Nous sommes en 2005, Ségolène Royal annonce sa candidature à l’Elysée. On attribue à Laurent Fabius d’avoir lancé « Mais qui va garder les enfants ? ». Il faut mesurer le chemin parcouru en quinze ans, où ce qui se voulait à l’époque être une plaisanterie simplement macho coûterait maintenant définitivement sa carrière à n’importe quel homme politique.
Les mœurs ont complètement changé, et avec un certain retard l’impératif de l’égalité hommes-femmes s’est imposé, de même que celui de la responsabilité de l’homme au foyer. Nous sommes très loin de l’époque où les maris profitaient des trois jours accordés aux pères pour aller fêter la naissance avec les copains au bistrot. Avec un certain retard aussi par rapport aux voisins européens, la France va doubler le congé paternité, le passant de 11 jours plus 3 jours de congé de naissance à 25 jours plus 3 jours, soit au total 28 jours calendaires au lieu de 14.
Guère de débat sur l’opportunité
Il n’y a guère de débat de fond sur l’opportunité de cette mesure qui vient d’être confirmée par Emmanuel Macron. Elle est depuis longtemps attendue par tous les féministes, et plébiscitée à 80% par les Français selon tous les sondages. Elle suit, bien que de loin, les recommandations du rapport Cyrulnik qui proposait d’aller jusqu’à 9 semaines de congé. Elle favorise le travail des femmes, en moyenne plus diplômées que les hommes, ainsi que la réduction des inégalités, particulièrement importantes au foyer… et ainsi aussi que la prise de conscience de ces inégalités par le partenaire masculin !
La mesure remet enfin la France à hauteur de la bonne moyenne des pays européens, encore qu’il faille distinguer suivant les modalités du congé et les indemnités payées aux bénéficiaires. C’est ainsi que la France sera dans le peloton de tête avec 4 semaines, beaucoup de pays n’accordant que 2 semaines. Mais le Portugal accorde 5 semaines, la Finlande 9 semaines (et en 2021 ce sera 7 mois comme pour la mère), la Suède 69 semaines à partager entre le père et la mère, l’Espagne 8 semaines passant à 16 semaines en 2021, la Norvège 15 semaines plus 16 semaines à partager entre père et mère… De plus les indemnités versées sont égales à 100% du salaire en Espagne et en Norvège, alors qu’en France elles sont fonction du salaire et plafonnées à 89 euros par jour.
Le coût de la mesure est-il un obstacle ?
Un coût estimé à 500 millions d’euros en année pleine – au minimum parce que le recours au congé devrait augmenter. A comparer aux 63 milliards de prestations sociales liées aux enfants, plus 43 milliards de dispositions fiscales. La France n’est que 10ème sur les 31 pays européens pour la politique familiale, dont une place désastreuse de 26ème pour les mères, et de 11ème pour les pères.
Bien sûr, on pourra toujours stigmatiser le « toujours plus ». Mais compte tenu du retard relatif de la France, de l’importance sociale de la mesure, et de la modestie du coût relativement au budget total de la politique sociale en direction des enfants, on peut estimer justifié de donner une priorité à cette mesure – quitte à remettre en question certaines autres prestations moins nécessaires.
Un congé obligatoire ou pas ?
Première remarque, on peut être d’accord avec des économistes comme Natacha Valla, entre autres, enseignante à Sciences Po et membre du conseil d’administration de LVMH, pour juger que la durée de 7 jours de congé, sur un total de 28, qu’il est question de rendre obligatoires au même titre que les 16 semaines de congé de maternité, reste un détail de faible importance et de faible impact financier, surtout compte tenu de ce que deux-tiers des congés de paternité autorisés par la loi sont effectivement déjà pris.
