Les gouvernements successifs se plaignent du peu de création d’emplois par les entreprises : ils oublient que la fiscalité française a totalement dissuadé les investisseurs potentiels d’investir dans les start-up.
On vante souvent le dynamisme entrepreneurial des États-Unis, mais souvent sans avoir pris conscience de sa cause. Si ce dynamisme est si fort outre-Atlantique c’est bien en raison de la présence de business angels, investisseurs personnes physiques qui investissent directement leur propre argent dans des start-up, en plus de leur apporter leur expérience et leur réseau. Le schéma ci-dessous illustre bien les différentes étapes de financement d’une start-up au fur et à mesure de sa croissance.
– C’est d’abord la love money ou les FFF (Family, Friends and Fools[[Famille, Amis, Idiots]]) qui interviennent, quand les besoins de financement sont inférieurs à 100.000 ou 200.000 euros. Aux États-Unis, ce sont environ 75 milliards de dollars qui sont investis dans les 500.000 entreprises employeuses nouvellement créées chaque année ;
– Pour des besoins de financement plus importants, ce sont les business angels qui vont prendre le relai : soit environ 20 milliards de dollars investis chaque année dans 25.000 petites entreprises qui connaissent une forte ou assez forte croissance ;
– Pour des besoins de financement supérieurs au million de dollars, ce sont 15 milliards de dollars qui sont investis par le capital-risque, dans 1.500 entreprises à fort potentiel ayant déjà atteint une taille relativement importante.
Si l’on compare ces chiffres avec les chiffres français, on constate que chez nous, la situation n’est pas du tout la même.
– La partie gauche du diagramme ci-dessous représente par tranche moyenne de capitaux les montants totaux du capital social, levé à leur création par les entreprises à statut commercial en 2004 : c’est la love money ou les FFF ;
– La partie droite représente les capitaux investis par les adhérents de l’AFIC – principale association de capital-risque – en 2008.
On voit donc que les capitaux recueillis par la love money atteignent environ 4 milliards d’euros et que le capital investi par le capital-risque environ 10 milliards d’euros. Entre les deux, les montants investis par les business angels ne sont pas représentés mais nous allons voir qu’ils sont extrêmement faibles, sans commune mesure avec les capitaux investis par les business angels américains.
Pour trouver les investissements totaux réalisés par les business angels, il n’existe malheureusement aucun chiffre. Ils correspondent en effet au total des investissements réalisés par les business angels de réseaux – partie visible – et les investissements réalisés par les business angels indépendants – partie invisible non connue. On sait que les capitaux recueillis par les réseaux de business angels en France sont de 35 millions d’euros en 2014. En prenant l’hypothèse qu’il ne représente que 10% de l’investissement total (ce qui est par exemple le ratio de répartition au Royaume-Uni), le total serait donc au mieux de 350 millions d’euros. Une étude du Centre for Strategy and Evaluation Services estime même que la part visible serait de 70% et non 10%, ce qui, si le chiffre est vrai, revient à rendre un diagnostic encore plus grave.
Pourquoi ces montants sont-ils si faibles ?
De l’avis des personnes qui investissent via des réseaux de business angels, les montants investis sont faibles car investir dans une start-up dans le contexte fiscal français confiscatoire, cela revient pratiquement à de l’apostolat. Pour bien comprendre, rappelons qu’investir dans une start-up est une activité hautement risquée. Comme en témoignent les chiffres de l’INSEE, 50% des entreprises créées ferment dans les 5 ans après leur naissance. Ainsi, sur 10 start-up dans lesquelles un investisseur investit, cinq vont fermer, quatre vont vivoter et une va véritablement réussir.
Un système qui rend difficile la récupération des pertes et la très forte la taxation des gains est donc un système mortifère pour les business angels et donc pour les start-up. Malheureusement, la France se trouve précisément dans un tel système :
– les plus-values sont très fortement taxées en France ;
– les moins-values difficilement déductibles des revenus.
Aujourd’hui, les business angels des réseaux avouent donc investir une partie substantielle de leur temps et de leur argent… pour une rentabilité moyenne avoisinant zéro.
