Page d'accueil Études et analyses Salaire disponible : match nul France-Allemagne! Mais le financement du modèle super social français coûte très cher aux entreprises.

Salaire disponible : match nul France-Allemagne! Mais le financement du modèle super social français coûte très cher aux entreprises.

par Bertrand Nouel
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Il est de bon ton en ce moment d’affirmer que le travail ne paie pas, ou plus. C’est la thèse d’ auteurs comme Antoine Foucher (« Sortir du travail qui ne paie plus »), ou encore celle de Denis Olivennes (« La France doit travailler plus »). C’est aussi ce qu’exprime le président de Michelin dans une interview que nous analyserons , et devant la commission des affaires économiques du Sénat.

D’après ces derniers, serait en cause, principalement, la différence considérable entre le salaire super brut (salaire brut plus charges patronales) et le salaire net (salaire brut moins charges salariales).

Notons d’abord que cette différence n’existe que pour les salaires supérieurs au Smic puisque les charges patronales sont quasiment nulles à ce niveau de rémunération. Mais surtout, pour se livrer à des comparaisons internationales, on oublie que ce qui compte pour le salarié, c’est ce qui reste après impôt sur le revenu.

Or le citoyen français bénéficie de l’avantage important d’être peu taxé sur le revenu. C’est ce que nous allons voir en comparant le sort du salarié français et celui du salarié allemand, d’autant que d’autres avantages viennent s’ajouter. Ce qui permettra de se rendre compte que le salarié français n’est pas désavantagé, loin de là, mais qu’en revanche l’entreprise française l’est.

Salarié français : après l’impôt sur le revenu, le net perçu est supérieur à celui du salarié allemand à salaire brut équivalent

Voici une comparaison France/Allemagne des salaires nets après impôt sur le revenu à différents niveaux, selon les calculs effectués par EuroRekruter, site spécialisé dans l’emploi en France et en Allemagne.Les calculs sont effectués pour un célibataire sans enfant. Nous faisons figurer deux niveaux de salaire pour l’Allemagne pour faire ressortir le montant du salaire brut nécessaire pour obtenir un salaire après IR identique au salaire français.

EurosFranceAllemagneAllemagne
Salaire brut annuel25.00025.00026.500
Salaire net avant IR 19.52719.81221.001
IR26614971.799
Salaire après IR19.261 (77%)18.315 (73,3%)19.202
Sal.brut35.00035.00038.000
Sal. avant IR27.44327.73730.115
IR1.5203.6104.290
Sal. après IR25.923  (74,1%)24.128  (68,9%)25.825
Sal.brut75.00075.00082.000
Sal. avant IR59.34260.74767.002
IR9.95214.93517.533
Sal. après IR49.390  (65,9%)45.812  (61,1%)49.471


On observe la différence considérable existant entre les deux pays pour les prélèvements au titre de l’IR. Au premier niveau de salaire, on se trouve avec 25.000 euros légèrement au-dessous du salaire minimum allemand (25.641 euros), (et 16% au-dessus du Smic français). Et pourtant l’Allemand doit régler 6% de son salaire au titre de son IR, alors que le Français ne règle que 1%. Les charges sociales salariées étant quasiment égales dans les deux pays (CSG comprise en France), pour parvenir à un même salaire après IR, le salaire brut de l’Allemand doit être supérieur de 1.500 euros.

Le même constat peut être fait pour les salaires supérieurs, avec la même conséquence que le salaire brut allemand doit être supérieur au salaire français de près de 9% pour aboutir à un même salaire après IR.

De plus, le salarié français bénéficie encore d’autres avantages.

1.Les 35 heures.

Si le salarié allemand est mieux rémunéré au niveau de son salaire brut, c’est comme nous le verrons parce que les charges patronales sont de beaucoup inférieures en Allemagne, mais c’est aussi en grande partie parce qu’il travaille bien plus à temps complet : 40/41 heures par semaine au lieu de 35 heures pour le Français, ce que ce dernier considère comme un avantage important. Et si le Français travaille 39 heures ou plus, il dispose légalement d’augmentations importantes de rémunération pour chaque heure supplémentaire travaillée (de 25 à 50%).

