Les Français sont bombardés d’informations sur l’économie de leur pays, mais elles leur sont fournies d’une manière complètement désordonnée. Le résultat est qu’ils ne comprennent pas pourquoi notre économie se porte mal. On confond volontiers les causes et les effets : est-ce que l’économie française va mal parce qu’il y a trop d‘impôts, c’est-à-dire de « prélèvements obligatoires » ; ou bien, est-ce qu’il y a trop de « prélèvements obligatoires » parce que l‘économie française va mal ?
Le think-tank IFRAP nous dit que nous avons trop de dépenses, et trop de normes ; la Cour des Comptes s’attaque, … aux déficits des comptes publics et à la croissance constante de la dette ; l’économiste Christian Saint-Etienne incrimine, lui, l’insuffisance de l’ « Offre » ; l’association Contribuables-Associés explique que tout le mal vient de trop s d’impôts ; et le journal « Le Monde » parle du « Risque de la spirale négative ». Difficile d’y voir clair, d’autant que les informations sont fournies, souvent, sous un angle biaisé. Il faut donc, si l’on veut saisir ce qu’il se passe, prendre le problème par le bon bout, et quel est-il donc ?
On se souvient que Raymond Barre, que Valery Giscard d’Estaing avait qualifié de « meilleur économiste de France », avait dit aux Français, en 1976, en leur présentant son plan de rigueur (le Plan Barre) : « Les Français vivent au dessus de leurs moyens : il faut que nous remettions de l’ordre dans nos comptes ». Il avait parfaitement compris que c’est par là qu’il faut prendre le problème. L’économie est, en effet, une branche de la sociologie, et elle s’explique par la façon dont les gens d’un pays se comportent : il faut donc commencer par s’interroger sur le niveau de vie des Français.
L’INSEE publie, chaque année, une étude sur les niveaux de vie en Europe, mais dans la presse personne ne s’y réfère jamais : c’est fort dommage. Si l’on prend le soin de faire une simple corrélation entre les niveaux de vie des personnes, en Europe, et les PIB/capita des pays, on constate que la France se trouve dans une position anormalement élevée : elle est bien au dessus de la droite de corrélation, et l’équation de cette courbe nous indique que nous sommes à un niveau de vie 18 % supérieur à ce que nous autorise notre économie1. ll faut donc s’interroger pour savoir d’où proviennent les ressources qui permettent aux Français de réaliser cet exploit ?
En examinant le niveau des salaires, on découvre qu’ils se situent, statistiquement, à 8,7% au dessus de la norme par rapport aux autres pays, ceci en s’étalonnant avec les PIB/capita. Mais cet écart n’explique pas tout, et les calculs que l’on peut faire montrent que l’excès de niveau de vie des Français est financé, au plan national, de la façon suivante :
Excès de niveau de vie en 2023
Excès provenant des (sur)rémunérations…………………………………100 milliards €
Excès provenant des dépenses2 publiques……………………………….171 milliards €
Total 271 milliards €
Le niveau relativement élevé des salaires est un élément d’explication : mais il y a aussi, et encore plus, les dépenses publiques ; et on sait combien elles sont élevées dans notre pays3.
La distorsion par rapport aux autres pays européens est considérable, comme l’indique le tableau ci-dessous :
| Dép. publiques | (Dep. Sociales) | (Dep. fonction.) |
|---|---|---|
| France…… 57,3% | (32,3%) | (25,0%) |
| UE(à 27)…49,4 % | (26,5%) | (22,9%) |
En 2023, notre excès de dépenses publiques, par rapport à la moyenne européenne, s’est élevé à 223 milliards d’euros, dont 163 pour les seules dépenses sociales : ce sont elles, en fait, qui constituent la contribution principale de l’Etat à l’accroissement artificiel du niveau de vie des Français.
Nous avons, selon les chiffres ci-dessus, un excès de dépenses sociales de 163 milliards d’euros et un concours des Pouvoirs publics au financement du niveau de vie de vie des Français de 171 milliards d’euros : à quelques €uros prés, les chiffres coïncident. Il reste donc à expliquer les raisons pour lesquelles l’économie de notre pays est incapable de fournir aux Français le niveau de vie qu’ils souhaitent avoir.
