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L’industrie automobile européenne est elle menacée par les Chinois ?

par Claude Sicard
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Le parlement européen a pris la décision, en juin 2022, sur proposition de la Commission, d’interdire la vente de véhicules automobiles neufs à moteur thermique à partir de 2035. Ce qui signifie que toute l’industrie automobile européenne ne devra plus fabriquer à cette date que des véhicules électriques, « une décision historique » a dit la présidente Ursula von der Layen pour le climat. Un pas de plus, donc, vers la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre, mais au risque de porter un coup très sérieux à l’économie des pays européens. La présidente de la Commission s’est réjouie de cette décision, parlant d’une étape clé pour les ambitions climatiques de l’ UE : elle a bien conscience que l’enjeu est particulièrement grave, pour l’ Europe, et elle a donc rajouté à son propos que cette décision allait stimuler la créativité et renforcer notre leadership technique.

Mais c’est peut être un peu vite dit. La décision d’aller aussi précipitamment au secours de la planète en faisant courir à l’industrie européenne un risque d’affaiblissement considérable n’ a-t- elle pas été prise avec trop de désinvolture ? On peut le craindre. N’aurait-il pas fallu, plutôt, attendre, pour aller aussi loin, que les Chinois et les Américains, chacun de leur côté, progressent un peu plus dans les efforts qu’ils font pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ? Beaucoup s’interrogent, vue l’avance considérable qu’ont aujourd’hui les Chinois dans le domaine des voitures électriques, les BEV (Battery Electric Vehicle). Carlos Tavares, le Directeur général de Stellantis, a déclaré à propos de la très forte présence des constructeurs Chinois au dernier salon de l’auto, à Paris, en octobre dernier : « L’UE a déroulé le tapis rouge devant les constructeurs chinois. Ils sont des compétiteurs extrêmement difficiles : le combat des 10 prochaines années sur le marché européen va être un combat des Européens contre les Chinois ». Et certains commentateurs parlent d’une menace mortelle pesant sur le secteur automobile européen : l’Union Européenne, nous disent ils « met ainsi en danger un des rares secteurs industriels où l’Europe est encore dominante ». Et l’on sait que les moteurs thermiques peuvent encore faire beaucoup de progrès en matière d’émissions de gaz à effet de serre : mais l’Europe a tranché, en prenant de vitesse les constructeurs européens..

Il nous faut donc voir si cette crainte d’être battus par les Chinois sur notre propre marché est justifiée : il s’agit du sort d’un secteur d’activité qui constitue le pilier le plus important de l’industrie des pays européens, avec 2,2 millions de personnes travaillant dans cette activité en Europe, dont 832.000 en Allemagne et 240.000 en France.

La voiture électrique est une mutation technologique qui, dans le domaine de l’industrie automobile, révolutionne complètement ce secteur d’activité. Il s’agit d’une rupture technologique comme en ont connue d’autres industries dans le passé, par exemple le remplacement de l’argentique par le numérique dans le secteur de la photographie, ou le remplacement des machines à écrire mécaniques par des ordinateurs. Le géant de la photographie, la firme Eastman Kodak, n’y a pas survécu : Kodak n’a pas cru au numérique et la firme a fait faillite en 2012. Quant à Zeiss Ikon, entreprise fameuse réputée pour la qualité optique de ses lentilles, il a du abandonner la fabrication d’appareils de photos.

Les trois grands marchés mondiaux de l’automobile

Les constructeurs de véhicules automobiles sont face à trois grands marchés mondiaux :

  • Le marché américain….. 15 à 16 millions de véhicules/an
  • Le marché européen…… 12 à 13 millions de véhicules/an
  • Le marché chinois……… 26,5 millions de véhicules en 2021.