2.La prime d’activité ( non imposable).

Les bas salaires français profitent de cette prime importante, d’un montant d’environ 250 euros par mois pour un célibataire sans enfant au Smic. La prime est dégressive jusqu’à s’annuler pour un salaire de 2.098 euros. Elle n’existe pas en Allemagne ni ailleurs en Europe.

3.Les avantages sociaux.

C’est ici le modèle social français qui est en cause, et qui offre des avantages multiples que nous n’allons pas énumérer ici. Certains avantages sont offerts sous conditions de ressources (par exemple l’allocation de rentrée scolaire ou la prime de Noël), d’autres bénéficient à tous comme des indemnités de chômage ou des retraites particulièrement généreuses (les retraites sont un salaire différé). Notons aussi que le reste à charge moyen annuel en matière de santé est de 400 euros en France alors qu’il est de 600 euros en Allemagne (chiffre PPA).

Comme nous le verrons, tous ces avantages sont financés par l’employeur, ce qui permettra de conclure qu’il faut augmenter le salaire du montant des charges patronales (très élevées) pour obtenir une juste appréciation de ce que perçoivent les salariés. Or les charges patronales, donc les avantages  dont bénéficient les salariés, sont beaucoup moins élevées en Allemagne ou ailleurs en Europe qu’en France.

Les entreprises sont lourdement pénalisées par leurs charges sociales à partir du niveau moyen des salaires.

Les tableaux ci-dessus doivent être complétées par les charges patronales. Si ces dernières sont quasiment nulles au niveau du Smic, elles croissent considérablement dès que le salaire dépasse 1,6 Smic.

Charges patronales pour un célibataire sans enfant

Salaire brut annuel25.00035.00075.000
Charges patronales France17%36%43,5%
Charges patronales Allemagne19%19%18%

La différence entre les deux pays saute aux yeux. Un salaire de 35.000 euros en France correspond à 1,6 Smic environ. On voit que dès ce niveau de salaire, les charges patronales françaises sont presque le double des charges allemandes, et presque 2,5 fois au niveau d’un salaire de 75.000 euros.

En Allemagne les taux ne varient quasiment pas en fonction du niveau de salaire, et les hauts salaires bénéficient même du plafonnement de l’assiette imposable. En France, c’est le contraire, les taux deviennent vite extrêmement élevés, ils ne sont pas plafonnés pour la plupart, et augmentent même avec le niveau de salaire. Cela est dû au fait qu’il est nécessaire que les hauts salaires soient davantage ponctionnés pour compenser l’absence de cotisations au niveau du Smic.

Conclusion.

Ainsi s’exprime Florent Ménégaux, PDG de Michelin :

« Les coûts salariaux ? Le coût moyen pour l’entreprise pour 100 euros bruts versés en France, c’est 142. Le salarié, lui, va toucher 77,5. Les mêmes 100 euros versés en Allemagne [coûteront] 120 à l’entreprise ; et le salarié touchera 80. C’est normal qu’en France les salariés râlent et que les entreprises râlent aussi.

Derrière, il faut voir ce que ce différentiel apporte réellement. Le gros problème, ce n’est pas tant le niveau de salaire, c’est l’écart entre le brut et le net. C’est un sujet collectif : le coût salarial en France pour l’entreprise est trop élevé et le net perçu par les salariés est trop faible. Quand on parle de réindustrialisation, on n’aborde pas ce sujet-là. »

Donc, le vrai problème ne serait « pas tant le niveau de salaire », mais « l’écart entre le brut et le net ». Cette assertion mérite d’être corrigée. En effet il faut élargir la référence, et considérer l’écart, non pas entre le brut et le net, mais entre d’une part le super brut et le net après IR. Le net doit comme nous l’avons vu être pris en compte après IR car c’est ce que perçoit le salarié en fin de compte, et il faut aussi prendre en compte les autres avantages, le tout afin d’établir une comparaison internationale significative .