Précisément, une étude récente de l’ONU vient à notre secours: elle a mis en évidence à l’attention des responsables politiques des pays membres ce qu’est l’évolution de l’économie de leur pays dans ce que les économistes appellent « la longue période » ; et ce sont ces évolutions qui ont une signification. On a, pour quelques pays, les chiffres suivants :
PIB/tête (US dollars courants)
| 1980 | 2000 | 2017 | 2023 | Multiplicateur | |
|---|---|---|---|---|---|
| Israël | 6.393 | 21.990 | 42.452 | 52.642 | 8,2 |
| Espagne | 6.141 | 14.556 | 28.356 | 33.509 | 5,5 |
| Suisse | 18.879 | 37.937 | 80.101 | 99.564 | 5,3 |
| Danemark | 13.881 | 30.734 | 57.533 | 68.453 | 5,3 |
| Allemagne | 12.091 | 23.929 | 44.976 | 54.343 | 4,5 |
| Pays-Bas | 13.794 | 20.148 | 48.754 | 62.073 | 4,5 |
| France | 12.669 | 22.161 | 38.415 | 44.690 | 3,5 |
On voit, ainsi, que la croissance de l’économie française « dans la longue période » est anormalement faible. Notre économie est très peu dynamique : un multiplicateur de 3,5 seulement du PIB/capita, entre 1980 et 2023, contre 5,3 en Suisse ou au Danemark, et même 8,2 en Israël ! Il faut alors expliquer pourquoi ? Le mal vient de deux raisons qui se combinent : les avantages sociaux tout à fait considérables dont bénéficient tous les personnels, en France, qui sont trop en avance4 sur ce que peut supporter l’économie du pays, et un secteur industriel qui s’est considérablement atrophié.
Le tableau, ci-dessous, indique où nous en sommes, aujourd’hui, en France, en fait d’ «avantages sociaux », par rapport aux autres pays européens. On voit que les Français bénéficient d’« acquis sociaux » très importants qui résultent des luttes constantes menées par les syndicats depuis le début du XXe siècle. Ils ont été gagnés petit à petit, et l’on se souvient des objectifs que le syndicalisme français s’était fixés, en 1906, dans « la Charte d’Amiens » : un objectif révolutionnaire qui, dans la doctrine marxiste, s’appelle: « l’expropriation capitaliste » :
Comparaison France-Pays nordiques -Suisse
| France | Allemagne | Danemark | Suisse | |
|---|---|---|---|---|
| Taux de Pop. Active | 46,7% | 53,4% | 53,0% | 55,7% |
| Durée vie active | 35,6 ans | 38,4 ans | 36,9 ans | 42,4 ans |
| Heures travail/an | 1.607h | 1.850h | 1.750h | 1.831h |
| Temps travail hebdo. | 35h | 37h | 37h | 45-50h |
Il manque, en France, pour le moins, 5 millions de personnes au travail5 ; ceux qui travaillent ont des durées de vie active plus courtes que dans les autres pays, et des temps de travail annuels plus réduits. Ce sont des avantages considérabbles, et ils coûtent cher aux enterprises et à la collectivité nationale et grèvent notre compétitivité.
Quant au secteur industriel de la France, on sait qu’il s’est considérablement atrophié, les dirigeants politiques du pays s’étant convaincus qu’un pays moderne ne doit plus avoir d’industrie, la production des biens manufacturés étant reportée sur les pays en voie de développement qui disposent, eux, d’une main d’oeuvre abondante, pas chère, et corvéable à merci : tout ceci, grâce à des transports devenus peu coûteux..
Voilà donc toute l’explication du fonctionnement de l’économie de notre pays. Notre économie est à la peine du fait d’acquis sociaux par trop importants par rapport aux autres pays, et notre secteur industriel s’est atrophié. La France est aujourd’hui, avec la Grèce, le pays le plus désindustrialisé d’Europe, et on sait que, des trois secteurs qui composent toute économie, le secteur industriel est celui qui génère le plus de richesse. En laissant décliner son industrie, la France s’est appauvrie. Et pour permette aux Français d’avoir un niveau de vie correct l’Etat effectue, donc, chaque année, des dépenses considérables, notamment via le domaine social.
Le problème est que ces dépenses excessives nécessitent un recours à l’endettement, chaque année, si bien que la dette du pays ne cesse pas de croitre : elle augmente chaque année, et elle a atteint, maintenant, un niveau tel qu’il est difficile d’aller plus loin. Elle coûte, en effet, de plus en plus cher à la nation et l’on est arrivé au point où les organismes prêteurs commencent à s’inquiéter de la situation dans laquelle se trouve notre pays. Les Agences de notation de la dette ont, d’ailleurs, commencé à dégrader la note qu’elles attribuent à la France, et certains se mettent même à évoquer le cas de la Grèce, un pays où il a fallu qu’intervienne le FMI pour mettre les comptes publics en ordre.
Il va s’agir donc, maintenant, de réduire le niveau de vie des Français6, et, pour le faire, il est à craindre que nos politiques ne puissent le faire que sous la contrainte d’autorités extérieures. On cherche désespérément, une méthode, une personnalité politique et une majorité capables de relever ce défi !
- De facto, chaque français en moyenne consomme chaque année 118 alors qu’il ne produit que 100 ! ↩︎
- Dépenses publiques = (re)distribution : du remboursement quasi intégral du docteur à la réparation gratuite du vélo. ↩︎
- Voir également l’article de Philippe Baccou ↩︎
- Les avantages sociaux ne sont pas un mal par eux-mêmes mais nous vivons en compétition et sommes trop décalés par rapport aux autres pays. ↩︎
- L’âge de la retraite non « réactualisé » est en large partie responsable ↩︎
- C’est -à-dire se réaligner assez rapidement sur les standards des pays comparables à tout le moins pour regagner en compétitivité ↩︎
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