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Trappe à bas salaires et allègements des cotisations patronales: une réforme attendue qui n’ira pas dans le bon sens.

par Bertrand Nouel
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Cette semaine a vu la publication du rapport Bozio Wasman sur « l’articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d’activité », et en même temps nous avons des indications sur les intentions du gouvernement sur la façon de s’attaquer au problème des trappes à bas salaires à partir d’une réforme des allègements de cotisations patronales.

On rappelle que le pourcentage des salariés payés au smic1 a brusquement et fortement augmenté depuis trois années pour atteindre 17,3% des salariés, alors qu’antérieurement il se situait entre 12 et 13% au plus. On met en cause les allègements de cotisations patronales sur les bas salaires qui désinciterait fortement à augmenter les salaires. Il existe en effet trois seuils générant des effets très désincitatifs : un premier fixé à 1,6 Smic (autour de 40% d’allègements au niveau du Smic, un taux dégressif jusqu’à 1,6 Smic), un deuxième à 2,5 Smic (réduction de 6 points de la cotisation d’Assurance Maladie, ce qu’on appelle le «bandeau maladie») et un dernier à 3,5 Smic (réduction de 1,8 point de la cotisation d’Allocations Familiales, ce qu’on appelle le «bandeau famille»).

Nous allons voir que le rapport, dont le gouvernement paraît s’inspirer fortement, propose un lissage très modeste des exonérations sans résoudre le problème créé par la trappe à bas salaires ni par les écarts considérables de coût du travail existant entre les bas et les hauts salaires.

Rappel de l’historique des allègements de cotisations patronales.

C’est le gouvernement Balladur qui a initié les allègements en 1993, puis « de 1998 à 2002, sous le gouvernement de L. Jospin, ce dispositif a été fortement étendu pour compenser la hausse du coût horaire du travail au voisinage du SMIC qui a résulté du passage de 39 à 35 heures par semaine sans diminution du salaire brut mensuel. L’allégement a alors été porté à 26 points de cotisation au niveau du SMIC et diminuait jusqu’à un montant fixe de 600 € à partir de 1,7 SMIC. En 2003, F. Fillon ministre du travail a maintenu la réduction de cotisations de 26 points au niveau du SMIC et fixé le seuil de sortie du dispositif à 1,6 SMIC en supprimant la part fixe de l’allégement. » (note Fipeco sur les allègements de cotisations patronales).

Le gouvernement Ayrault a ensuite étendu en 2014 les exonérations sur les bas salaires avec le pacte de responsabilité et de solidarité, puis créé le « bandeau famille », et en 2019 fut encore créé le « bandeau maladie ». Ces deux « bandeaux » ne sont pas considérés comme des allègements sur les bas salaires.

A l’heure actuelle, la totalité des allègements de cotisations patronales se montent à environ 75 milliards d’euros par an, dont, d’après Fipeco, les seuls allègements sur les bas salaires se montaient en 2023 à 39,5 milliards.

Remarque.

Le coût des allègements consécutifs à l’instauration des 35 heures, toujours compris dans les 39,5 milliards indiqués ci-dessus, était évalué par l’Institut Montaigne en 2014 à annuellement 12 milliards dans le secteur privé plus 4,5 milliards dans le secteur public. Ce sont donc autant de milliards qui pourraient être économisés par les finances publiques si on revenait en arrière sur l’instauration des 35 heures en demandant aux salariés de travailler 39 heures sans augmentation de salaire… ! Hypothèse qui ne peut pas être sérieusement envisagée telle quelle, mais est-on si sûr qu’il est impossible de négocier un retour aux 39 heures (moyenne européenne du travail à temps complet) contre par exemple une augmentation de salaire automatique de 5,6 % correspondant à 37,5 heures de travail ? A noter cependant que les entreprises ne souhaitent plus rouvrir la boîte de Pandore et renoncer à leurs allègements…rien n’est simple !

La trappe à bas salaires n’a pas pour origine les allègements de cotisations, mais l’indexation automatique du smic.

Certes à l’heure actuelle il est exact de considérer que la présence des trois seuils rappelés plus haut, auxquels il faut ajouter la perte pour le salarié de la prime d’activité, a pour conséquence extrêmement désincitative qu’une augmentation de salaire net de 100 euros coûte près de 500 euros à l’employeur.

Mais la trappe à bas salaires que l’on constate à l’évidence, même si elle paraît ne pas être « scientifiquement prouvée », n’est apparue que récemment par la brusque augmentation de la population des salariés payés au smic (de 12% à 17,3%). Elle a pour origine l’inflation considérable constatée à partir de 2020, parce que le smic est le seul salaire indexé automatiquement sur l’inflation.

C’est en 1983 (« tournant de la rigueur ») que les salaires ont cessé d’être indexés sur l’inflation, à l’exception cependant du smic. Celui-ci a augmenté de 12,4 % entre le 1er janvier 2021 et le 1 er janvier 2024 et il augmentera encore de 2% le 1er novembre prochain par anticipation sur 2025, pour atteindre 1.426 euros nets par mois pour 35 heures par semaine (1.801,2 euros bruts). C’est plus que l’inflation, alors que le pouvoir d’achat du salaire moyen a baissé de 2,5%. Ce rattrapage du smic a donc résulté de la forte augmentation de l’inflation depuis 2020, même si l’inflation semble se calmer actuellement et contribuer à diminuer l’ampleur du problème, qui reste cependant préoccupant en raison de l’écrasement de l’échelle de salaires (le smic correspond environ aux deux-tiers du salaire médian). A noter que le syndicat FO revendique un smic à 80% du salaire médian, en même temps qu’une indexation de tous les salaires sur l’inflation !