Taxation des plus-values
La principale motivation d’un business angel est la plus-value, or celle-ci a été tuée en France. Un business angel français « typique »[[ Cessions de titre de PME au sens communautaires, acquis ou souscrits dans les 10 ans de leur création+ hypothèse d’une imposition sur le revenu de 45%, d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 4% et d’une CSG déductible de 5,1% en année n-1. Voir : http://www.bnpparibas.net/banque/PA_CanalnetApp/documentum/canalnet/public/PDF/Cession_2014_20140512121756.pdf]] se verra appliquer un taux effectif de taxation sur les plus-values entre 33% et 39% environ, tandis que par comparaison un business angel typique britannique[[Qui passent par le dispositif EIS (Enterprise Investment Scheme)]], belge[[La cession doit avoir un caractère non spéculatif sinon on lui applique un taux de 33%. Par ailleurs, la cession ne doit pas porter sur des participations substantielles (plus de 25% du capital au cours des 5 dernières années) à une personne morale non résidente de l’Espace Économique Européen, sinon on lui applique un taux de 16% ;]] ou suisse se verra appliquer un taux de 0%. Aux États-Unis le taux sera de 15%, assorti d’un système de récupération des pertes particulièrement avantageux. On constate donc que le business angel français est particulièrement mal loti lorsqu’il fait un gain.
Moins-values difficilement déductibles des revenus
On constate également en France la non déductibilité des moins-values sur les autres revenus. Lorsqu’un investisseur fait une moins-value ou une perte totale suite à un investissement à risque dans une entreprise, il ne peut imputer cette perte que sur les revenus de même nature, à savoir les plus-values de cessions. Aucune imputation sur les revenus salariés – qui sont les revenus principaux d’un grand nombre d’investisseurs – n’est donc possible. Le problème est aussi que les plus-values sont immédiatement constatées lors de la revente alors que pour les moins-values, comme il n’y a pas de revente, il faut attendre l’élément juridique attestant de la moins-value. Il faut donc au minimum que la société ait déposé le bilan, ce qui peut n’intervenir que longtemps auprès qu’il soit apparu que l’investissement était devenu sans valeur. Ainsi, seuls les business angels incorporés ayant une société commerciale peuvent à peu près s’en sortir car ils peuvent alors provisionner dans leurs comptes une participation qui ne vaut plus rien et donc compenser leurs gains et leurs pertes.
On constate qu’une telle situation n’existe pas au Royaume-Uni, où les moins-values de cession sont déductibles de l’assiette de l’impôt sur le revenu[[Qui passent par le dispositif EIS (Enterprise Investment Scheme)]]. Aux États-Unis, les actionnaires imputent sur leur revenu leur part dans les résultats des S corporations[[Toutes les entreprises américaines ou presque naissent sous ce statut.]], donc les pertes initiales des jeunes sociétés viennent en déduction de l’assiette de l’impôt sur le revenu. Dans les deux cas, l’État prend donc à sa charge environ la moitié de la perte de l’investisseur (en fait à hauteur du taux marginal d’imposition de l’investisseur).
Comme démontré de nombreuses fois sur ce blog[[Voir par exemple, sur la loi Macron ]], les start-up à forte croissance sont la clé de la création d’emplois en France. Or, sans business angels, pas de start-up à forte croissance. Seule une fiscalité incitatrice en direction de ces investisseurs pourra donc relancer durablement la création d’emplois en France
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Startuper innovant mais désesperé.
Votre diagnostique fait froid dans le dos et me renvoi à ma misère de créateur de start-up.
J’ai inventé le 1er business modèle social et solidaire par l’exploitation d’un outil, le HANDIvidéo qui permet aux handicapés en recherche d’emploi de valoriser leur expertise en évitant les problèmes de mobilité et d’accessibilité.
Pour en faire un outil d’aide à l’insertion par l’emploi « gagnant-gagnant », les HANDIvidéos organisés en base sont accessibles par abonnement à tous les recruteurs qui peuvent ainsi optimiser leur process de recrutement, chronophage, couteux en ressources et en moyens.
Rappelons que dans tout pays occidental il existe l’équivalent de notre Loi Handicap y compris aux USA et au Canada, la Loi des quotas.
Aujourd’hui, ruiné par mon obstination à faire français, condamné à la misère sociale, je cherche mon actionnaire, alors que le HANDIvidéo proposé par Manpower, Monster ou Linkedin serait plébiscité.
emmanuel.abramowicz@handiconnexion.fr