J’ai eu l’occasion, dans cet article de septembre, d’aborder le problème des valeurs dites « universelles », de leur relativité et de leur fragilité dans une planète « mondialisée ».
Or sans valeurs communes il devient extrêmement difficile d’aboutir à des consensus alors que leur nécessité devient vitale. On se retrouve quelque part entre deux interlocuteurs qui ne peuvent s’entendre car ils ne parlent pas la même langue et sont pourtant obligés de se parler. La montée des « fake news » ne peut qu’amplifier ce problème : les deux phénomènes sont-ils liés ?
La montée des « fake news »
Dans Le Courrier International (N°1513), la sociologue franco-israélienne Eva Illouz se penche sur la floraison ininterrompue de « fake news » et sur l’espèce de cacophonie qui s’installe dans le discours public, provoquant, dans tous les cas alimentant les crises de la démocratie auxquelles nous assistons dans de nombreux pays. La vérité disparaitrait derrière des affirmations mensongères délibérées. Certes, notre époque ne manque pas de menteurs et l’irruption de l’immédiateté des nouvelles et de leurs commentaires pousse dans ce sens. Je pense néanmoins qu’il faut remonter plus haut.
Si les valeurs bougent, la vérité aussi
Elle en attribue principalement l’origine à une désinformation malintentionnée et indique que ceci n’a pas comme seule conséquence une remise en cause de la vérité en tant que telle mais aussi sur sa conception même. Un courant, dit postmoderniste, avance que la vérité n’a rien d’absolu et s’appuie sur les valeurs. S’agit-il de réel fake new, c’est-à-dire d’inventions malintentionnées ou bien d’interprétations différentes parce que basées sur des prémisses également différentes, en fait des valeurs différentes ?
La vérité évolue avec les valeurs
Livrons-nous à un petit exercice : nous entendons chaque jour parler et réclamer plus de justice sociale, en particulier en matière de fiscalité. La TVA est un impôt quasi général en France et qui s’applique uniformément à tout achat. Il est donc vrai de dire qu’il est juste puisque tout le monde le paye de la même manière. L’IRPP, non seulement n’est pas payé par tout le monde, mais a encore un taux différencié selon les revenus du contribuable : il peut aussi être considéré comme juste car pesant différemment selon la capacité contributive. Plus fort encore, la défunte Taxe d’Habitation pesait sur la valeur locative (plus ou moins égale à la consommation de commune) des habitations : juste encore ! et pourtant différente. Gageons que les partisans de l’égalité au-dessus de la liberté considéreront que l’IRPP est « plus » juste que la TVA et que ceux qui privilégient la liberté voteront l’inverse. La vérité, avant toute mauvaise intention, est le reflet de nos valeurs, lesquelles bougent dans le temps et dans l’espace. Plus disputée encore : la transformation de l’ISF en IFI : est-ce un cadeau aux riches ou une remise à niveau partielle d’une injustice antérieure ?
Autre exemple : l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques : quelle est la différence intrinsèque entre un animal sauvage et un animal domestique ? sinon la domestication ? pourquoi dès lors trouver « normal » de tenir un chien en laisse (véritable signe d’esclavage) plutôt que de montrer un lion dans une ménagerie ? Ceux qui militeront pour une certaine humanité de l’animal et ceux qui la refusent défendront deux vérités différentes et contradictoires, fonctions de leurs valeurs.
Autre exemple : recherchons-nous l’égalité des chances ou l’égalité des résultats ?
La divergence des vérités, cause première de l’éclatement apparent de nos sociétés
• La dérive des valeurs pousse à la disparition de la vérité unique et absolue, et entraîne à sa suite bon nombre des révoltes actuelles. On les classe d’ailleurs allègrement dans la case lutte contre les inégalités ou montée du populisme, sans intégrer que ces termes recouvrent des vérités différentes pour les individus comme d’ailleurs le terme de démocratie ;
• Il faudrait premièrement trier : les émeutes de Hong Kong ont pour origine un refus d’intégration dans un ensemble chinois global, rien à voir avec les inégalités ; plutôt un souci de liberté ; de même le problème de la Catalogne : quel niveau d’intégration avec l’Espagne ? ou celui de l’Ukraine, coincée entre la CEE et la Russie ?
Ceux de l’Algérie ou du Liban, voire du Chili ou de l’Iran, sont d’abord des problèmes politiques et de fonctionnement de la démocratie, accessoirement de rejet des élites.
La France des gilets jaunes souffre du clivage peuple-élites mais aussi de celui Paris-province-ruralité autant que des inégalités, lesquelles peuvent être discutées longuement selon les valeurs de référence. Les populismes (des US ou d’Europe de l’Est, voire de Grande-Bretagne) correspondent à des manières de voir différemment les vérités et les valeurs. (Pour les USA par exemple, l’objectif retenu est-il de gouverner le monde ou d’enrichir les Américains ?) ;
• Ceci entraînera également l’éclatement de la justice : divorcer ou être homosexuel était encore, il n’y a pas si longtemps, un délit !
Quelques points communs
• Valider les définitions : l’indice de pauvreté français est en fait un indice d’inégalité. Il a de plus été boosté à 60% du salaire médian, alors que sa définition européenne est à 50% ! et différent de celui de l’ONU ! Alors, qui et quoi croire ?
• Disposer de chiffres correspondants et incontestés et les donner dans leur entièreté : tous les jeunes français sont aujourd’hui persuadés qu’ils n’auront pas de retraite. Quelqu’un peut-il expliquer à quoi seraient employés demain les quelque 350 Milliards affectés chaque année par la nation à ce poste de dépense ? Les retraites auront peut-être du mal, certes, mais pas au point de s’évaporer. La plupart des fake news sont le plus souvent de simples informations tronquées ou expurgées pour servir une cause ;
• Trouver un consensus sur « les faits et les chiffres » ;
• Ensuite seulement discuter et tenter d’arbitrer entre « vérités » différentes, voire contradictoires, lesquelles sont légitimes mais polluent le plus souvent le débat avant son commencement.
Une petite lueur d’espoir
La seule vérité qui sorte à peu près indemne de ce maelström est la démocratie, un individu = une voix. Mais cette démocratie est devenue protéiforme et semble, si l’on en juge par l’émergence continue de tous les conflits populaires spontanés contre les gouvernements « officiels », représentatifs ou non, à réinventer.
Cela milite également pour l’idée de mettre de l’ordre dans les valeurs « universelles ». Où y mettre la recherche du bonheur… ?
Yves Buchsenschutz
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A chacun sa vérité comme disait Pirandello
Remarquable article sur l’évolution de notre société qui veut tout et tout de suite avec des exigences idéologiques à faire exploser les valeurs qui ont fait notre Nation, la France.
Le camp du Bien s’appelle le Progressisme signifiant plus un retour en arrière idéologique car il a perdu la bataille des idées et son ennemi ou son contraire est le Populisme, entâché à ses yeux, par un côté identitaire, conservateur, et fidèle à ses valeurs!
Ce que nous vivons aujourd’hui est inquiétant: prémices d’une guerre civile ou d’une soumission totale à ceux qui décrètent que la France n’appartient plus aux Français!