Les marchés américain et européen sont des marchés en phase III, c’est-à-dire en phase de maturité, alors que le marché chinois est, lui, en phase II, c’est a dire en pleine croissance. Et comme les Chinois sont entrés très tardivement dans ce secteur d’activité ils ont d’emblée opté pour la voiture électrique, un véhicule beaucoup plus facile à fabriquer car il est très simple : une carrosserie avec un ou deux moteurs électriques, et l’on est loin donc des complications extrêmes que sont les moteurs à explosion auxquels il faut adjoindre une boite de vitesse avec de très nombreux pignons. Dans une voiture électrique l’essentiel de la valeur est constitué par la batterie qui représente 35 % de la valeur du véhicule. L’entretien, par ailleurs, est extrêmement simple : pas de liquides à changer, et les freins s’usent moins car il y a un freinage régénératif. Aussi, a-t-on vu apparaitre, subitement, sur le marché chinois plus d’une cinquantaine de constructeurs de véhicules automobiles électriques, un des plus importants, BYD, étant lui-même d’ailleurs un fabricant de batteries. Bien évidemment, les véhicules électriques ont déjà commencé a faire leur apparition chez les constructeurs européens et américains : aux Etats-Unis ils représentent un peu plus de 5 % des ventes, et en Europe un pourcentage légèrement supérieur.

Sur le marché américain, il s’est produit un phénomène extraordinaire : le milliardaire américain Elon Musk s’est lancé dans l’aventure, à la façon des Chinois, c’est-à-dire en entrant dans ce secteur d’activité sans avoir la moindre expérience de l’automobile, et il a innové. Il n’a pas hésité à bondir sur cette mutation technologique qui lui parut à portée de mains. Il a créé Tesla, en 2003, avec des ingénieurs informaticiens, et il a commencé par le haut de gamme (Tesla model S) un véhicule qu’il a vendu très cher, produit dans une usine en Californie ; et, en 2015, Tesla a lancé le Model 3, plus abordable. Très vite Tesla est devenu le constructeur le plus important dans le monde des véhicules électriques, avec trois sites de production : un aux Etats-Unis, un autre qui est une mega-factory à Shanghai, et une troisième usine, une mega-factory également, en Allemagne, prés de Berlin, et ce constructeur produit maintenant lui-même ses batteries. La société Tesla a vendu 1,3 million de véhicules en 2022, et c’est une firme qui a des performances financières stupéfiantes. Au Nasdaq sa capitalisation s’est élevée très vite à des niveaux extraordinaires : 1.029 milliards de dollars en 2021, un montant dépassant Toyota, Volskwagen, GM, et Ford réunis, ceci en raison de marges opérationnelles considérables. Certains analystes ont dit que les voitures Tesla ressemblaient davantage à un Smartphone qu’à un vehicule automobile. Elon Musk croit à l’inventivité de ses équipes au point qu’il a décidé de ne plus déposer de brevets : il a déclaré que la compétitivité d’une entreprise se joue dans sa capacité à innover d’une façon permanente. Et, aujourd’hui, les grands constructeurs tentent de s’inspirer de cette réussite pour revoir leur stratégie.

Le marché chinois de l’automobile

Le marché chinois est en plein croissance. Il y aurait, actuellement, environ 850.000 personnes travaillant dans ce secteur, avec un chiffre d’affaires de 574 milliards de dollars. Le coût de la main d’œuvre chinoise reste encore faible (salaire moyen de 876 euros, mais avec de gros écarts selon les régions), ce qui permet à la Chine d’avoir dans le secteur de l’automobile des coûts de construction de 25 % à 30 % inférieurs à ce qu’ils sont en Europe. Et la Chine est ainsi devenue un très gros exportateur de véhicules. Le développement de l’électrification de la mobilité a été piloté par l’Etat : il y a eu le « development plan for energy conservation and new energy vehicles industry », puis, ensuite, le NEV Industrial Plan 2021-2035 concrétisé par le 14e Plan. L’Etat a joué un rôle important dans le développement de ce secteur et plusieurs des grosses entreprises lui appartiennent.

On recense, donc, un nombre considérable de constructeurs, un peu plus d’une cinquantaine actuellement, les plus importants étant :BYD (1,3 million de vehicules en 2022), puis SAIC et Geely qui en sont à des volumes à peine inférieurs. Et il est estimé que ces entreprises vont aller vers 3 millions de véhicules par an dans les toutes prochaines années..

