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Taxer davantage le capital des ménages

par Bertrand Nouel
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La solution à l’envolée des dépenses publiques et au déficit de l’Etat n’a jusqu’à maintenant pas fait l’objet de débats sérieux. L’augmentation de la fiscalité est un réflexe habituel, mais lorsqu’il s’agit de l’impôt sur le revenu (que seuls 46% des foyers payent), de la CSG ou des impôts indirects (la TVA fait plutôt l’objet de demandes de réduction), l’idée est extrêmement impopulaire. Beaucoup se tournent alors vers la fiscalité du stock de richesse – la capital. D’autant plus facilement que le « Président des riches » a diminué cette fiscalité en 2018. Il n’y a malheureusement pas de marge dans ce domaine, c’est ce que nous allons examiner, à partir d’études publiées sur le sujet par l’INSEE, France Stratégies ou encore le Sénat.

Combien les trois mesures de 2018 coûtent-elles à l’Etat ?

Ce coût vient d’être apprécié par une étude de simulation de l’Insee[[« Fiscalité du capital des ménages et inégalités des niveaux de vie », Economie et statistique No 530-31 2022]], qui intègre les trois mesures phares prises en 2018 : Remplacement de l’ISF par l’IFI, instauration du PFU (prélèvement forfaitaire unique de 30% (17,2% de prélèvement social et 12,8% d’impôt sur le revenu) sur les placements à revenu fixe), et en sens inverse quant à son effet, augmentation de la CSG[[Cette troisième mesure n’est souvent pas prise en compte, ce qui est une erreur manifeste.]].
La simulation est réalisée en définissant une législation contrefactuelle pour 2018, celle qui aurait été en vigueur si les trois mesures en cause n’avaient pas été prises. La différence entre le revenu disponible selon la législation contrefactuelle et selon la législation incorporant les trois mesures définit l’effet des réformes.
L’originalité de cette étude tient au fait qu’elle tend à intégrer les « effets de comportement », c’est-à-dire ceux qui tiennent compte d’une modification de l’assiette des impôts par les contribuables en réaction au changement du traitement fiscal.
Les résultats de la comparaison sur les effets sur les finances publiques sont les suivants (en millions d’euros) :

Sans effet de comportement Avec effet (Hypothèse basse) Avec effet (Hypothèse haute)
Transformation de l’ISF en IFI -3.440 -3.320 -3.320
Mise en place du PFU au titre de l’impôt sur le revenu -1.760 -1.550 -830
Hausse de la CSG sur les revenus du patrimoine +1.830 +2.110 +3.080
Impact agrégé des trois mesures -3.360 -2.770 -1.070

Ainsi, les effets sur les finances publiques sont globalement une perte de 3,360 milliards d’euros. Si l’on tient compte de la simulation des effets de comportement, on voit que les auteurs n’identifient pas, tout au moins à court terme, d’effet attribuable au remplacement de l’ISF par l’IFI. En revanche, ils relèvent un effet important sur le PFU dans la mesure où, comme les économistes l’ont aussi généralement relevé, l’introduction de la « flat tax » a incontestablement conduit à une plus grande distribution de dividendes (+ 60%, soit 9 milliards, entre 2017 et 2018). Les finances publiques y gagnent selon les deux hypothèses, haute et basse, d’augmentation de la distribution de dividendes aboutissant à une perte très modérée pour les finances publiques.

A noter que la distribution de dividendes n’augmente pas la richesse des bénéficiaires, car elle diminue d’autant la valeur de l’entreprise et donc des actions. Seules les finances publiques bénéficient d’une rentrée supplémentaire immédiate d’impôts. Autrement dit, pour les bénéficiaires, la distribution ne fait qu’avancer leur taxation.

Retenons à ce stade que les finances publiques ne subissent qu’une perte très faible de leurs ressources, grosso modo comprise entre un et moins de trois milliards, du fait des réformes considérées ici, en comparaison des 17 milliards dont ont bénéficié les ménages la même année 2018.

Pourquoi l’imposition des riches est limitée à juste titre : les effets du plafonnement

Macron président des très riches, c’est le qualificatif si souvent accolé à son nom, et censément justifié par les réformes de l’ISF et du PFU qui ont marqué le début de son quinquennat. La réalité est plus complexe, en raison du plafonnement de l’imposition globale des revenus. L’étude a été réalisée par France Stratégies[[« Quelle taxation du capital, avant et après la réforme de 2018 ? » Note d’analyse, octobre 2019.]], et concerne l’effet du passage de l’ISF à l’IFI.
La loi plafonne le taux d’imposition des revenus à 75% du total de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux, de l’ISF (IFI maintenant) et de la contribution sur les hauts revenus. Ce plafonnement, par ailleurs parfaitement justifié comme nous le verrons, a d’importants effets pour les contribuables les plus riches.

