qui a diffusé en France le concept de « société post- industrielle » est Alain Touraine, alors figure majeure de la scène intellectuelle française qui avait publié, en 1969, un ouvrage intitulé La Société post-industrielle (Denoël, 1969). On admit ainsi pendant des dizaines d’années la thèse de ce grand sociologue, ce qui explique que nos dirigeants successifs ne se soient pas émus, comme ils auraient dû le faire, du déclin de notre industrie. La France est aujourd’hui le pays d’Europe qui est le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part.

Le graphique ci-dessous montre la corrélation très étroite existant entre le niveau de la production industrielle dans les pays, calculée par habitant, et les PIB per capita de ces pays.

image2-4.jpg
(Production industrielle, yc la construction : Source BIRD, année 2018)

La corrélation est excellente (0,94), et l’on voit que la France, avec une production industrielle faible de 6.432 US$ par habitant, a un PIB/capita de seulement 39.030 US$ ; l’Allemagne, avec un ratio bien meilleur de 12.279 US$, a un PIB/capita de 46.208 US$, et la Suisse, avec un chiffre record de 22.209 dollars, en est à un PIB/capita de 87.097 dollars, le plus fort d’Europe. Ce qui s’est produit, c’est que nos effectifs industriels n’ont pas cessé de fondre depuis la fin des Trente Glorieuses et le secteur de l’industrie ne contribue plus, aujourd’hui, que pour 10% à la formation du PIB (industrie manufacturière, hors construction) alors que ce taux devrait se situer pour le moins à 18 %.

Il ne fait donc pas de doute que c’est à cause de l’amenuisement de notre secteur industriel que l’économie de notre pays a crû moins vite depuis la fin des Trente Glorieuses que celle des autres pays européens, et le redressement de notre économie passe par la reconstitution du secteur industriel. Le Plan France 2030 va bien dans le bon sens, mais il est très insuffisant, et trop sélectif en matière de projets pouvant bénéficier d’une aide de l’État : 54 milliards d’euros sont prévus pour cela.
Nous avons montré, dans d’autres articles, que, s’agissant de remonter à 18 % le taux de participation de l’industrie à la formation du PIB, il faudra pour y parvenir permettre à l’État d’accorder des aides à l’investissement très substantielles, quel que soit le type d’industrie. Nous avons estimé qu’il faudrait prévoir environ 150 milliards d’euros d’aides publiques : mais on va buter, alors, sur les règlementations européennes qui n’autorisent des aides à l’investissement que dans des cas très limités.

Il faudra donc que nos gouvernants puissent convaincre la Commission Européenne que ces aides sont indispensables. La France est un pays sinistré, et le relèvement de l’économie du pays requiert que l’on ait recours à des mesures exceptionnelles, faute de quoi le pays continuera à s’endetter un peu plus chaque année, ce qui est contraire aux intérêts mêmes de toute la zone euro. Actuellement, les investisseurs se précipitent aux États-Unis pour profiter du vaste plan lancé en août 2022 par le président américain Joe Biden, le plan IRA (Inflation Reduction Act) doté d’un budget de 370 milliards de dollars. Le président américain avait déclaré pour convaincre le Congrès de la nécessité de son plan : « Un pays peut être transformé : c’est ce qui se passe aujourd’hui ».

Il va falloir, maintenant, dans le cas de notre pays, agir avec la même lucidité que Joe Biden : notre pays est à transformer et il est temps de le faire.

 

image2-4.jpgarchitecture-2267789_1280.jpg

Tu pourrais aussi aimer

2 commentaires

moulin septembre 14, 2023 - 8:59 pm

Du bon Sicard pur jus et ??? université Garello?
Du bon Sicard pur jus et ??? université Garello?

le billet décrit la situation et pourquoi il faudrait…

Mais c’est un sujet bcp plus complexe de relancer l’industrie . Ya-t-il des exemples réussis qq part ?

Et au delà des dirigeants quelles pourraient être les causes venant de la population et des administrations, educ nat & territoriales?

Répondre
zelectron septembre 26, 2023 - 6:45 pm

Comment les conclusions de l’Université d’été d’Aix-en-Provence obscurissent la compréhension du cas français
La quasi-totalité des personnes (fort honorables par ailleurs) n’a jamais mis ses mains dans le cambouis et à ce titre feraient bien d’aller y voir.
On peut ajouter que les universitaires y compris « spécialement des économistes très connus » ont une tendance pour ne pas dire qu’il sont plongés jusqu’au cou dans des théories marxisantes ou pikettisantes, ce qui signifie qu’il ne pourra rien en sortir d’exploitable. Il a fallut une seule génération (depuis Mitterrand) pour détruire l’industrie et se ramifications et certains veulent nous faire avaler qu’en un seul claquement de doigt les manufactures vont renaitre : on se goberge !

Répondre

Laissez un commentaire

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d’accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus

Privacy & Cookies Policy