La comparaison entre la façon dont Bercy a traité la création d’entreprises de croissance, à fort potentiel d’emplois et la façon dont cela s’est passé au Royaume-Uni est éclairante : les chiffres jettent un jour particulièrement inquiétant sur la responsabilité de ceux qui dans notre haute administration sont en charge de notre fiscalité et de son impact sur la croissance.
Dans la plupart des pays de l’Ouest, l’Allemagne étant un cas à part sur lequel nous reviendrons, il est admis que ce sont les entreprises qui ont la principale charge d’embaucher et de créer des emplois, et notamment les entreprises jeunes fortement créatrices d’emploi qu’on appelle souvent gazelles, les emplois-jeunes de Martine Aubry ou les emplois d’avenir de François Hollande devant être des expédients temporaires.
Mais ces gazelles sont fort consommatrices de capitaux ; il leur faut en moyenne trouver 500.000 euros et l’innovateur a rarement les moyens personnels de les mettre, il doit donc trouver des apporteurs de capitaux qui ne pouvant pas être le capital-risque ni a fortiori l’tat ou les banques, ne peuvent être que des investisseurs privés.
L’État donne à l’investisseur un avantage fiscal, une niche fiscale, pour réduire le risque très élevé des créations, puisque la moitié des entreprises nouvelles ont disparu au bout de 5 ans. Cette idée a inspiré l’Avantage Madelin en 1994 et l’ISF-TEPA en 2007. Les Anglais débutaient la même année 1994 une mesure similaire : l’Enterprise Investment Scheme, EIS, avec un avantage un peu plus faible : une déduction sur l’impôt sur le revenu de 20% contre 25% en France.
Mais les deux dispositifs s’écartaient sur deux points fondamentaux. Le premier est que dès sa création l’EIS prévoyait un plafond par contribuable de 100.000 livres, le Madelin, de 10.000 euros, dix fois moins ; le second était que l’avantage fiscal anglais était fortement encadré pour être dirigé vers des projets à risque, pas vers des caves à cigares ou des sociétés de locations de matériel à revenus quasiment assurés comme on l’a vu en France. Et l’observation de ces conditions était assurée par un «rescrit », une approbation de l’administration, préalable à l’avantage fiscal. Les Anglais ont même créé un service spécial au sein de la Treasury, avec deux antennes en province pour être capables de délivrer ces rescrits en un mois. Pour les Français au contraire, il suffisait de cocher une case sur la déclaration d’impôt sur le revenu.
Les résultats se voient sur les déclarations d’impôts 2008 : des montants investis de volume comparable, 760 millions d’euros en France, 760 millions de livres au Royaume-Uni, mais 115.000 déclarants en France, 11.000 seulement outre-manche et des montants apportés unitaires moyens de 6.500 euros d’un côté, de 70.000 livres (environ100.000 euros) de l’autre. Les entreprises bénéficiaires anglaises ont reçu en moyenne 300.000 livres deux années de suite, pas loin du million d’euros. Cette manne a ajouté chaque année au parc anglais un millier de « gazelles », les jeunes entreprises à forte croissance. En France, le retard en nombre de PME, d’ETI, Entreprises de Taille Intermédiaire, ou de taille supérieure à 5.000 salariés ne s’est pas réduit et est resté moitié du nombre constaté en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Lorsqu’on dénombre les « gazelles »en 2005-2008, elles étaient 3.000 au Royaume-Uni contre 600 en France. C’est une différence en emplois annuels créés de plus de 100.000. Même avec leur crise, le taux de chômage anglais n’a pas dépassé 8%, nous allons franchir allègrement les 10%.
Certes, les petits apports français de 6.500 euros ont aidé à la création de petites entreprises et petits boulots ; la moitié des 700.000 emplois créés en 2005-2008 l’ont été dans les services à la personne. Mais ces services représentaient seulement 50.000 des 2,3 millions d’emplois créés par les Allemands dans cette période. Les services à la personne n’aident guère la balance de nos exportations et ils coûtent cher au budget.
Dans son rapport de 2011 sur les niches fiscales, l’Inspection des finances se plaint à plusieurs reprises et particulièrement à propos du second avantage fiscal, l’ISF-TEPA, de ce qu’il n’y ait eu aucun encadrement ni contrôle du résultat des avantages fiscaux consentis. Mais on retrouve les mêmes errements : alors que les Anglais augmentaient le plafond de l’EIS au million de livres, le plafond français d’investissement à 66.666 euros conduisait à des investissements directs moyens de13.500 euros. Cela a-t-il un sens d’organiser un contrôle sur des sommes aussi minuscules ? Le contrôle aurait coûté plus cher que les sommes contrôlées.
Le paradoxe est que les niches fiscales françaises pour les créations d’entreprises ont non seulement échoué mais ont coûté beaucoup plus cher que l’EIS anglais, jusqu’au milliard en 2008-2009 contre 180 millions de livres outre-manche, quatre fois moins.
Ce gâchis, tant au niveau de l’argent dépensé que de l’absence de résultat tangible, est la conséquence directe du laxisme de Bercy qui en fixant des plafonds trop bas et en ne contrôlant pas, assurait l’échec des mesures fiscales et faisait conclure à l’inutilité de niches fiscales et proposer leur disparition.
investissements | Madelin 2008 | EIS 2007-08 |
montants investis en millions | 740 € | 760 £ |
nombre souscripteurs | 112.700 | 11.000 |
montant moyen par souscription | 6.566 € | 69.000 £ #100.000 € |
type | coût fiscal | nombre investisseurs | limite plafond | investissement moyen |
FIP | 73 m € | 21.799 | 10.000 € | 3,350 € |
FCPI | 40 m € | 12.652 | 18.000 € | 3,100 € |
Holding | 185 m € | 17.305 | 45,000 € | 10,700 € |
Inv.direst | 420 m € | 32.051 | 45,000 € | 13,120 € |
Source : rapport de l’Inspection des finances 2011 sur niches fiscales |
3 commentaires
Comment Bercy a torpillé la création d’entreprises de croissance
Bravo Bernard pour ton initiative.
Mieux tu garderas un discours de clinicien apparemment dépassionné , mieux tes observations passeront au milieu des passions qui nous gouvernent;
Bon courage et bien amicalement à toi.
Comment Bercy a torpillé la création d’entreprises de croissance
Il est totalement anormal, que la médiocrité de nos hauts fonctionnaires n’amène aucune sanction, alors que Mr Kerviel, tout en bas de l’échelle se fasse condamner à de la prison ferme et à des Milliards d’amende, sans avoir ni chercher à nuire à son employeur, ni avoir bénéficié d’un enrichissement personnel.
Comment nous Français pouvons nous mettre fin à ce pillage des richesses, que nous peinons tant à créer? Devons nous reprendre fourches et pics et aller couper des têtes????
Comment Bercy a torpillé la création d’entreprises de croissance
Bercy, premier fossoyeur d’emplois en France !