La première faute des députés est d’avoir rompu le huis clos du témoignage de Pierre de Villiers à la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Certes les propos du plus haut gradé des militaires (« je ne me laisserai pas baiser comme ça ») étaient choquants. Ce n’était pas une raison pour les publier. Si des députés publient des témoignages à huis clos, leurs collègues de la Commission de la Défense ne seront plus informés correctement par les fonctionnaires qu’ils reçoivent. Leur mission de contrôle ne pourra pas être remplie.
La deuxième faute des députés de cette Commission est bien plus grave et n’est pas récente. C’est l’insuffisance de leur contrôle de l’utilisation du budget militaire. Si ces députés faisaient sérieusement leur travail, ils dénonceraient tous les gaspillages de ce budget. Les députés anglais le font, et leurs contrôles ont rendu les armées anglaises plus performantes que les nôtres, à un coût inférieur.
Quelques exemples de ces gaspillages, dont aucun n’a été dénoncé par nos députés :
– Les crédits de la force de dissuasion. Sa principale composante est constituée par les missiles porteurs de bombes atomiques que transportent nos quatre sous-marins lanceurs d’engins. Les missiles M45 ont fini d’être installés en 1999 à bord de ces sous-marins. Dès 2 010 on commençait à les remplacer par des missiles M51 à plus longue portée (8 000 km contre 6 000). Il a fallu mettre au rencart les M45 et transformer l’intérieur des sous-marins. Cette dépense considérable (15 milliards d’euros) n’a jamais été justifiée. Les Américains gardent plus de 50 ans leurs missiles intercontinentaux Trident 2 et Minuteman 3, les Français moins de 15 ans les leurs. En outre trois sous-marins suffiraient pour qu’il y en ait un en permanence à la mer. La « composante aérienne » de notre force de dissuasion a été conçue pour bombarder Moscou avec deux ravitaillements en vol, mais nos avions, n’étant pas furtifs, ont peu de chances d’atteindre leur cible, et encore moins de revenir. Le ministre Hervé Morin voulait supprimer cette « composante aérienne » inutile, comme l’ont fait les Anglais. Nicolas Sarkozy ne l’a autorisé qu’à en supprimer la moitié. Le « laser mégajoule » en cours de construction à côté de Bordeaux est une machine supposée simuler l’explosion d’une bombe atomique (puisque nous ne pouvons plus faire d’essais en vraie grandeur). C’est une copie à l’identique d’une machine californienne en avance de plusieurs années, que les Américains étaient prêts à mettre à notre disposition. Un prétendu impératif d’indépendance nationale nous a obligés à en construire une, pour un coût supérieur à quatre milliards.
Nos 120 missiles nucléaires terrestres Hadès sont entrés en service en 1992. Leur portée ne dépassait pas l’Allemagne de l’Est. Devant les protestations des Allemands, Jacques Chirac les a fait détruire peu après leur mise en service (coût inutile : 3 milliards d’euros).
En matière de dissuasion nucléaire, les gaspillages ont été et sont toujours considérables. Jamais les députés de la Commission de la Défense n’en ont dit un mot.
– Nous avons 1 021 chars de combat. Les Anglais en ont 386, sans que nos armées soient considérées comme supérieures aux leurs. Car environ la moitié de nos matériels, chars, avions, hélicoptères et autres, sont en panne, non pas, comme on l’entend dire, par manque de crédits d’entretien, mais par la mauvaise organisation de leur entretien et notamment de la gestion des pièces de rechange. Plus de la moitié de nos hélicoptères militaires sont ainsi en panne alors que ceux de la gendarmerie le sont très rarement. De plus « une année entière peut se passer entre la constatation d’une panne et l’arrivée du matériel dans l’usine de l’industriel » a indiqué à l’Assemblée le Président de Thalès, fabricant français d’armements. Si nos militaires organisaient correctement l’entretien de leurs matériels, nous pourrions avoir la même quantité de matériels disponibles en réduisant de moitié nos achats d’équipements.
– Nos achats d’armements sont faits par une administration spéciale (la Délégation générale pour l’Armement), qui est un intermédiaire coûteux entre les militaires utilisateurs et les fournisseurs. Elle répond davantage aux besoins des constructeurs d’armements français, qui dépendent d’elle, qu’à ceux des militaires. Les Anglais n’ont pas ce genre d’administration, et ne s’en portent pas plus mal.
– D’après l’OTAN, nos effectifs militaires sont supérieurs de 30 % à ceux des Anglais. Mais, comme les durées de séjour à l’étranger de nos militaires sont de 4 mois, contre 6 pour les Anglais, nous ne pouvons « projeter » à l’extérieur que 60 % de ceux « projetables » par les Anglais. Refusant de sous-traiter de nombreuses tâches au secteur privé, nos militaires emploient des effectifs pléthoriques : 12 sage-femmes, 647 professeurs agrégés ou certifiés, 1 240 personnes dans les services de communication, 1 411 personnes au service des essences, sans oublier les cuisiniers, coiffeurs, jardiniers, etc. L’administration centrale (4 800 personnes) compte 43 directeurs ou sous-directeurs et 161 chauffeurs. Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, a déclaré à l’Assemblée qu’elle avait « sauté au plafond » quand il lui fût proposé d’organiser un concours pour le recrutement d’un jardinier pour le ministère ! Le nouveau siège du ministère à Balard est au moins deux fois plus grand qu’il ne devrait être. En outre les ministres n’ont pas voulu s’y installer, préférant garder l’hôtel de Brienne dans le centre de Paris.
– Le ministre Hervé Morin avait pu réduire nos effectifs militaires en créant des « bases de défense » traitant les problèmes d’intendance, d’achats, de gestion du personnel communs aux trois armes. Ces bases sont encore trop nombreuses et leur nombre devrait être réduit.
– Les primes de nos militaires sont variées et compliquées. Quand le système de paie des aviateurs, dénommé Louvois, a été étendu à l’armée de terre, il a été incapable de calculer correctement les soldes et a dû être abandonné pour cette arme, 17 ans – et des millions perdus – après son lancement.
– Nos dépenses de pensions militaires sont le double de celles des Anglais.
Bref les députés de la Commission de la Défense ne manqueraient pas de travail s’ils cherchaient à améliorer l’efficacité de notre budget militaire. C’est à eux, et non aux fonctionnaires de Bercy, de contrôler ce budget. Ils n’auraient aucun mal à trouver les 850 millions d’économies demandés aux armées.
Mais comme ils préfèrent défendre les intérêts des militaires et ceux des fabricants d’armements qui se cachent derrière eux, l’opinion n’est pas informée des économies possibles et soutient ceux qui prétendent qu’on est arrivé « à l’os ».
En prouvant qu’il n’avait pas peur de heurter l’opinion publique, toujours très favorable à la cause des militaires, le Président de la République a montré à l’ensemble des fonctionnaires qu’il donnait la priorité à la nécessité pour notre pays de baisser ses dépenses publiques.
La France garde ainsi une petite chance de redresser son économie.
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Budget militaire : Ni le président, ni le chef d’Etat-Major ne sont les premiers fautifs, ce sont les députés
Merci pour cet article très instructif mais aussi, hélas, effarant dans les constatations qu’il décrit.
Existe-il un seul des grands média dans notre pays (presse papier non people) pour informer les français comme vous le faites ? Apparemment aucun.