La réponse des constructeurs européens

Les constructeurs européens, du fait des dispositions prises par l’UE qui leur enjoint de cesser de fabriquer des vehicules à moteur à explosion dès 2035 se sont attelés à la tâche. Ils ont commencé par prendre leurs dispositions pour qu’il y ait en Europe une industrie compétitive en matière de batteries électriques, et l’on a vu ainsi se créer une industrie de la batterie européenne. Mais le bureau d’étude coréen SNE Research nous dit que l’ Europe est à la traine. CATL, le plus gros fabriquant chinois, détient un peu plus d‘ un tiers de la production mondiale ; viennent ensuite le coréen LGES (15 % du marché mondial), puis BYD, à nouveau un fabricant Chinois, et ensuite le japonais Panasonic.

1) Les batteries made in Europe :
L’Europe s’est donc mise en route, et la Commission européenne a prévu que l’industrie européenne de la batterie représenterait 400 GWh en 2030, c’est à dire environ 25 % du marché mondial. Il y a, actuellement, un peu plus d’une vingtaine d’usines en construction, et ce seront des batteries lithium-ion.

Les projets les plus importants sont les suivants :

  • Northvolt (Suède) : une giga-factory à Skellefteau, à 200 km du cercle polaire, d’une capacité de 60 GWH qui a démarrée en 2021 ; et une seconde usine est en construction, toujours en Suède, à Goteborg, en liaison avec Volvo. Cette entreprise a comme actionnaires Volskwagen, BMW, et Goldman&Sachs. Et une troisième usine est prévue en Allemagne.,
  • CATL (chinois) : une usine en Allemagne qui a démarré en décembre 2022, et cette société prévoit une seconde usine, en Hongrie ;
  • Renault : le groupe Renault va s’appuyer sur 3 très grandes usines : une à Douvrin (ACC) , une autre à Douai, et une troisième à Dunkerque (Verkor). Douai démarrera en 2024, et Dunkerque en 2025. La société ACC a été créée en 2020 par une filiale de Total (la Saft), PSA et Opel (filiale de PSA).
  • Stellantis : le groupe PSA-Fiat s’appuiera sur l’usine de Douvrin ; et une giga-factory est en construction en Allemagne, à Kaiserslautern, qui démarrera en 2025 (13,5 GWh, puis 40 GWh ensuite). Et un projet est annoncé en Italie.
  • Volkswagen : sa filiale ower-Co construit une usine a Salzitter, prés de Hanovre, qui démarrera en2025 (40 GWh), et elle prévoit d’avoir 6 sites de production en 2030.

2) Les constructeurs européens
Les constructeurs européens se sont mis rapidement à l’ouvrage. Ils ont conçu et lancé, les uns et les autres, la fabrication de leur propre groupe motopropulseur électrifié.

  • Volskwagen : la fabrication du moteur ID.3 a démarré au second trimestre 2020, et un nouveau moteur, plus gros, le MEB (200 CV) a commencé à être produit fin 2022. La firme prévoit une production de 1,4 million de moteurs en 2024.
  • Renault : Renault a conçu son groupe autopropulseur e.PT en liaison avec Valeo-Siemens, et l’entreprise en assure la fabrication dans son usine de Cléon.
  • PSA/Stellantis : PSA a lancé la fabrication de son groupe autopropulseur à l’usine de Tremely, prés de Metz.
  • Mercedes- Benz : ce constructeur a acheté le britannique YASA et a transféré la fabrication de ces moteurs à hautes performances dans une de ses usines, près de Berlin.

L’avenir de l’industrie automobile européenne est dans les mains de Bruxelles

Carlos Tavares, le Directeur exécutif de Stellantis, pronostique une lutte terrible avec les constructeurs chinois. Interrogé par des journalistes du magazine Automobilwoch il leur a dit : « Les voitures électriques fabriquées en Europe sont approximativement 40 % plus chères que les modèles comparables produits en Chine. Les clients européens appartenant à la classe moyenne vont être de plus en plus nombreux à se tourner vers les modèles chinois ».

