Il est inhabituel de voir un auteur de contributions au site IRDEME-EPLF publier un article délibérément contradictoire avec une autre contribution à ce même site. C’est pourtant le signe de la liberté et de la responsabilité des auteurs sur notre site. Et c’est une telle critique qu’appelle l’article paru, le 28 février 2022, avec un titre quelque peu anachronique (Heil Poutine ! etc.)[[Usuellement nous réagissons plutôt par des commentaires mais dans ce cas cela méritait un vrai développement.]].
Indépendamment du sujet ukrainien, l’article ci-dessus évoqué veut faire croire que l’OTAN, aujourd’hui, serait une « organisation à but exclusivement défensif » : telle est sa thèse principale. Et c’est là qu’il convient de rétablir les faits.
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Commençons par les textes. L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, dit de Washington, ne vise que le cas de de la riposte à une « attaque armée ». Cette attaque, précise l’article 6, doit se produire :
* soit sur le territoire d’un membre de l’OTAN (mais seulement en Europe, en Amérique du Nord, en Turquie ou dans les îles qui leur appartiennent « dans la région de l’Atlantique nord au nord du Tropique du Cancer ») ;
* soit contre des forces militaires d’un membre se trouvant sur ces territoires, ou en Méditerranée, ou dans l’Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer, ou, s’il s’agit d’aéronefs, au-dessus d’eux.
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Toutefois, comme tout juriste le sait, le droit n’est que partiellement gouverné par les textes et principalement par la pratique.
Il suffit de se tourner vers un site universellement consulté comme Wikipedia, ou vers le site officiel de l’OTAN elle-même, pour voir ce qu’il en est réellement.
2.1. Jusqu’à la fin de l’empire soviétique, contre lequel l’OTAN a été créée, l’article 5 du traité n’a jamais été utilisé : c’est la preuve que cette alliance défensive a alors bien fonctionné.
Depuis lors, cet article 5 a été utilisé une fois, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain, revendiqués par al-Qaida, organisation dirigée depuis l’Afghanistan : c’est sur cette base que l’OTAN a pu ensuite intervenir militairement dans ce pays (Conseil de l’Atlantique Nord, 2 octobre 2001). Un mandat de l’ONU a aussi été donné à cette fin, mais dans un second temps seulement.
2.2. En revanche, des interventions offensives de l’OTAN se sont produites, en plus grand nombre, hors des conditions, zones ou territoires visés par le traité :
* contre la Serbie : en Bosnie (1995, près de 300 avions engagés, un millier de bombes larguées), puis au Kosovo (1999, près de 800 avions engagés, 23 000 munitions larguées et plus de 800 missiles tirés, plusieurs centaines de militaires serbes et environ 500 civils tués) ;
* contre les insurgés albanophones de la Macédoine, pays alors non membre de l’OTAN, afin de les désarmer (2001) ;
* contre la Libye (31 mars-31 octobre 2011) : environ 4 000 sorties d’avions, au moins quelques dizaines de victimes civiles.
Toutes ces interventions n’ont eu aucun caractère défensif mais furent des actes de guerre menés hors des territoires de l’OTAN et sans qu’aucun de ses membres ait été attaqué. On a les a baptisées « opérations de police » ou « de maintien de la paix », voire « guerres humanitaires » : il n’en reste pas moins vrai qu’elles furent offensives.
2.3. Faire valoir que ces actions de guerre de l’OTAN auraient été couvertes par des mandats du Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas pertinent. Lorsque l’ONU prend une résolution, c’est à des États qu’elle s’adresse, lesquels peuvent se coaliser pour intervenir comme demandé -ce qui s‘est déjà produit à maintes reprises. Lorsque l’OTAN exécute une telle résolution, c’est en tant qu’alliance et en tant qu’organisation internationale, qui engage et expose chacun de ses membres, même s’il ne participe pas à l’opération. Ce n’est pas parce que l’ONU a demandé aux États d’intervenir et les y a autorisés que l’intervention de l’OTAN serait de ce seul fait validée.
Au surplus, dans le cas du Kosovo, il n’y avait aucun mandat de l’ONU pour intervenir. L’OTAN a donc mené cette action de guerre offensive sans demande de l’ONU et sans y être autorisée par son propre traité constitutif.
* *
Pour conclure, contrairement à la thèse de l’article du 28 février, il est évident, et d’ailleurs non contesté par l’OTAN elle-même, que la plupart des opérations postérieures à la chute de l’empire soviétique ne sont plus de nature défensive. Se demander dans quelle mesure ce changement de nature de l’OTAN contrevient à son traité fondateur n’est guère opérant : il n’y a pas de juge pour faire respecter ledit traité. Si l’OTAN a pu intervenir en Bosnie, au Kosovo ou en Libye comme elle l’a fait, il n’y aurait aucune raison théorique qu’elle ne puisse pas le faire pareillement en Ukraine.
Avec deux bémols, toutefois : un, il est vain d’espérer un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, où la Russie jouit du droit de veto ; deux, la Russie n’est ni la Serbie, ni la Libye, elle a une plus grosse armée et détient la bombe atomique. Aussi déplaisant que cela puisse être pour certains, c’est surtout ce dernier élément, et non pas la supposée nature « défensive » de l’OTAN, qui empêche, pour le moment, celle-ci de faire la guerre.
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L’OTAN, « une organisation non tenue en laisse » ?
la Serbie fut pendant presque un millénaire la très fidèle alliée de la France : Mitterrand n’en a eu cure !