On glose beaucoup et souvent sur les femmes les plus puissantes du monde. On remarque moins que 3 femmes de cette liste, et non des moindres, sont filles de pasteurs. Angela Merkel, qui domine la scène politique européenne, Margrethe Vestager, en charge du fleuron de la Commission européenne, sa direction de la Concurrence, ce succès incontesté de l’Union, et, tout dernièrement, Theresa May qui a accepté le défi de conduire le Royaume-Uni à travers les épreuves du Brexit.
Difficile d’imaginer que cette caractéristique n’a pas joué un rôle positif dans leur brillante carrière. Bien sûr, on peut imaginer que la dimension morale dans leur éducation inspire confiance aux électeurs. Mais cette « moralité » apporte-t-elle une plus grande compétence dans l’art de gouverner ? Il nous semble que leur talent politique procède d’une qualité peu présente en France sur laquelle on doit s’attarder, en particulier alors que se développe une grande machinerie pour désigner notre monarque républicain.
Résumons cette force : elles connaissent et pratiquent le «Rule of law ».
Vous ne m’en voudrez pas j’espère de parler anglais dans cette matière. C’est que beaucoup de Français, même cultivés, ne connaissent pas cette expression ou la négligent. Cela peut se comprendre. Elle est invoquée fréquemment dans le monde anglo-saxon, mais comme beaucoup de matières constitutionnelles britanniques, cette règle n’est pas aussi bien écrite que nos majestueux préambules. Elle est assez bien datée au XVIIème siècle en Angleterre. Ce qu’elle recouvre l’est beaucoup moins, fruit d’une lente percolation depuis la Magna Carta (1215).
On la traduit souvent en France par une allusion à « l’état de droit » dans lequel nous souhaitons tous vivre.
Redoutable confusion.
Rule of law signifie : « le règne de la Loi », pas le fait que les relations entre les hommes sont soumises à des règles de droit. La différence n’est pas mince. La Loi s’impose à tous y compris au souverain, donc, aujourd’hui, au pouvoir exécutif.
Sans entrer dans les dissertations, surabondantes aujourd’hui, sur le rôle des religions, il faut bien relever que le protestantisme a certainement imprégné profondément ces trois fortes femmes. Dans le catholicisme on peut, si les conditions sont remplies, obtenir l’absolution du prêtre, après une confession pouvant être perçue par certains comme un exercice formel et une pénitence pas vraiment insupportable. La demande de pardon est autrement solitaire chez les protestants. Eux sont confrontés à une Bible-loi que tous peuvent interpréter, individus comme autorités. Avec une conséquence différente en matière de responsabilité. Dans le système catholique en effet il n’est pas demandé aux fidèles de trouver la signification des textes et ils peuvent « se reposer » sur l’enseignement de l’Église qui à travers ses Conciles a déjà fait son discernement et en porte la responsabilité ; les protestants eux sont laissés libres sur la doctrine contenue dans le texte sacré mais auront donc à justifier leur interprétation personnelle.
À la place du mot « Loi » Les Français adorent parler du « Pouvoir ». On sent dans beaucoup de voix un frémissement révérencieux quand ils en parlent. Premier pas vers la courtisanerie. Ils sont prêts à obéir, à servir. Quant au pouvoir exécutif il se croit capable d’imposer non seulement des règles, des lois, comme le veut Montesquieu, mais de façonner des comportements, de dicter entre deux actions possibles laquelle est bonne, laquelle est mauvaise.
Pour le Rule of law, nous sommes trop souvent, en France, témoins de la désinvolture des puissants. On vote un texte et puis les responsables oublient de le préciser au point même de renoncer à formuler les décrets d’application et donc de fait à mettre en œuvre cette loi. On a même vu un président de la République jeter aux oubliettes une loi tout juste votée avec son approbation ! A l’inverse on porte au pinacle des textes confus ou dérisoires. En tout cas, inutiles car éloignés de l’objet du gouvernement.
Dans le domaine économique qui nous occupe dans ce blog cette perversion est définitivement toxique. Car la Loi est une limite claire à la liberté des entreprises. Le Pouvoir est lui un poison quand il se pose comme un contrepoids tatillon aux évolutions dictées par le marché.
Ce défaut français ne date pas d’hier. Chamfort avait déjà relevé notre carence de manière cinglante, et même proposé une solution. Il dit dans ses Maximes (réf. DXVII) : « L’Anglais respecte la loi et repousse ou méprise l’autorité. Le Français, au contraire, respecte l’autorité et méprise la loi. Il faut lui enseigner à faire le contraire ».
Deux siècles plus tard et malgré le goût des Français pour les régimes autoritaires, il faut suivre cette recommandation. Elle est indispensable pour le développement des entreprises et de l’emploi. Nous avons sous les yeux le bel exemple des filles de pasteurs.