Thierry Breton, à Bruxelles, le Commissaire européen au marché intérieur, travaille actuellement à la réponse que l’UE va donner aux mesures que la président américain Joe Biden a prises avec la mise en place de l’IRA (Inflation Reduction Act), en aout 2022, un plan de 369 milliards de dollars pour « décarbonner l’économie américaine, accélérer la transition énergétique, stimuler l’investissement dans la filière automobile électrique et rapatrier les chaines d’approvisionnement aux Etats-Unis ». Il y aura des subventions, des avantages fiscaux, et des aides diverses, et ce plan devait entrer en vigueur le 1er janvier2023. Il va favoriser, pour les Américains, l’achat de véhicules électriques fabriqués aux Etats-Unis ainsi, qu’éventuellement au Canada ou au Mexique. Thierry Breton prévoit donc des mesures du même type, plus un fonds souverain permettant d’investir, en accompagnement des industriels. Et il a été annoncé qu’il présenterait son projet dans les tout prochains jours.

Ce plan, conçu comme une réponse à l’IRA de Joe Biden, est l’occasion rêvée pour l’Union Européenne de mettre en place la législation qui va permettre à son industrie automobile de se protéger de l’invasion des voitures chinoises.
Il faudra des mesures à la façon des Etats-Unis, et encore devra-t-on prendre le soin de distinguer les build- up, c’est-à-dire les voitures importées toutes montées, de celui des CKD, c’est-à-dire des véhicules importés en pièces détachées pour être assemblées dans une simple usine de montage installée dans un pays à bas coût de main d’œuvre, comme, par exemple, la Hongrie.

Certes, le Traité de Rome a-t-il posé un principe d’interdiction des aides publiques car elles faussent la concurrence. Mais l’entrée de la Chine dans l’OMC a changé la donne : ce pays, à l’immense population, est devenu l’usine du monde, ayant bénéficié d’énormément d’investissements étrangers et ayant été assez habile pour capter à travers eux les transferts de technologie qui lui étaient nécessaires. La Chine a donc comblé totalement son retard technologique, et l’Institut japonais NISTEP nous dit qu’elle a davantage de chercheurs maintenant que les Etats-Unis, et qu’elle publie plus d’articles dans les revues scientifiques que les Américains. Du fait de ses coûts de main d’œuvre considérablement inferieurs à ceux des pays occidentaux, ses produits inondent le monde. Ainsi, pour les automobiles, la Chine est-elle devenue un plus gros exportateur que l’Allemagne, et elle va très rapidement battre les Japonais qui sont numéro un mondial en ce domaine.

Le marché européen se trouvant en phase de maturité ne devrait pas, normalement, être très attractif pour les Chinois, car les entreprises, dans des stratégies bien conçues, ne s’attaquent qu’à des marchés en croissance. Toutefois, la mutation technologique qui s’est opérée offre aux Chinois une opportunité : ils pensent pouvoir profiter de leur avance dans le domaine des voitures électriques, et on les voit déterminés à venir s’installer sur le marché européen en mettant à profit leur avantage de coût. Un dispositif semblable à l’IRA est donc indispensable, et l’avenir de l’industrie automobile européenne va dépendre des dispositions que la Commission européenne sera en mesure de prendre dans les jours qui viennent.

Le journal Le Monde, dans son édition du 17 janvier 2023, nous dit : « Face à la Chine et aux Etats-Unis qui veulent attirer chez eux les entreprises européennes à coups de subventions massives à l’industrie verte, la Commission esquisse une politique industrielle communautaire ». Ces mesures protectionnistes ne seront probablement nécessaires que momentanément, car les constructeurs européens qui ont de très importantes capacités de R&D ne vont sans doute pas manquer de faire des avancées au plan technologique qui leur permettront de devenir, à nouveau, très compétitifs. C’est du moins l’espoir qu’il faut nourrir.

(Article paru le 9 février 2023 dans la Revue politique et parlementaire)

 

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2 commentaires

zelectron février 17, 2023 - 11:45 am

L’industrie automobile européenne doit suprimer le thermique !
je ne savais pas qu’Ursula von der Layen était « de plus » Docteure-ingénieure en sciences automobilistiques

Répondre
Guyot-Sionnest février 17, 2023 - 12:10 pm

très intéressante et riche analyse
très intéressante et riche, voire optimiste, analyse

mais discutant à peine de l’utilité réelle de l’interdiction de la vente en europe des voitures thermiques que le reste du monde va continuer d’utiliser .

Cette interdiction sera-t-elle levée ? seule l’année est inconnue 🙁

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