+Avant la réforme de 2018, effet du plafonnement sur l’ISF+

Ce qu’il faut noter, c’est que ce niveau est atteint dès que l’on atteint un patrimoine taxable à l’ISF de 14,8 millions d’euros, correspondant en 2017 au dernier centile des contribuables redevables de l’ISF. Pour déjà le premier millime de ces contribuables du dernier centile, 59% d’entre eux voyaient le taux apparent d’imposition total atteindre 82% de leur revenu fiscal de référence (soit 75% du revenu retenu pour les besoins du plafonnement), et bénéficiaient donc du plafonnement à 75%. Pour le dernier millime, ce sont 81% d’entre eux qui bénéficiaient du plafonnement ! A partir donc d’un patrimoine taxable de 14,8 millions, le taux d’imposition n’était plus progressif, et décroissait même légèrement à 80% à partir de 54,1 millions de patrimoine taxable, qui est le niveau atteint pour le dernier millime. Et à ce niveau, on voit que 4/5èmes d’entre eux, soit une très large majorité, bénéficiaient du plafonnement.

+Après la réforme, effet du plafonnement sur l’IFI+

France Stratégies a calculé la baisse du taux d’imposition due au passage de l’ISF à l’IFI, en l’expriment en pourcentage du patrimoine net taxable de l’année 2017. Cette étude affine celle de l’INSEE que nous avons analysée ci-dessus, en ce qu’elle s’attache à calculer le résultat pour les différents niveaux de patrimoine.
Pour le dernier centile de patrimoine taxable au sens de l’ISF, la baisse est la plus importante : 0,8% du patrimoine 2017. Mais au niveau de 0,1% (le dernier millime), la baisse moyenne n’est plus que de 0,35% de ce patrimoine 2017, soit d’après les auteurs 0,12% pour la moitié d’entre eux, et environ 0,5% pour le quart d’entre eux. Rappelons que le taux d’imposition à l’IFI, comme il l’était pour l’ISF est de 1,25% entre 5 et 10 millions de patrimoine taxable, et 1,50% au-delà de 10 millions.
Les contribuables disposant des plus hauts patrimoines n’auront donc pas beaucoup profité du passage à l’IFI : ainsi des contribuables qui payaient presque 1,50% de leur patrimoine en 2017, se retrouvent taxés en moyenne à 1,15% (1,5 – 0,35), et à 1,38% pour la moitié d’entre eux (1,5 – 0,12).
La raison en est pour France Stratégies l’existence du plafonnement : « au niveau des 0,1 % les plus fortunés qui bénéficiaient déjà du plafonnement : dans trois cas sur quatre, la baisse d’impôt est inférieure à 0,5 % ». Avec l’IFI, « au sein des 0,1 % des foyers les plus fortunés au sens de l’IFI, la moitié environ bénéficient du plafonnement ». Il semble que l’IFI, en étant moins taxateur que l’ISF, ait fait sortir du plafonnement davantage de contribuables que l’ISF (80% du dernier millime), mais que toutefois la moitié continue de profiter de ce plafonnement.

Le maximum de taxation du capital est atteint

+De la justification du plafonnement+

Il est important de bien comprendre ce que signifient ces diverses statistiques. Le classement des 130 000 foyers IFI selon leur niveau de patrimoine taxable indique selon France Stratégies que « le neuvième décile de patrimoine au sens de l’IFI s’établit à 3,6 millions d’euros, le dernier centile à 9,4 millions et le dernier millime à 26,4 millions d’euros ». Pour fixer les idées, supposons un couple avec 9,4 millions de patrimoine taxable et un revenu de 160.000 euros entièrement taxable au barème (censé être plus intéressant dans ce cas que le PFU). Son IFI se monte à 90.960 euros, et son IR à 28.995 euros, soit au total une imposition égale à 74,9% du revenu, à l’extrême limite du plafonnement. Il restera au couple 40.000 euros pour vivre…
Supposons maintenant que le prochain gouvernement revienne à l’ISF. Le patrimoine taxable du dernier centile commence alors à 14,8 millions, chiffre de l’année 2017. Supposons que notre couple dispose d’un capital taxable de 15 millions de patrimoine taxable, et d’un revenu (très confortable a priori) de 300.000 euros. Son ISF se monte à 173.190 euros et son IR à 89.184 euros, soit au total une imposition de 262.374 euros, égale cette fois à 87,3% de son revenu. Le plafonnement est alors applicable. A noter que si le revenu de ce couple n’était que de 160.000 euros, taxé à l’IR à environ 30.000 euros, son imposition totale se situerait à…169% de son revenu !
La limite d’imposition de 75% du revenu exigée par le plafonnement n’est qu’une traduction de l’interdiction de l’imposition confiscatoire, déjà mise en application par le Conseil constitutionnel à propos de la réforme que voulait instituer François Hollande. Les exemples chiffrés que nous avons donnés démontrent suffisamment la justification de ce plafonnement.

