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Une presse française sous perfusion

par Dominique Mercier
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Le chiffre d’affaires de la presse écrite diminue de manière inquiétante depuis près de 15 ans. Afin de soutenir ce secteur et le pluralisme de la presse, l’État accorde chaque année un grand nombre d’aides, qui ont substantiellement augmenté depuis 2009 mais qui laissent planer le doute quant à l’indépendance des rédactions.

On connait les difficultés de la presse écrite, dont le chiffre d’affaires est passé de près de 11 milliards d’euros en 2000 à moins de 9 milliards en 2012, soit une baisse de près de 20% en à peine plus d’une décennie. Le secteur, qui subissait déjà la migration des budgets publicitaires vers Internet, a subi de plein fouet la crise de 2008, concomitamment à l’apparition des smartphones et tablettes.

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Source : Séries longues fournies par le ministère de la Culture et de la Communication. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-secteurs/Presse/Chiffres-statistiques

Si les premières mesures d’aides à la presse écrite remontent à la Révolution françaises dans une optique de défense du pluralisme, les difficultés récentes ont été autant de raisons d’augmenter le montant des aides. Entre 2009 et 2011 un plan d’aide triennal a donné lieu à des crédits supplémentaires pour un montant total de 450 millions d’euros. Cette aide à vocation ponctuelle a peu diminué depuis et ne représente en fait qu’une petite partie des aides.

Le secteur bénéficie tout d’abord d’une TVA particulièrement faible à 2,1%, ce qui d’après la Cour des comptes correspond à une dépense fiscale d’environ 1 milliard d’euros annuel[[ dépense calculée par comparaison avec une TVA normale à 19,6% . Le plan d’aide à la presse écrite 2009-2011 : une occasion de réforme manquée, rapport public annuel 2013, février 2013, p.624.]]. En plus de ce manque à gagner fiscal, les crédits accordés par le ministère de la Culture et de la Communication sont élevés, à près de 400 millions d’euros en 2013[[Les aides de l’État à la presse écrite, rapport Cour des comptes de juillet 2013 et PLR 2013 – extrait du RAP de la mission : médias, livre et industries culturelles, p.11, Version du 20/05/2014 à 19:46:03.]]. Ces crédits se subdivisent en « aides à la diffusion » pour 308 millions d’euros, « aides à la modernisation » pour 75 millions d’euros et « aides au pluralisme » pour 12 millions d’euros :

Les aides à la diffusion consistent pour l’essentiel en une aide au transport postal, versée par l’État à La Poste afin de lui permettre d’accorder des tarifs préférentiels à la presse. Elle se compose également de manière plus minime d’aides au portage, aux messageries de presse ou à l’acheminement de presse par voie ferrée.

Les aides à la modernisation viennent financer des projets liés à la diminution des coûts de fabrication des journaux, à la modernisation des rédactions, au développement du lectorat jeune, de la presse numérique ainsi qu’à la restructuration des imprimeries.

Les aides au pluralisme consistent quant à elles à soutenir financièrement les titres fragiles et à faibles ressources publicitaires.

On peut ajouter à ces montants la contribution de l’État à la mission de l’AFP[[Agence France Presse]] pour 120 millions d’euros en 2013, ainsi que la mesure fiscale d’abattement pour frais professionnels[[« La rémunération des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux est considérée, à concurrence de 7.650 €, comme représentative d’une allocation pour frais d’emploi utilisée conformément à son objet et, à ce titre, exonérée de plein droit d’impôt sur le revenu. Cette somme peut donc être déduite des revenus déclarés. Contrairement à la déduction de droit commun des frais professionnels réels à hauteur de 30%, l’abattement s’applique de plein droit, sans que les intéressés soient tenus de justifier de l’affectation effective de leur rémunération au paiement de frais professionnels à due concurrence. Elle n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle de la part de l’administration fiscale. » (Les aides de l’État à la presse écrite, rapport Cour des comptes p.26)]] des journalistes, d’un coût de l’ordre de 60 millions d’euros. Le secteur de la presse[[« Les publications de presse, les sociétés coopératives de messageries de presse et les sociétés dont le capital est détenu majoritairement par des sociétés coopératives de messageries de presse qui leur confient l’exécution d’opérations de groupage et de distribution, les agences de presse ainsi que, depuis le 1er janvier 1995, les correspondants locaux de presse régionale ou départementale. Les services de presse en ligne]] bénéficie en outre d’une exonération de la contribution économique territoriale. Il n’existe pas de chiffrage récent de ce qu’elle coûte mais une ancienne évaluation se montait approximativement à 200 millions d’euros par an. En 2013, le ministère du Travail a par ailleurs accordé un crédit de 20 millions en faveur de la « modernisation sociale du secteur de la presse ».

En additionnant l’ensemble des aides mentionnées, on aboutit à un montant d’environ 1,8 milliard d’euros annuel, pour un chiffre d’affaires du secteur de moins de 9 milliards. Sur la période précédente 2009-2011, la Cour des comptes[[Le plan d’aide à la presse écrite 2009-2011 : une occasion de réforme manquée, rapport public annuel 2013, février 2013.]] trouve un même ordre de grandeur, à savoir un montant total d’aides de 5 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires triennal de 28 milliards d’euros. L’aide étatique représente donc depuis plusieurs années environ 20% du chiffre d’affaires du secteur[[Les administrations sont par ailleurs des clients publicitaires substantiels. On sait par exemple qu’en 2009 l’État a acheté des espaces publicitaires à la presse écrite pour 29 millions d’euros TTC, soit près de 1% des recettes publicitaires annuelles de l’ensemble de la presse écrite. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Media/Disciplines-et-secteurs/Presse/Files/Chiffres-de-l-annee-2009-pour-la-presse-ecrite-definitifs]].

Ce pourcentage important amène la question de l’indépendance de la presse par rapport au gouvernement et à l’administration. Les aides à la presse écrite ont toujours eu officiellement pour objectif de défendre le pluralisme, pourtant, le Sénat lui-même suggère la possibilité d’une influence contraire :

« Notre politique de soutien qui mobilise aussi bien des aides directes qu’indirectes, n’a pas son équivalent chez nos principaux partenaires, où les groupes de presse sont certes plus puissants d’un point de vue capitalistique que les nôtres, et qui estiment que le rapport à la puissance publique serait gravement perturbé par une relation budgétaire susceptible de nuire à l’indépendance des organes de presse. » Bien que la Cour des comptes n’ait pas procédé à une comparaison internationale précise elle confirme que « le coût élevé de [notre] politique publique n’a pas d’équivalent dans les autres pays membres de l’OCDE ».

A l’objectif historique de défense du pluralisme s’est ajouté un objectif de modernisation du secteur, mais le subventionnement semble plutôt avoir encouragé sa sclérose. Les journaux français affichent toujours une faible rentabilité comparée aux autres grands pays européens. La justification de la politique étatique semble donc doublement remise en cause.

 

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