Dans les films classiques américains, à un moment proche du dénouement, un accident tragique survient (typiquement le trapéziste manque son saut), alors un Monsieur Loyal demande à tous de surmonter leur souffrance et de continuer le spectacle. The show must go on. La communauté des saltimbanques fait front, fournit une prestation emballante. Le rideau peut tomber sur cette démonstration qui réconcilie acteurs et public dans une euphorie partagée. Happy end. Pourquoi cette réminiscence hollywoodienne s’impose-t-elle à moi dans cette campagne présidentielle ?
D’abord, « l’affaire Pénélope » est scénarisée comme une série télé. Le vainqueur, quasi certain début 2017, est victime d’un coup de théâtre qui, comme la chute du trapéziste, remet complètement en cause le déroulement attendu. Toutes les semaines de nouvelles révélations sont attendues. Un véritable suspense, d’un épisode à l’autre, s’instaure et donne une teinture dramatique à des étapes pourtant bien convenues dans ce type de campagnes.
La démarche de son rival principal est presque aussi théâtrale. Un homme seul égrène au fil des mois, proprio motu, des projets dont la cohérence et la compatibilité intellectuelle ou sociale ne sont pas aveuglantes. Un nombre toujours croissant de « marcheurs » le suivent ou l’approuvent. C’est l’image du joueur de flûte de Hamelin qui ici s’impose. Certainement pas recherchée par le candidat car les sagas qu’elle a inspirées ne sont généralement pas réjouissantes.
Les candidats extrêmes mettent soigneusement en scène la colère qui nourrit leur électorat propre. En gommant le sentiment de haine autrefois fortement présent dans leur rhétorique. Marine Le Pen ose se présenter comme porteuse d’une France « apaisée », il est vrai après un arrosage de cadeaux électoraux digne des grandes heures de l’Union de la gauche. Les interventions de Mélenchon sont, elles, attendues par 40% des électeurs sans aucun doute réjouis par la forme à la fois littéraire, un peu surannée et sa verve gouailleuse. Avec eux aussi le spectacle prend le dessus.
Qui se pose encore la question simple, pourtant essentielle dans toute élection : qui sera capable de faire le travail de Président ? Il faut être vraiment mauvais coucheur pour bouder le plaisir du spectacle, non ?
Eh bien, regardons un instant le spectacle ridicule que nous donnons à nos amis étrangers et d’abord à nos voisins qui nous connaissent si bien. En dehors de nos douceurs traditionnelles, quels mérites peuvent-ils raisonnablement trouver dans un pays qui manque à ce point de lucidité et de courage ?
Prenons une leçon de démocratie en Allemagne en l’occurrence. Là-bas les partis politiques grands ou petits étudient puis définissent des programmes de gouvernement et débattent des objectifs et des moyens comme on ne le fait plus jamais en France, sauf pour sortir du chapeau une mesure emblématique (35 heures, revenu universel, arrêt de l’immigration, etc.) dont les détails et conséquences sont mal étudiés.
Pourquoi donc cette décadence démocratique ici ? Pourquoi aucun des rivaux n’a jusqu’ici tapé sur la table et remis le débat sur ses rails ? On doit dénoncer les artistes qui se congratulent dans le final du spectacle. Les rôles dans lesquels se sont coulés les candidats ne sont pas de leur invention. Ils sont le fruit d’une connivence désolante au sein d’une caste médiatique concentrée sur la recherche du divertissement. Caste parisienne issue des mêmes moules (Sciences Po, l’ENA) qui se connaît, se côtoie et où chacun attend son tour en s’agitant juste ce qu’il faut pour trouver le leader de son camp et jouer la comédie tous les cinq ans.
Cette année, François Fillon avait pris une option nouvelle : bouger assez nettement le curseur dans un sens libéral comme jamais depuis trente ans. Bien mal lui en a pris. Le chœur des commentateurs officiels l’a condamné à l’unisson.
Réveillons-nous. Le débat politique, l’exercice démocratique fondamental, ce n’est pas toujours bien drôle. On peut avoir à choisir entre des maux nécessaires et différer la satisfaction de besoins pourtant légitimes. Mais comment peut-on croire que lorsque nous aurons descendu encore une marche et perdu encore plus d’indépendance et de vitalité financière, économique, scientifique, etc., le réveil ne sera pas douloureux ?