Cela se passe sur France Inter, la ministre du travail est interviewée. La veille, Emmanuel Macron a expliqué devant les citoyens pourquoi il ne reviendrait pas sur la suppression de l’ISF. Le journaliste questionne la ministre : on a bien compris que l’ISF n’était pas le bon outil pour payer les dépenses, mais l’ISF n’était-il pas le meilleur instrument permettant d’obtenir des plus pauvres un consentement à l’impôt, sujet si difficile en France ?
La ministre n’a pas eu la présence d’esprit – ou le désir – de répliquer : mais ne pensez-vous pas que lorsqu’il s’agit de créer un impôt, les premières personnes dont on doit obtenir le consentement sont celles qui seront amenées à le payer et non celles qui en seront les bénéficiaires ?
Ce n’est pas qu’une boutade. Thomas Piketty déclarait hier que, pour qu’Emmanuel Macron puisse continuer d’être Président au tournant de la deuxième dizaine du siècle, il faudra qu‘il rétablisse l’ISF. Un ISF qui ne rapporterait que 3 milliards de plus que le nouvel IFI sur un total de 1.057 milliards de prélèvements obligatoires en 2018. Ce qui n’a aucun sens d’un point de vue économique, surtout si l’on tient compte des effets désastreux sur la fuite des capitaux et l’obligation de distribuer des dividendes aux membres des familles possédantes mais non impliquées dans la direction des entreprises. On est donc dans le symbole et dans la volonté de punir les riches d’être riches. Des riches dont on n’aurait pas à demander le consentement, ce qui est pour le moins paradoxal. Mais ils ont moralement tort !
Et il ne viendrait pas à l’idée des bénéficiaires des ressources provenant des impôts qu’ils ne paient pas, d’admettre que le cadeau qu’ils reçoivent ainsi gratuitement n’est pas de même nature que le prétendu « cadeau » que les riches recevraient du fait de la suppression d’un impôt étouffant et économiquement imbécile.
Cela constaté, nous avons un bloc constitutionnel qui inclut la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789. Elle traite ainsi de la participation aux charges de l’Etat dans son article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
La participation de chacun « en raison de ses facultés » est évidemment un principe difficile à cerner. Mais notons que le but affiché est limité à « l’entretien de la force publique » et aux « dépenses d’administration ». Autrement dit, seule apparaît comme fonction du prélèvement public, le financement des institutions publiques. La lutte contre la pauvreté ne figure pas dans notre bloc constitutionnel, et pourtant la redistribution qui caractérise cette lutte est devenue primordiale et a même été étendue aux inégalités ce qui n’est pas la même chose ! Pour l’INSEE (2016), avant redistribution, le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus aisées est 8,5 fois supérieur au niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes ; ce rapport passe à 3,9 après redistribution (pour les 10%, le rapport initial est de 23,6 avant redistribution et de 5,7 après redistribution).
L’impôt sur le revenu est le plus redistributif, qui contribue pour 29 % à la réduction des inégalités relatives de niveau de vie. Mais les prestations sociales contribuent aussi beaucoup. Ainsi, avec le temps, le bénéfice des prestations familiales est maintenant accordé quasiment en totalité sous conditions de ressources. L’évolution récente des revenus du travail montre aussi que le rôle de l’impôt devient de plus en plus important par rapport à celui du salaire versé par l’employeur : c’est le cas des contributions sociales des salaires du bas de l’échelle, et aussi celui de l’impôt négatif que constitue la prime d’activité, en très forte augmentation actuellement.
L’évolution de la fiscalité est ainsi considérable et on n’en a pas assez clairement conscience ! Consentement à l’impôt ? En tout cas, à côté des sommes considérables de la redistribution, le montant de feu l’ISF apparaît minuscule, et l’intérêt qu’il suscite hors de propos. C’est un aspect des choses qui n’a pas été suffisamment souligné.
