La France a un budget qui est en déficit depuis maintenant quarante ans. Chaque année, l’Etat se voit dans l’impossibilité d’équilibrer ses comptes et cette situation est très préoccupante car notre dette extérieure a atteint, à présent, des limites à ne pas dépasser. Et elle va continuer à croître.[[Article paru sur Contrepoints le 12 décembre 2022, sous le titre « Notre déficit budgétaire est irréductible »]]
Le premier déficit budgétaire est apparu en 1975 avec ce que l’on a appelé la relance Chirac, et, depuis, les comptes nationaux sont chaque année en déséquilibre. Notre pays se trouve donc incapable de respecter la règle de Maastricht qui voudrait que le déficit budgétaire des pays membres soit régulièrement inférieur à 3 % du PIB. Et notre dette extérieure, depuis des années déjà, a franchi la barre des 60 % du PIB qui est la règle dans les pays de la zone euro. En 2019, dernière année dite « normale » avant la crise du Covid-19, le déficit s’est élevé à 72,8 milliards d’euros, et on en était à une dette de 2.380,1 milliards d’euros.
Les ratios français sont donc tout à fait anormaux, bien plus élevés que la moyenne des pays de l’OCDE, comme l’indique le tableau ci-dessous :
Dépenses publiques | Dépenses sociales | Endettement | |
France | 52,1% | 31,9% | 114,6% |
OCDE | 35,2% | 21,0% | 27,0% |
En % du PIB – Source : BIRD, 2020 |
Il faut donc examiner d’où vient le problème français.. Et pour avoir une analyse plus fine que celle consistant à faire une simple comparaison avec l’ OCDE nous procéderons à une approche économétrique basée sur un échantillon d’une dizaine de pays européens se situant à des niveaux de richesse très différents les uns des autres. Nous examinerons d’un côté les dépenses sociales qui tiennent une place très importante dans les dépenses publiques, et, de l’autre, les dépenses de fonctionnement.
Les dépenses sociales
Nous ramènerons ces dépenses au nombre des habitants afin de raisonner sur des données permettant de comparer les pays les uns aux autres et de pouvoir fonder une corrélation valable avec les PIB/capita, un indicateur qui est exprimé, lui aussi, par habitant. Nous avons donc les chiffres suivants :
PIB/capita | Dépenses sociales/habitant | |
Serbie | 9.215 | 1.911 |
Bulgarie | 11.635 | 1.594 |
Roumanie | 14.861 | 2.197 |
Grèce | 20.276 | 5.251 |
Espagne | 30.115 | 7.310 |
Italie | 35.551 | 10.237 |
France | 43.518 | 13.900 |
Pays Bas | 58.061 | 19.385 |
Suède | 60.239 | 17.090 |
Danemark | 67.803 | 21.687 |
Suisse | 93.457 | 23.456 |
Source : BIRD |
La première observation que l’on peut faire, et cela ne va pas de soi, c’est que les dépenses sociales des pays, par habitant, vont en croissant avec leur niveau de richesse. Le graphique ci-dessous montre, ainsi, comment les dépenses sociales se trouvent corrélées avec les PIB/capita des pays.
L’équation traduisant cette corrélation indique ce que serait la norme pour les dépenses sociales en France : 12.164 dollars par habitant, soit un excès de 1.736 dollars dans notre cas, c’est-à-dire 14,3 % de dépenses en trop.
Les dépenses publiques autres que « sociales »
Dans les dépenses publiques, les dépenses sociales que nous venons d’examiner tiennent une place très importante : 60 % environ, chaque année dans le cas de la France. Il faut donc voir comment se situent les autres dépenses, qui sont des dépenses de fonctionnement et d’investissement, auxquelles se rajoute le coût de la dette :
PIB/capita | Dépenses | |
Serbie | 9.216 | 2.206 |
Bulgarie | 11.635 | 2.608 |
Roumanie | 14.861 | 3.453 |
Grèce | 20.276 | 7.502 |
Espagne | 30.115 | 5.269 |
Italie | 35.551 | 7.586 |
France | 43.518 | 8.766 |
Pays Bas | 58.061 | 5.757 |
Suède | 60.239 | 12.002 |
Danemark | 67.803 | 14.853 |
Suisse | 93.457 | 10.107 |
En US $ – Source : BIRD |
Ici, également, on constate que les dépenses de fonctionnement sont extrêmement différentes, d’un pays à l’autre, et elles croissent avec leur niveau de développement économique. La France avec 8.766 dollars par habitant se situe entre l’Italie et la Suède. Et le graphique ci-dessous illustre la corrélation existant entre ces dépenses et les PIB per capita des différents pays :
L’équation de la droite qui exprime cette corrélation indique que nos dépenses autres que sociales devraient de situer à seulement 7.625 dollars par personne, soit un excédent de 14,9 %. La France, là également, est donc à un niveau de dépenses de fonctionnement bien en avance sur son niveau de richesse.
