Le projet de loi sur la protection du secret des journalistes a pour objet principal d’assurer une meilleure protection du secret des sources des journalistes, afin de leur offrir la possibilité d’exercer sans entrave leur mission fondamentale d’information du public et de « chiens de garde de la démocratie ». En réalité, ce projet relève d’une conception assez naïve de la société. Il réduit considérablement les possibilités des personnes physiques ou morales de s’opposer à une divulgation d’information les concernant et l’on peut même s’interroger sur la compatibilité de ce projet avec les principes constitutionnels qui président à la présomption d’innocence et au secret de l’instruction.
La protection renforcée des journalistes faisait partie des promesses électorales de François Hollande et il a été présenté au Conseil des ministres le 12 juin 2013. Il dormait depuis cette date mais il est en train de se réveiller à l’occasion de la loi Macron, le sujet étant lié au débat qui a eu lieu sur le secret des affaires, que la loi Macron envisageait de renforcer pour lutter contre l’espionnage industriel….
Ce projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes modifie ou précise des textes de 1881, 1993, 1995, 2004 2010… Ainsi :
• Il ne pourra être porté atteinte au secret des sources des journalistes que par ordonnance motivée du juge des libertés et de détention avec des conditions très restrictives : crime, atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, atteinte grave à la personne ;
? Le journaliste ne peut plus être condamné pour délit de recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel ou d’atteinte à la vie privée si le but est une diffusion au public « d’intérêt général » ;
? Les peines prévues par le code pénal sont aggravées pour les autorités publiques portant atteinte au secret des sources ;
? La protection est étendue aux « collaborateurs de la rédaction ».
Ce projet de loi s’appuie essentiellement sur des comparaisons internationales avec des pays du nord de l’Europe et sur des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme. En soi il ne se pose guère la question de l’adéquation des dispositifs législatifs actuels et relève du « plus est nécessairement mieux ».
En particulier il réduit considérablement les possibilités des personnes physiques ou morales de s’opposer à une divulgation d’information sensible les concernant et, a fortiori, d’obtenir réparation en cas de préjudice résultant de cette divulgation, puisque l’auteur principal de ces préjudices peut rester inconnu de la victime en cas d’abus ou d’intention malveillante. On ne peut d’ailleurs que s’interroger sur la compatibilité entre ce projet avec les principes constitutionnels qui président à la présomption d’innocence et au secret de l’instruction.
En effet – comme dit précédemment – il ne pourra être porté atteinte au secret des sources de journalistes que par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention et uniquement pour prévenir ou réprimer la commission, soit d’un crime, soit d’un délit constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation : cela exclut du champ toutes les conséquences de manipulation d’information dont on peut être témoin dans les relations entre la presse et les acteurs divers de la société, y compris dans leur vie privée.
Ce projet relève donc d’une conception assez naïve de la société, dans laquelle « tout le monde est beau et gentil dans le monde de la presse » et « toute vérité, quelle qu’elle soit est bonne à dire ».
Néanmoins il faut bien reconnaitre qu’il arrive parfois que des « brebis galeuses » s’introduisent dans le troupeau des « chiens de garde de la démocratie ». Le monde de la presse le reconnaitra lui- même.
Il s’ensuit que cette protection supplémentaire donnée aux journalistes dans l’exercice de leurs fonctions devrait absolument s’accompagner d’un durcissement très significatif des conditions de répression des abus, dont les journalistes peuvent être les auteurs, dans l’exercice de leur activité, au détriment de personnes physiques ou morales, tout particulièrement dans les domaines du secret professionnel ou de l’atteinte à la réputation des personnes sur la base d’informations fausses ou insuffisamment avérées. Ce durcissement est une condition indispensable pour que la mise en place de cette évolution législative ne soit pas une occasion de développement de l’amateurisme quand ce n’est pas de la partialité ou pire, de la malveillance, préjudiciables aux intérêts mêmes de la presse dont ce texte vise à améliorer les conditions d’exercice.
Par ailleurs, le projet propose d’étendre la protection des sources de façon expresse aux « collaborateurs de la rédaction », ce qui donne la possibilité, vu le caractère vague et large du concept, de « loger » en cas de problème le secret des sources auprès de quasiment n’importe qui et déresponsabiliser ainsi le journaliste signataire ! Ce texte est donc dangereux tel quel !
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La vertu même a besoin de limites
La presse est le "quatrième pouvoir", dit-on. Son rôle de contre-pouvoir aux différents pouvoirs en place est toujours utile ; en démocratie, il est fondamental et indispensable.
Bien sûr, certes… Ecoutons toutefois Montesquieu, auteur que nul républicain de droite ou de gauche ne saurait récuser sans beaucoup de réflexion et de solides arguments : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites » (« De l’esprit des lois »).
Dans un monde idéal, il est probable que tous les journalistes, comme tout un chacun d’ailleurs, feraient preuve d’une vertu exemplaire. Mais le sage sait bien, et Montesquieu nous le rappelle, que ce monde idéal n’existe pas ; qu’il serait bien naïf de penser que tout le monde est gentil et rempli des plus pures intentions ; que la tentation (disons involontaire pour ne fâcher personne) ne saurait jamais exister d’abuser d’un pouvoir sans limite.
Alors ? Quel sera donc le contre-pouvoir de la presse ? Qui pourra en fixer les limites s’il lui est interdit a priori d’en juger les abus potentiels.
Ne croyant pas que la naïveté soit une vertu politique, je m’interroge donc sur la compétence de ceux qui rédigent et votent ce genre de loi… à moins que, loin de toute naïveté, ce soit leurs propres intentions qui ne soient pas tout à fait pures et vertueuses.