Par référé, le premier président de la Cour des comptes vient d’alerter le ministère des finances sur les résultats d’un contrôle que vient de réaliser la Cour sur une disposition du premier texte voté après l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence en juillet 2007 : la création de l’ISF PME.
La Cour critique l’efficacité de cette mesure en comparant les résultats d’entreprises ayant reçu des fonds de particuliers en investissement direct, avec ceux d’entreprises les ayant reçus à travers des fonds d’intermédiation, appartenant pour la plupart à l’AFIC. Comme remède, elle propose de procéder à des évaluations régulières de cette mesure.
Pour cet audit, la Cour s’est appuyée sur la Banque de France, la DGFiP de Bercy et l’AFIC.
On rappelle que cette disposition s’inspirait de celle votée par la commission des finances du Sénat en 2004, invitant ceux qui payent l’ISF à s’en exempter en versant plus dans la création d’une nouvelle entreprise. Le texte du Sénat prévoyait une réduction de 25% de l’investissement jusqu’à un plafond d’investissement de 200.000 euros.
Comme le remarque la Cour des comptes, le texte proposé par l’équipe Sarkozy était très loin de celui du projet 2004 (bloqué par Jacques Chirac) puisque la déduction n’était plus de 25% mais de 100% dans le projet initial, retoqué par le Conseil d’État, ce qui l’a fait ramener à 75%. La Cour des comptes a raison : ce projet de l’équipe Sarkozy n’était plus une incitation à financer des entreprises mais de la défiscalisation, visant à faire oublier son renoncement à supprimer l’ISF.
Nous avons gardé les emails envoyés aux responsables de cette équipe, leur faisant remarquer qu’une déduction plafonnée à 50.000 euros et couvrant toutes les PME (jusqu’à 250 salariés), et pas les PEC’s (moins de 50 salariés), rendait cette mesure complètement inopérante. Mais l’équipe de l’Élysée, des inspecteurs des finances comme leurs correspondants à Bercy, est restée sourde.
Le résultat, déjà dénoncé par un rapport de l’Inspection, est qu’en 2009, un peu plus de 100.000 contribuables déduisaient 75% d’un investissement moyen de 9.000 euros, sans que personne ne sache où était parti l’argent.
Plus étonnante est la proposition de la Cour que l’efficacité de cette dépense fiscale soit mesurée régulièrement.
La Cour ne paraît pas être au courant de ce que, en traversant la Manche, à 2h30 d’Eurostar, les Britanniques ne se contentent pas de mesurer l’efficacité de leurs dépenses fiscales mais prennent les dispositions pour les rendre efficaces ab initio.
Nous ne pouvons que rappeler la surprise du conseiller fiscal du ministre du budget à qui nous demandions comment il se faisait que les avantages fiscaux de l’ISF PME (comme de l’Avantage Madelin) ne fassent l’objet d’aucune restriction alors que la loi britannique est beaucoup plus encadrée ; et auquel nous expliquions qu’il existe en effet un contrôle pour s’assurer que l’entreprise bénéficiaire satisfait aux conditions, avant que la déduction fiscale ne soit acceptée. Une partie des restrictions britanniques s’est bien retrouvée dans le projet de loi de finances suivant, mais pas le contrôle a priori.
Nous pouvions donc écrire dès 2012 que l’ISF PME en 2009 avait coûté de l’ordre de 750 millions d’euros à la France alors que l’EIS, l’incitation britannique, en avait coûté le tiers. Mais, utilisée seulement par 11.000 contribuables pour un montant moyen d’environ 100.000 euros, 10 fois moins de bénéficiaires mais des montants 10 fois plus importants, elle avait contribué au décollage de 2.000 « gazelles » en leur apportant à chacune, en deux ans, 600.000 livres. D’où, d’après nos enquêtes de démographie des entreprises, 150.000 emplois de plus créés par an en Grande-Bretagne.
Pour l’information de la Cour des comptes, il n’a pas été nécessaire de faire faire une enquête pour trouver les résultats de l’EIS. Ils figurent dans la routine des documents produits par le Treasury. Nous les cherchons encore dans les chiffres de la DGFiP.
Mais la Cour a-t-elle bien compris comment se financent les créations et développements d’entreprises ?
Elle compare en effet les résultats de l’investissement individuel direct et ceux de l’investissement intermédié, c’est-à-dire à travers des fonds.
Elle ne semble pas avoir saisi que ces deux types de financement n’opèrent pas dans la même phase de développement d’une entreprise. Elle mélange le financement des Business Angels et celui du capital-risque comme s’ils avaient le même rôle et pouvaient avoir la même rentabilité, alors qu’ils ne présentent pas les mêmes risques : il y a en effet péréquation des risques dans un fonds.
Peut-on en outre respectueusement lui rappeler que dans les pays qui ont compris les étapes du financement, c’est l’entrepreneur, sa famille et les cinglés qui financent la création, mais rarement au-delà de 100.000 euros, que le capital-risque a compris depuis longtemps qu’il ne devait pas intervenir dans la phase suivante, encore trop risquée et portant sur des sommes trop faibles, et que ce domaine, entre 100.000 euros et 1 à 2 millions, la fameuse traversée de la vallée de la mort, est celui de l’investissement direct par les Business Angels ?
Peut-on lui rappeler que seuls sont efficaces, comme Business Angels, des chefs d’entreprise investissant leur propre argent et ayant l’expérience de cette traversée ?
Peut-on lui suggérer d’étendre ses investigations aux sommes investies par la BPI et prédécesseurs comme l’ANVAR ou CDC Entreprise, qui prétendent remplacer les Business Angels défaillants ? Après tout, son extension, la Cour de discipline budgétaire, n’a-t-elle pas condamné et puni les hauts fonctionnaires, dirigeants de l’ANVAR, pour un trou de 261 millions resté inexpliqué dans le budget de cette institution ?
N’y a-t-il pas là, dans le fonctionnement de services publics sous le contrôle direct de la Cour, des vices de fonctionnement dont les coûts dépassent largement les errements de l’ISF-PME ?
N’y a-t-il pas lieu de mettre enfin en place un dispositif fiscal efficace comme l’EIS ?
Et s’appuyer seulement sur les témoignages de la Banque de France (dont les connaissances sur les entreprises de moins de dix salariés étaient encore nulles il y a peu), la DGFiP dont la première préoccupation est l’impôt et l’AFIC qui représente les fonds de capital-risque, mais personne qui représente l’emploi et sa création et pas les Business Angels, n’était-ce pas courir à l’erreur ?