La Cour de cassation, fidèle à la rigidité de ses principes juridiques quasi immuables, vient de requalifier en contrat de travail la relation entre Uber et l’un de ses chauffeurs. Une question fondamentale : ne pourrait-on pas considérer que l’immense majorité des chauffeurs concernés ne veulent pas du statut de salarié ? Et partir de cette considération pour adapter le droit ?
La décision
Voici ce que dit la Cour de cassation pour justifier de refuser au chauffeur ayant engagé le litige le statut de travailleur indépendant :
“Les critères du travail indépendant tiennent notamment à la possibilité de se constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de définir les conditions d’exécution de sa prestation de service”.
Rien de très surprenant ni de nouveau dans cette prise de position. La juridiction française intervient même après le Royaume-Uni, la Californie ou l’Espagne, et dans le même sens. A ceci près qu’il y a ici, à notre sens, erreur d’appréciation des faits, c’est l’application du principe selon lequel une relation de « louage d’ouvrage » devient automatiquement un contrat de travail soumis au droit du travail dès lors qu’existe un « lien de subordination ». Si les trois libertés énoncées ci-dessus ne sont pas réunies, la relation doit être considérée comme un contrat de travail.
Les limites de la portée de l’arrêt
On peut considérer qu’il s’agit de la part de la Cour d’un arrêt de principe, applicable à d’autres cas semblables. Mais ce n’est pas un « arrêt de règlement », pareil à une loi et interdit aux tribunaux depuis 1804[[Code civil, article 5 : « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».]] au nom de la séparation des pouvoirs ; ce qui veut dire en pratique que chaque chauffeur qui voudrait obtenir la requalification de sa relation en contrat de travail devrait agir devant les tribunaux. On peut donc difficilement parler d’un « tremblement de terre » comme on l’entend dire, d’autant plus que le responsable d’Uber rappelle que le litige qui vient d’être tranché était un cas d’espèce concernant un contrat ancien, et que le modèle a été modifié depuis.
Selon Uber, le nombre de contrats chauffeurs signés par l’entreprise tourne actuellement autour de 30.000, celui des litiges autour de 150, soit 0,2% du total. Uber confirme donc sa volonté de traiter chaque cas individuellement, et de faire évoluer les contrats de ces chauffeurs en fonction des caractéristiques du marché, soumis à une concurrence très forte, aussi bien que des considérations juridiques.
Ce que veulent les chauffeurs
La situation est actuellement effervescente, d’abord en raison des interventions du législateur qui veut réglementer la profession à la demande de la profession des taxis, qui n’admet pas cette concurrence. La loi Grandguillaume a ainsi laissé 10.000 chauffeurs sur le carreau en les contraignant à passer un examen professionnel. Les chauffeurs VTC se plaignent aussi d’une insuffisance de protection sociale et de certaines clauses de leurs contrats qu’ils jugent abusives.
Mais la solution consistant à vouloir faire rentrer de force les relations entre chauffeurs et plateformes dans les casiers rigides préétablis de l’indépendance ou du contrat de travail, pas d’autre choix, solution à laquelle aboutit l’arrêt de la Cour, n’est pas la bonne. Il est essentiel de comprendre que la très grande, sinon immense, majorité des chauffeurs VTC, ne veulent pas d’un statut de salarié. Ce qui se traduit par le fait que seulement 150 chauffeurs Uber sur 30.000 auraient engagé des litiges en requalification.
Le plus important pour eux paraît bien être qu’ils veulent être libres de déterminer leurs horaires et leurs jours de travail, ainsi que de pouvoir travailler avec plusieurs plateformes. A ce sujet, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir décidé que « le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber ». Cet argument est extrêmement contestable, et il n’est que d’interroger les chauffeurs pour s’entendre répondre combien est essentiel le fait de choisir librement ses conditions et horaires de travail, et que le fait que la plateforme puisse « désactiver ou restreindre l’accès à l’application » comme le dit la Cour, reste vraiment secondaire. La Cour se livre ici à une considération de fait qui tient à la conception préconçue qu’elle paraît avoir du métier et non à la vérité des faits, corroborée par la proportion de chauffeurs ne voulant pas être considérés comme salariés.
Arrêtons de vouloir enfermer tous les rapports sociaux dans des casiers !
Il n’y a plus dans notre pays que des règlementations, qui viennent faire plus de mal que les éventuels abus de liberté. On n’entend pas discuter ici les règlementations professionnelles que les considérations strictes de sécurité rendent nécessaires, pour limiter soit le droit d’exercer une profession (médecins par exemple), soit les conditions techniques d’exercice de celle-ci.
Cela dit, les limitations à l’exercice d’une profession rappellent immanquablement les corporations de l’Ancien Régime où par exemple les « couturières » purent seulement à partir de 1675, date de création de leur corporation, fabriquer des jupes et sous-vêtements, mais à condition de ne pas faire concurrence aux « maîtres tailleurs » à qui était réservée l’exclusivité des « corsets et vêtements du dessus ». Pratique à laquelle la loi révolutionnaire Le Chapelier (1791) mit fin au nom du principe de liberté.
Il ne faudrait pas que, au nom de la protection du monopole de la corporation des taxis, on en vienne maintenant à entraver l’exercice des VTC, à une époque où il existe une forte demande, où notre pays comme d’autres, souffre du chômage, et où actuellement les plateformes de VTC ont créé plus de 60.000 emplois ! Résultat auquel condamnerait l’application rigide des principes de droit que la Cour de cassation consacre – c’est son métier.
Ce n’est pas parce que sous certains aspects de l’exercice de leur profession de chauffeur le contrôle par la plateforme, par ailleurs nécessaire, confine à la subordination, qu’il faut vouloir faire rentrer de force ces chauffeurs dans un cases-prisons dont ils ne veulent pas et qui ne correspondent fondamentalement pas à la façon dont ils veulent travailler. Il y a de la part de la Cour une erreur d’appréciation comme nous l’avons dit, mais il y a plus radicalement un refus d’admettre de faire jouer le principe d’autonomie de la volonté au nom d’exigences ici mal venues de l’ordre public. Si 60.000 personnes expriment leur volonté de ne pas être salarié, de ne pas par exemple se voir imposer la durée du travail de 35 heures, pourquoi le leur refuser ? La question de la protection des chauffeurs peut être réglée autrement que par le basculement intégral dans un statut qui dévore toute liberté et toute flexibilité. Ce n’est pas au pouvoir judiciaire qu’il revient de se prononcer, mais au pouvoir législatif : qu’il le fasse !
Chauffeurs vtc : ils ne veulent pas être salariés et ne le sont pas !
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