Deuxième remarque, la raison de l’obligation faite aux employeurs et à leurs salariés réside dans le fait que seulement 48% environ des congés sont effectivement pris par les salariés précaires, contre 80% dans le cas des salariés en CDI (et 88% dans le secteur public). Il apparaît justifié de prendre cette mesure en faveur des titulaires de contrats précaires. De plus, en limitant à 28 jours la durée des congés et à un quart des congés la part obligatoire, Emmanuel Macron a pris les devants et habilement désamorcé une mesure prévue d’ampleur bien plus large par la Convention citoyenne et par la commission Cyrulnik (mais qu’allait-il toutefois faire en organisant cette galère ?!)
Au total, en rendant obligatoire une partie des congés on peut critiquer une mesure qui va une fois de plus intervenir dans la vie des entreprises en les pénalisant financièrement. Mais on remarquera son caractère très peu significatif, surtout quand on compare les 7 jours obligatoires des pères avec les 16 semaines tout aussi obligatoires du congé maternité. Guère plus qu’un coup d’épée dans l’eau… La vraie réforme aurait consisté à prévoir, comme l’ont fait divers pays européens, un bloc de jours que le père et la mère peuvent se partager comme ils l’entendent, avec un minimum pour la mère. C’est le cas de la Norvège avec 16 semaines à partager en plus de 15 semaines pour chacun, mais ne rêvons pas, le PIB par habitant de ce pays très riche, gonflé par la rente pétrolière, est plus du double de celui de la France !
L’inégalité entre les entreprises, vrai problème
Nombre de grandes entreprises françaises ont depuis longtemps choisi d’accorder des congés paternité allant bien au-delà des obligations légales. Ainsi, Axa accorde 4 semaines dans tous ses établissements mondiaux, Aviva offre depuis 2017 10 semaines de congé « second parent » à tous ses employés. Des start-ups ont fait de même. Surtout, ces entreprises rémunèrent les congés sur la base de 100% du salaire en complétant les indemnités versées par la Sécurité sociale.
Il n’en reste pas moins que le passage à 28 jours, dont 7 obligatoires, va peser lourdement sur la plupart des PME et surtout des TPE, du point de vue tant financier qu’organisationnel. Une absence d’un mois lorsqu’on n’a que 3 employés est difficile à organiser. Dans ces TPE/PME les congés seront le plus souvent limités aux 7 jours obligatoires, et les employeurs ne compléteront pas les indemnités de Sécurité sociale. Un gouffre de différence avec les grandes entreprises – et avec le secteur public –s’ajoutant aux avantages sociaux divers si souvent considérables accordés dans ces secteurs.
Alors on suggère que la mesure ne soit pas imposée aux entreprises jusqu’à onze salariés, voire plus. Ce ne serait pas la première fois que les TPE et petites PME se verraient exonérées de certaines obligations qu’elles auraient autrement beaucoup de difficultés à respecter. Au minimum ces entreprises devraient-elles être exonérées de l’obligation d’accorder les 7 jours de congé.
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Les citoyens norvégiens ont tous scrupuleusement recours aux congés de paternité qui leur sont accordés (70% prennent au moins trois mois de congé) : c’est qu’ils auraient peur d’être considérés comme des pères indignes. Il faut dire aussi que ce congé est rémunéré à 100% du salaire. C’est un fait de société, facilité aussi par la richesse du pays. Ce serait impossible financièrement en France, mais ce n’est pas non plus – encore – rentré complètement dans nos mœurs. Emmanuel Macron ne fait finalement que devancer quelque peu une évolution sociétale du rôle du père dans le couple, évolution que l’on peut croire aussi inéluctable que souhaitable. C’est ainsi qu’il faut interpréter la mesure, et non comme un interventionnisme malencontreux dans la vie des entreprises. On peut seulement se demander si c’est bien le moment d’imposer une telle mesure dans les circonstances actuelles…
Dernière minute
Les Suisses viennent d’approuver par référendum, à une large majorité de 60,3%, l’institution d’un congé paternité de deux semaines, qui était jusqu’à présent de 1 à 2 jours. L’indemnité est au maximum environ le double de ce qu’elle est en France, mais cela est en rapport avec les salaires et le coût de la vie en Suisse. Le pays comble ainsi une partie de son retard sur l’Europe.