Les excès de dépenses, en France
L’approche économétrique que nous venons d’utiliser indique que nos dépenses publiques sont effectivement excessives : 14,3 % de trop dans le cas des dépenses sociales, et 14,9 % pour ce qui est des dépenses de fonctionnement. Dans le cas de l’année 2019, une année considérée comme normale avant la crise sanitaire, il s’est donc agi des sommes suivantes :
Année 2019 | Excès de dépenses | |
Dépenses sociales | 751,9 | 94,2 |
Dépenses autres | 596,8 | 77,4 |
Total | 1.348,7 | 171,6 |
en milliards d’euros |
On en a donc été, en 2019, à un excèdent de dépenses publiques de 171,6 milliards d’euros, soit 14,5 % de trop. Cette année, là, le déficit budgétaire s’était élevé à 72,8 milliards d’euros, en sorte que si nos dépenses avaient été dans la norme nous aurions eu un excédent budgétaire 98,8 milliards, se situant à 4,0 % du PIB. Dans le Projet de loi de finances pour 2023 (PLF), présenté au conseil des ministres le 26 Septembre dernier, le déficit prévu s’élèvera à 158,5 milliards d’euros, et l’on en sera à 5 % du PIB. Avec 171,6 milliards de dépenses en moins, on en serait à un excèdent budgétaire de 13,1 milliards d’euros : ce qui serait parfait. Le problème pour nos gouvernants est donc de voir comment ramener nos dépenses publiques à un niveau normal, c’est-à-dire les abaisser de 14,5%: mais un tel effort apparait tout à fait impossible.
Notons qu’en s’en référant aux ratios que l’on prend habituellement pour repaires, on a les évaluations suivantes :
Ratio OCDE (40,9%) | 351,7 |
Ratio UE (51,5 %) | 95,0 |
Approche économétrique | 171,6 |
en milliards d’euros |
Les recommandations des organismes officiels
La Cour des Comptes : Pierre Moscovici dans la présentation de son rapport à la presse le 16 février 2022 a rappelé que dans le groupe des pays de la zone euro la France est « le pays dont la situation des finances est la plus dégradée ». S’inquiétant de ce que notre dette se soit accrue de 560 milliards d’euros depuis 2019 il propose de réduire nos dépenses publiques, et il a avancé le chiffre prudent de 9 milliards d’euros par an : il s’agit d’ « un effort sans précédent », dit-il. En effet, jusqu’ici elles n’ont fait que croitre !
France Stratégie : Cet organisme qui a succédé à notre ancien Commissariat au Plan est rattaché au premier ministre. Dans une étude de Christophe Govardo et Fabrice Leuglant, datant de 2017, il est indiqué qu’une baisse de 3 points de PIB en 5 ans serait un objectif « ambitieux, mais possible ». Il s’agirait de 78 milliards d’euros si l’on s’en réfère à l’année 2017, date de cette étude, mais, disent les auteurs, cela nécessitera de « faire de réels efforts sur les dépenses sociales ». On en serait donc à un rythme de réduction de 16 milliards d’euros par an, un objectif tout à fait insuffisant.
Le ministre de l’économie Bruno Le Maire : Notre ministre, en présentant son budget au Parlement pour 2023, a déclaré : « La France est à un euro près ». Aux dernières Rencontres économiques d’Aix en Provence, il avait dit, à propos des dépenses publiques, qu’il fallait changer de méthode : l’Etat ne parvient pas à les réduire, et il a avancé l’idée qu’il faudrait que ce soient, dorénavant, les parlementaires qui se saisissent du sujet.