Les intentions du gouvernement.

Le projet de budget, influencé par le rapport Bozio Wasman, prévoit la réduction des exonérations de cotisations sociales patronales au niveau du smic de 4,05 points sur deux années (2% en 2025 et 2% en 2026), ainsi que l’abaissement du seuil du « bandeau maladie » à 2,2 smics et du seuil du « bandeau famille » à 3,2 smics. L’argent économisé sur les plus gros salaires pourrait ainsi être réinjecté vers ceux situés entre 1,2 et 1,9 Smic, selon les auteurs du rapport. L’opération se ferait ainsi à budget constant, sans coût supplémentaire ou, à l’inverse, économies à la clé. « On propose pour la première fois depuis 30 ans d’augmenter les cotisations au niveau du Smic. On brise un tabou», a insisté Antoine Bozio ».

Critiques de la réforme(tte).

1.On brise très peu un gros tabou.

La réforme ne ferait que reporter la trappe à bas salaires de 1 smic à 1,2 smic, (ou de 1,6 à 1,9 smic si l’on considère le niveau de salaire auquel s’éteint totalement l’exonération). Le site Statista indique que le pourcentage de salaires en France entre 1.500 et 2.000 euros est de 31,6 %, et de 20,2 % entre 2.000 et 2.500 euros. Difficile de penser que cela ne se traduirait pas par une trappe à bas salaires encore plus importante au niveau de 1,2 smic (2.161 euros bruts en 2025) que l’actuelle trappe au niveau de 1 smic…On ne peut pas vraiment parler de « désmicardisation ».

2.On creuse encore les écarts de coût du travail entre bas salaires et salaires moyens et élevés.

En même temps en effet, le gouvernement abaisserait comme on vient de le dire les seuils des bandeaux famille et maladie, qui exonèrent actuellement partiellement les salaires respectivement jusqu’à 2,5 et 3,5 smics. Cette mesure augmente encore le coût du travail pour l’employeur en ce qui concerne les salaires moyens et élevés. On sait  que la particularité de la France est justement l’importance des charges sociales patronales pour ces salaires, et on ne va faire qu’augmenter encore l’écart avec les bas salaires2.

Le gouvernement reste ainsi fidèle à son objectif essentiel qui est de manipuler les taux de cotisations dans le but de favoriser l’emploi des classes de travailleurs non qualifiés. Mais cela se traduit par un coût du travail exorbitant pour les travailleurs les plus performants dont la productivité est la meilleure alors qu’on sait que la baisse de productivité est un des problèmes les plus prégnants à l’heure actuelle en France et en Europe.

Par ailleurs la réforme ne permet pas d’augmenter l’écart entre la rémunération du travail non qualifié payé au smic et la rémunération du travail qualifié correspondant au salaire médian, qui restent beaucoup trop proches, ce qui n’incite pas à améliorer la formation des salariés.

Conclusion.

La réforme envisagée ne paraît pas aller dans le bon sens. Les auteurs du rapport pensent qu’elle devrait se traduire par une augmentation de l’emploi à coût constant, c’est possible mais on peut en douter, car comment les employeurs vont-ils réagir à ce qui se traduit d’emblée par une augmentation du  coût du travail au niveau du smic ?

En revanche, ce qui est certain, c’est que le phénomène de trappe n’a pas de raison de disparaître, mais plutôt d’augmenter tout en se déplaçant légèrement vers le haut.

Surtout, le coût du travail pour les salaires moyens et élevés va encore augmenter et on risque fort de se retrouver avec un effet de seuil toujours présent, et des écarts considérables entre d’une part un grand nombre de salaires entre 1,2 décroissant jusqu’à 1,9 smic et d’autre part des salaires plus élevés et un coût du travail exorbitant. L’objectif de l’emploi des travailleurs non qualifiés n’est pas changé, au détriment de l’emploi des catégories de salariés les plus performantes et productives. On se rappelle que cette option politique avait été très critiquée par Louis Gallois, et qu’elle l’est encore.

Notre modèle social mérite une réforme de fond avec pour objectif la diminution des prélèvements à la charge des entreprises pour une meilleure compétitivité.

En attendant, on doit souhaiter un lissage plus important des allègements, ainsi qu’une réforme de l’indexation au niveau du smic afin de supprimer son caractère d’automaticité3.

Voir aussi article antérieur sur les « trappes à bas salaires » SORTIR DE LA TRAPPE A BAS SALAIRES : DES VRAIES REFORMES, du même auteur du 02/05/2024

  1. Actuellement 11,65 € de l’heure brut, soit 1.766,9 € pour 35 heures, 9,23 € net de l’heure, soit 1.398,7 € nets pour 35 heures.
    ↩︎
  2. Importance qui est une compensation pour les exonérations sur les bas salaires. C’est ainsi que la France se distingue par l’absence de plafonnement des salaires servant d’assiette aux cotisations, à la différence notamment de l’Allemagne. Ce qui n’est pas un signe de justice fiscale quand on sait que les prestations sont elles plafonnées (retraites) ou égales pour tous (maladie) ! ↩︎
  3. Faut-il vraiment dans ces conditions anticiper au 1er novembre l’augmentation de 2% du smic – alors que par ailleurs il est question de retarder de six mois l’indexation des retraites ?
    ↩︎

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