Une autre solution pour « égaliser » les contributions au sens de 1789 serait de généraliser l’ISF à partir par exemple de 100.000 € au lieu de 1.300.000 € à date et de faire démarrer l’IRPP au 1er €, toutes ressources confondues.
4 commentaires
Apprendre et connaitre la source des richesses avant de vouloir les partager…
Depuis le début du mouvement « Gilets jaunes », je n’ai pas entendu un seul responsable politique, ou commentateur du mouvement dans les médias, qui ait tenté de rappeler et expliquer la réalité du système économique dans lequel nous vivons, et qui est superbement ignorée par ceux qui manifestent, et ceux qui les soutiennent…
Je m’explique: de 1877 à 1950, nos grands parents (et parents pour les plus âgés) avaient en cours moyen d’école primaire l’obligation tous les matins de lire quelques pages du livre « Le tour de la France par deux enfants »: https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Tour_de_la_France_par_deux_enfants
C’était le tour de France des pôles de compétitivité de l’époque, focalisé sur l’économie productive créatrice de richesses: celle qui nourrit l’économie résidentielle (au sens des travaux de Laurent Davezies).
Je me souviens avec émotion de ma grand-mère maternelle paysanne qui savait à peine lire (essentiellement son livre d’évangiles et prières) et qui m’avait en 1954 offert ce livre qu’elle avait lu vers 1900.
Ces générations avaient un référentiel culturel commun, et cela explique sans doute que le système social construit après la guerre 39-45 était compris de tous les acteurs qui ont eu à en discuter, puis à l’accepter…
Je cherche en vain le référentiel culturel économique commun pour nos générations d’actifs d’aujourd’hui: et cette absence explique l’incapacité des responsables politiques à faire entendre raison aux gilets jaunes. Seuls quelques leaders syndicaux ont des éléments de compréhension, mais ils les utilisent de manière partisane.
J’avais moi-même rédigé il y a sept ans un « Une page » pour résumer le processus de création de richesses avant de les partager: actualisé en https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-167279-creer-des-emplois-pour-enrichir-un-pays-ou-pour-le-ruiner-2070734.php
Quoi de neuf sous le soleil ?
Les caisses de l’Etat sont vides…
extraits: « …régénérer les ressources plutôt que les pressurer…trouver le vrai secret d’alléger
les impôts dans l’égalité proportionnelle de leur répartition…ainsi que dans la simplification
de leur recouvrement…ramener la confiance égarée… »
discours de Charles-Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances de Louis XVI
le 13 novembre 1783 !!
ISF pour tous!
Voilà ce qu’il faut proposer: ISF pour tous , au premier euro sans abattement…. on verra si 80% des français sont toujours favorables….
la charue avant les bœufs
parler d’emploi me semble parfaitement incongru comme de discuter du partage du gâteau avant qu’il n’y ait eu l’ombre du commencement de rassemblement des ingrédients pour ce faire, on en est toujours surtout de la part des politiques à vendre la peau de l’ours . . . mais bon sang dans notre système, ce sont les entreprises qui créent la richesse et je ne suis pas certain que toutes puissent être qualifiées de productrices dans la mesure où revendre 10 000 téléviseurs importés avec l’aide d’une secrétaire et d’un factotum ne génère ni emploi ni bénéfices (déclarés) la majeure partie d’iceux-là est bien au chaud dans un paradis fiscal, mais cette opération est comptabilisée dans le PIB de la FRAN-AN-AN-CE-CE n’est-ce pas ? Celui qui fabrique sur notre sol des objets par exemple des jouets ne jouit ni de la considération ni de l’estime des édiles et autres verbieurs patentés qui nous gouvernent, car son chiffre d’affaire n’est pas du tout à la hauteur du précédent exemple. Il serait peut-être opportun de faire la différence entre les manufacturiers au sens large (industrie ET agri-agroalimentaire) et les marchands (du temple), commerçants, distributeurs et autres grossistes . . .