La France prise au piège de ses dépenses publiques
Ramener nos dépenses publiques au nombre des habitants, comme nous l’avons fait, montre qu’elles augmentent, dans tous les pays, à mesure que croit leur richesse. Dans le cas de la France, nous avons des dépenses, tant en matière sociale que pour ce qui est des coûts de fonctionnement du pays, qui sont en avance sur notre niveau de richesse : elles ne sont pas, en soi, « anormales », mais très en avance sur notre niveau de développement économique, donc insupportables. Les Français se sont organisés comme si notre société était plus riche qu’elle ne l’est réellement : nos dépenses sociales correspondent à un PIB per capita de 49.000 US$, un niveau que nous n’atteindrons que dans 6 ou 7 ans. On se souvient que le journaliste François de Closets avait publié, chez Grasset, en 1982, un ouvrage intitulé « Toujours plus ».
A présent, les dépenses sont là, solidement installées dans la sociologie des Français, et elles font partie de leur paysage : pour un pouvoir démocratique, elles sont devenues politiquement impossibles à réduire. Diminuer nos dépenses sociales ne serait pas admis par la population, et rogner sur nos dépenses de fonctionnement ne serait pas compris : de toutes parts, on voit que l’on réclame davantage d’enseignants, de policiers, de juges, de gardiens de prison, d’infirmières, etc…. , et avec la guerre en Ukraine on découvre qu’il va falloir renforcer nos budgets militaires. Et, maintenant, la puissance publique se voit soudain contrainte de protéger les Français contre le coût extravagant de l’énergie. Pierre Moscovici, le président de la Cour des Comptes, a avancé le chiffre très modeste de 9 milliards d’euros d’économies, par an : une goutte d’eau par rapport au chiffre que nous avons donné, plus haut. Au moins, faudrait-il s’attaquer sérieusement pour réduire nos déficits budgétaires, aux fraudes sur les dépenses sociales que certains auteurs ont chiffrées à une cinquantaine de milliards d’euros chaque année ; et pour ce qui est des dépenses de fonctionnement, supprimer les double-emplois entre l’Etat et les collectivités territoriales.
La seule solution consiste à bloquer les dépenses, c’est-à-dire ne pas revenir en arrière mais cesser de les augmenter chaque année, et, par ailleurs, s’activer pour augmenter le plus rapidement possible la richesse du pays, et ce, comme nous l’avons montré dans d’autres articles, en reconstituant notre secteur industriel qui a anormalement fondu depuis la fin des Trente glorieuses. C’est par ce canal que passe obligatoirement le redressement de notre économie : il faut que notre secteur industriel soit remonté à 17% ou 18 % du PIB, alors qu’il ne concourt plus aujourd‘hui que pour 10 % seulement à sa formation. Les magistrats de la rue Cambon nous disent bien, dans leur dernier rapport, que le redressement de nos finances publiques repose sur deux piliers : « renforcer la croissance et maitriser, dans la durée, les dépenses publiques ».Et ils rappellent que la politique industrielle est « le levier de croissance et de création d’emplois ».
Au rythme de 16 milliards par an, préconisé par France Stratégie, il faudra un peu plus de 10 ans pour en revenir à une situation normale, pour autant que l’on parvienne à s’engager fermement sur la voie des économies, ce qui n’est pas gagné d’avance. Et le plan « France 2030 » d’Emmanuel Macron est très insuffisant. Notre pays va donc continuer à s’endetter, chaque année un peu plus, et cela risque fort de nous conduire, demain, à une situation à la grecque.
4 commentaires
Une mauvaise nouvelle pour la France :
Excellent article!
Une mauvaise nouvelle pour la France : as usual !
que cesse l’emprise de l’état sur les entreprises :
contrôler oui, s’immiscer non !
idem dans la vie des citoyens . . . .
Une mauvaise nouvelle pour la France :
Je n’y connais strictement rien en économie mais je voudrais savoir à qui on doit ce déficit, cet argent ????
LA mesure, pour un courage politique nouveau
simple observation:
1 million de fonctionnaires(non productifs et conservés) représentent 4 x 10 puissance 14 €uros : est-ce tolérable, dans nos moyens, pour quels résultats, pour continuer des idées néfastes telles qu variable d’ajustement ou bouche trou ?