Cette comparaison conduit à constater que le salarié français est loin d’être désavantagé par rapport notamment à son homologue allemand, bien que le salaire brut soit supérieur pour ce dernier à celui du salarié français.

Quant au salaire brut, il ne constitue pas non plus une référence significative, car il faut intégrer les charges patronales qui constituent l’essentiel du financement des avantages que perçoit le salarié, au travers de la protection sociale (santé, famille, assurance chômage) et, en différé, des cotisations retraites. Les 35 heures et la prime d’activité ne figurent pas dans les charges patronales et correspondent donc à des avantages supplémentaires.

Ainsi, c’est l’écart entre salaire super brut (coût pour l’entreprise) et salaire brut qui est le vrai problème, dès que le salaire brut dépasse 1,6 SMIC : cela est illustré par le coût moyen de 142 € en France, contre 120 € pour l’employeur allemand, cité par Florent Ménegaux, pour 100 € de salaire brut (cela correspond dans notre tableau pour un niveau de 35.000 € de salaire brut respectivement à 136 € et 119 €). A ce niveau, le net après IR sera de 74 € pour le salarié français, contre seulement 69 € pour l’allemand.

Le modèle social français pose un sérieux problème à cause du « ressenti » des citoyens français qui n’ont pas la juste perception des avantages dont ils bénéficient, précisément par ce qu’ils leur sont offerts : ce qui est gratuit ne compte pas alors que c’est la conséquence du modèle social qui lui n’est pas gratuit et coûte cher à la collectivité, en particulier aux entreprises. Il n’existe pas de repas gratuit, comme l’expliquait Milton Friedman. C’est un problème spécifique à la France.

Enfin, il reste que ce sont les entreprises françaises qui pâtissent de la charge que leur impose notre modèle social, et à ce titre le PDG de Michelin a raison de « râler », mais nous ne partageons pas son point de vue sur la justification du « râle » du salarié.

Pas plus que le point de vue d’un Antoine Foucher affirmant que le travail « ne paie plus ». Une fois de plus, le modèle social français est trop lourd pour la richesse du pays, et la seule solution est de « travailler plus pour gagner plus », et donc d’augmenter le PIB. Sur ce point nous sommes d’accord avec le point de vue de Denis Olivennes.

Remarque importante.

Cet article n’a pour objet que d’établir une comparaison internationale en faisant ressortir que le financement de notre modèle social, déjà particulièrement élevé et coûteux en soi, repose en France essentiellement sur les entreprises, contrairement à l’Allemagne ou à d’autres pays1, même en tenant compte de la CSG intégrée dans les prélèvements sociaux et non fiscaux.

Le rendement de l’IR est ainsi supérieur d’1% du PIB en Allemagne au rendement français, soit environ 30 milliards d’euros sur la base du PIB français. Le rendement de l’IR français est au total de 82 milliards, et seuls 44% des foyers français l’acquittent.

Mais l’article laisse entier le problème, là aussi spécifiquement français et en constante aggravation, du ressenti du salarié français quant à l’insuffisance de l’écart de rémunération et d’assistance entre le travail et le non-travail et à la compression des salaires bas et moyens, source de mécontentement et de revendication. Autrement dit, ce ne sont pas les revenus net du travail qui sont trop bas, ce sont les revenus d’assistance au non travail qui sont ressentis comme trop élevés.

  1. Au Danemark par exemple, ce financement repose presque intégralement sur la fiscalité (une TVA à 25% notamment) et non sur les prèlèvements sociaux.
    ↩︎

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1 commenter

moulin février 8, 2025 - 11:02 am

bon diagnostic… mais quelles solutions pour un pays déjà en forts déficits? Perso, je valide celle d’Antoine Foucher :
https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/sortir-du-travail-qui-ne-paie-plus/ assez pour amener les 7 millions de disponibles à travailler au lieu de se contenter des aides et redistributions. Il faut pouvoir augmenter les travailleurs, tout au long de l’échelle des salaires, en supprimant les trappes à bas salaires, et cela n’est possible qu’en diminuant les charges patronales et les reportant sur les « rentiers ». Aux retraités de dire et montrer l’exemple !

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