Les hommes politiques français souhaitent depuis des années davantage d’emplois et de croissance et il est indéniable que le Royaume-Uni nous bat à plate couture sur les deux tableaux. D’après beaucoup de commentateurs, ces chiffres seraient à relativiser car étant la conséquence du développement des petits boulots. Mais est-ce vraiment le cas ?
Le succès britannique devient chaque jour plus évident. La croissance qui se maintient à 2,8% du PIB y est parmi les plus fortes d’Europe. Le chômage – qui a durement frappé le Royaume-Uni durant la crise – est redescendu à 5,4%, soit pratiquement le minimum incompressible estimé habituellement par les économistes. Depuis le début de son mandat, David Cameron a en effet réussi la prouesse de créer près de deux millions et demi d’emplois privés, faisant passer le nombre total d’un peu moins de 23 millions à plus de 25 millions. Par comparaison, la France a en 2014 une croissance infime de 0,4% (1,1% prévu pour 2015) et un taux de chômage officiel de 10,6% – ceci sans compter les chômeurs sortis des statistiques.
Malheureusement, si la réussite britannique est parfois mentionnée par la presse, c’est ensuite pour s’empresser d’expliquer qu’elle n’est pas imitable. Ainsi, d’une part la croissance vient de la politique monétaire accommodante de la banque d’Angleterre – procédé que la France ne pourrait pas imiter puisqu’elle n’a pas la maîtrise de sa monnaie. Et d’autre part la création d’emplois se serait faite exclusivement avec la création de petits boulots et de travailleurs pauvres et peu diplômés –procédé que la France ne voudrait pas imiter. Mais en réalité, ces deux explications restent assez partielles pour justifier le rebond britannique.
En ce qui concerne l’attribution de la croissance britannique à une politique monétaire accommodante, cette explication –outre son simplisme douteux- ne résiste pas à l’examen attentif des faits. D’après deux économistes spécialistes de l’assouplissement monétaire, la croissance britannique lui serait due pour seulement un quart (soit 0,7% de croissance). Même s’il est évident que ce facteur a joué un rôle positif, l’explication principale se trouve donc ailleurs. Quant à la hausse de l’emploi qui serait le fait de « petits boulots » extrêmement insatisfaisants pour ceux qui les occupent, nous reprenons ici les principaux éléments de trois notes de l’Institut de l’Entreprise parues en 2015 et qui montrent clairement que c’est une présentation caricaturale de la réussite britannique. Elles résument parfaitement les points principaux, à partir des données officielles publiées sur le site de l’Office for National Statistics, de la Commission pour l’Emploi, de la Bank of England ou de l’Academy of Arts, qui a priori ne peuvent être suspectées de biais idéologiques.
Contrairement à l’idée abondamment répandue par la presse de gauche, on constate ainsi que l’essentiel de la création d’emplois depuis le début de la crise s’est faite dans les métiers les plus qualifiés. Dans une étude parue en 2015, la Commission britannique pour l’emploi et les compétences montre ainsi qu’entre 2006 et 2013, le Royaume-Uni a été le pays de l’Union européenne qui a créé le plus d’emplois qualifiés (soit 2,2 millions contre 5,1 millions pour l’ensemble de l’Union).
La presse française a par ailleurs beaucoup décrié également les contrats « Zéro heure ». Dans un contrat de ce type « L’entreprise n’est sous aucune obligation à donner du travail à son employé et l’employé n’est sous aucune obligation d’accepter le travail proposé » ainsi ce contrat n’offre effectivement aucune garantie au salarié. Avec pertinence, l’Institut de l’Entreprise rappelle que les contrats « zéro heure » ne représentent qu’une infime minorité des emplois, à seulement 2,3% de l’emploi total. Ils n’expliqueraient au maximum qu’un quart de la croissance de l’emploi total et par ailleurs, d’après l’ONS, seul un tiers des personnes sous ce type de contrat souhaiteraient travailler davantage d’heures. La majorité d’entre elles se déclarent par ailleurs plutôt satisfaites d’un contrat qui ne leur impose pas de travailler un nombre minimum d’heures.
Certains ont critiqué également le fait que près de la moitié de ces créations d’emplois provient des emplois indépendants plutôt que des emplois salariés, un autre argument qu’il est facile de rejeter. Comme le rappelle l’Institut de l’Entreprise, d’après la Banque d’Angleterre, l’essentiel de la croissance de l’emploi indépendant depuis 2010 s’explique par des facteurs de long terme comme les évolutions technologiques, fiscales, démographiques ainsi que des modes d’organisation tout comme les préférences individuelles. Dans une étude sur le Royaume-Uni parue en mai 2014, on voit que depuis la crise, 73% des individus sont devenus entrepreneurs indépendants par choix personnel, et non par obligation. La récession en a poussé davantage à se mettre à leur compte mais ce n’est pas la principale raison de la hausse de l’emploi indépendant.
Il est par ailleurs extrêmement ironique que les commentateurs français accusent les Britanniques d’avoir créé des petits boulots alors que c’est exactement ce que nous avons fait… en France. Une étude de l’Irdeme montre en effet que sur la période 2005-2010, sur 700.000 personnes employées supplémentaires dans l’économie, 240.000 (soit plus du tiers) consistent en des créations d’emplois dans les services à la personne, soit des métiers pour l’essentiel peu qualifiés, et travaillant en moyenne une quinzaine d’heures par semaine.
Ainsi, non seulement nous avons créé trois fois moins d’emplois, mais en plus, ils ne sont pas plus qualifiés que les emplois créés outre-manche.
2 commentaires
CQFD
Et en plus les britanniques travaillent plus et plus longtemps !
Tres bonne démonstration du déni français et de la mauvaise foi qui l'accompagne!
Sémantique
La révolution des mentalités dont nous avons besoin commence par la sémantique. En France, nous n'avons que le mot précarité à la bouche pour parler de celles et de ceux qui travaillent à temps partiel ou qui sont indépendants.
Or nous savons que le temps des CDI sera de plus en plus limité.
Le pire étant que celles et ceux qui emploient ces mots "précarité" et "petits boulots" à tort et à travers et avec mépris, sont en général bien installés dans leur fauteuil de salariés à temps plein et souvent fonctionnaires !