L’introduction du principe de précaution dans la Constitution en 2005 n’est en fait que l’aboutissement d’un assez long processus : sommet de Rio et traité de Maastricht en 1992, Loi Barnier en 1995 (première introduction dans le droit français), et enfin consécration constitutionnelle en 2005.
Que dit l’article 5 de la Charte de l’environnement qui le définit aujourd’hui ?
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leur domaine d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées, afin de parer à la réalisation du dommage »
Comme le montre bien la très intéressante étude réalisée récemment par la « Fondation Concorde » : « Principe de précaution oser le risque », cet article, tel qu’il est rédigé est en fait un principe d’action faisant obligation de poursuivre les recherches et l’expérimentation pour réduire, voire supprimer les incertitudes liées à l’existence du risque.
Dans la pratique de l’action publique, il faut malheureusement reconnaitre que l’on est passé insidieusement d’un principe d’action à un principe d’inaction ou d’interdiction de l’action sous l’effet de l’émotion générée par des situations de crise. En toile de fond explicative de ce développement on trouvera la crainte ressentie par l’opinion publique face aux progrès de la science ces dernières décennies, la suspicion que ces progrès ne sont pas la condition nécessaire de l’amélioration du bien-être collectif, mais qu’ils sont au service des intérêts particuliers des entreprises, au détriment de l’intérêt collectif. En cela l’application faite actuellement du principe de précaution est le reflet de la défiance de notre société vis-à-vis des technologies ainsi que des institutions censées la protéger.
Comment lire aujourd’hui en France la problématique des gaz de schiste ?
L’exploitation des gaz de schiste est de facto interdite par l’interdiction faite de l’usage de la fracturation hydraulique, et de la non-réalisation de l’engagement pris par les autorités de présentation d’un rapport présentant des propositions sur les modalités d’un inventaire des ressources possibles.
Ces deux mesures sont en contradiction évidente avec les principes de la charte :
Au niveau mondial, la fracturation des puits, qu’ils soient pétroliers ou gaziers ou par exemple géothermique, est une pratique courante depuis des décennies sans conséquence environnementale importante pourvu que ces opérations soient menées dans les règles de l’art et des bonnes pratique professionnelles. Ce sont plusieurs dizaines de milliers d’opérations de ce type qui sont menées dans le monde chaque année sans incident. Il est donc fondamentalement abusif de faire appel au principe de précaution pour interdire la fracturation hydraulique qui ne relève que d’une bonne pratique professionnelle et de la bonne prévention. Nous ne sommes pas dans le domaine de l’incertitude scientifique, mais dans le domaine de la prévention du risque industriel inhérent à toute activité industrielle humaine.
L’absence de remise d’un rapport officiel sur les modalités de l’inventaire promis, est difficilement conciliable avec l’engagement de veiller…. « A la procédure d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Le respect de cet engagement nécessiterait a minima que l’on fasse l’effort de savoir de quoi l’on débat !
Au-delà de ces considérations générales sur l’interdiction de la fracturation pour des raisons purement opportunistes et démagogiques, on doit aussi s’interroger sur les risques spécifiques pour l’environnement et la santé qui pourraient être liés à l’exploitation des gaz de schiste.
Ces risques sont de trois natures :
Ceux qui sont liés à l’usage de l’eau, ceux liés aux nuisances du voisinage, et ceux qui sont liés au produit extrait lui-même.
Il est exact que la fracturation hydraulique nécessite de 10.000 à 20.000 m3 d’eau par puits. Mais, il ne s’agit pas là d’un problème environnemental de nature « incertaine » la solution des problèmes liés à cet état de fait relève de la gestion : conciliation avec la ressource hydraulique locale, réduction de l’usage d’eau douce, développement de fluides alternatifs, intégrité du puits, traitement des eaux de retour à la surface… Tous problèmes industriels classiques avec des solutions connues et pratiquées.
Le problème soulevé de l’innocuité des additifs chimiques ajoutés à l’eau pour faciliter la fracturation, est de même nature : ils ne représentent qu’une proportion d’un pour cent environ, sont tous des produits connus, habituellement utilisés dans l’industrie alimentaire en particulier.
Les problèmes de bruit et d’espace, ont fait l’objet de progrès récents : l’espace nécessaire a été fortement réduit aux USA par concentration d’un nombre important de puits sur un même espace et l’utilisation de forages largement déportés et par la concentration dans le temps des périodes « bruyantes » et l’installation de protection ad hoc.
Ont également été soulignés les risques sismiques et ceux liés à la radioactivité naturelle qui sont communs a toute exploitation de gaz et maitrisés de la même manière.
Il est également souligné que les gaz de schiste sont dans leur production et leur utilisation émetteurs de gaz à effet de serre (CO²). On peut relever de ce point de vue que le gaz de schiste est de nature chimique identique au gaz naturel importé… en masse depuis des destinations lointaines comme la Norvège, l’URSS ou le Golfe persique auquel il se substituerait complètement s’il venait à être produit. Il aurait un bilan émissif de meilleure qualité du fait de sa proximité. Là encore, l’argument ne tient pas et ne relève pas du principe de précaution, mais simplement de l’usage raisonnable des ressources nationales.
L’appel au « principe de précaution « pour justifier l’interdit qui frappe aujourd’hui les gaz de schiste en France nous semble donc finalement plus relever de la supercherie intellectuelle que de la mise en place de la protection raisonnable et raisonnée de l’environnement et de la santé de nos citoyens auxquels la mise en place de ce principe dans la Constitution prétendait contribuer. On ne peut que souhaiter que ce débat soit rouvert sur une base saine et rationnelle !
2 commentaires
Le rôle néfaste de NKM
Il faudra se souvenir le moment venu du rôle absolument catastrophique de Nathalie Kosciusco-Morizet dans cette interdiction comme dans l'interdiction des OGM.
Principe de précaution
Tout à fait d'accord. La France se prive bêtement d'une ressource éventuelle d'énergie dans les lustres qui viennent. Il est absurde de renoncer à évaluer l'ampleur du gisement et à faire des essais.
Cela étant, d'une façon plus générale, il faut absolument que l'iFRAP travaille à faire supprimer de la constitution ce principe de précaution qui y a été inscrit par ce démagogue qu'était CHIRAC. Le maintien de ce principe dans la constitution risque de contrarier tout progrès technique et économique en France.