+Des résultats aberrants de certaines propositions politiques+

Le Sénat[[Rapport d’information, 9 octobre 2019]] a calculé les effets du plafonnement de l’ISF et ceux de l’IFI. Pour l’ISF, ce plafonnement a coûté à l’Etat 1,326 milliard d’euros, soit 24% du rendement brut avant plafonnement. Ce dernier a bénéficié à hauteur de 89% aux contribuables de la dernière tranche (au-delà de 10 millions de patrimoine), qui ont été 11.514 en tout et dont 37% ont été bénéficiaires. Par comparaison, le plafonnement de l’IFI n’a coûté que 92 millions et n’a profité qu’à 71% des contribuables de la dernière tranche pour seulement 2.326 bénéficiaires et 19% des redevables de la dernière tranche.
Le programme de JL Mélenchon propose de rétablir l’ISF en le majorant (d’un montant inconnu) à la charge des gros pollueurs, et en même temps de créer de nouvelles tranches de l’IR jusqu’à 90%, ainsi que de revenir à l’application du barème pour les revenus actuels taxables au PFU (flat tax). Fabien Roussel quant à lui propose de tripler les taux ( !!) de l’ISF. Il est facile de voir que ces programmes aboutiraient à des taxations IR+ISF+PFU plusieurs fois supérieures aux revenus des contribuables concernés, au lieu des 0,75% prévus par le plafonnement actuel, qui est constitutionnel.
Mais le syndicaliste Laurent Berger estime lui aussi que la solution du déficit actuel des finances publiques réside dans l’augmentation de l’imposition sur la fortune – sans donner de détails. Il faut lui rappeler qu’au-delà de revenir à l’ISF avec le résultat pour les finances publiques extrêmement mince que nous avons indiqué (entre 1 et 2,7 milliards), toute augmentation des taux actuels aurait un rendement immédiatement et fortement réduit du fait du plafonnement. Les calculs ne sont pas disponibles, mais en extrapolant la différence entre les effets du plafonnement selon l’ISF et l’IFI, il paraît évident que de 37% des contribuables de la dernière tranche (celle qui rapporte véritablement pour l’Etat) qui étaient bénéficiaires de ce plafonnement en 2017, on passerait très vite à une proportion de bénéficiaires représentant une grosse majorité, voire à la quasi-totalité des redevables. « Les hauts taux tu[erai]ent les totaux ».

Conclusion

L’INSEE nous dit que les trois mesures de 2018 ont coûté à l’Etat à partir de 2018 entre 1 et moins de 3 milliards. A comparer aux 17 milliards donnés cette année-là aux ménages, et une goutte d’eau dans l’océan des déficits publics qui chaque année s’approche de la centaine de milliards. Ce n’est évidemment pas à l’aune des effets sur le budget de l’Etat qu’il faut traiter de la question de la fiscalité du capital. Par ailleurs, nous n’avons pas traité ici des retombées des mesures au plan de la confiance retrouvée par la France à l’international et des investissements en capital reçus de l’étranger et indispensables.
Spécifiquement sur la transformation de l’ISF en IFI et une augmentation des taux d’un ISF réinstitué, la France est-elle prête à remettre en question la légitimité de la règle selon laquelle les impôts directs payés chaque année par les ménages ne doivent pas dépasser 75% de leurs revenus ? La question est d’ordre constitutionnel, et c’est la destruction du régime de la propriété qui est en cause. Rappelons que dès la première tranche des redevables de l’ISF, 13% d’entre eux devaient faire appel en 2017 aux règles du plafonnement, qui n’est donc pas invoquée par les seuls « super-riches ». Si cette règle du plafonnement est maintenue, il n’y a pas de marge pour augmenter la fiscalité du capital des ménages de façon significative.

 

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1 commenter

YVES BUCHSENSCHUTZ mai 15, 2022 - 11:14 am

Taxer davantage le capital des ménages
Excellent article auquel je voudrai ajouter que la transformation de L’ISF en IFI n’est pas très onéreuse pour persuader les français « fortunés » de rester en France et d’y investir. Cela a certainement participé au redressement partiel de l’emploi aidé également par la nouvelle politique d’apprentissage et le barême des indemnités de licenciement. Tout doucement la France devient un pays « normal ». Sans oublier que même avec le plafonnement et le taux de 75 %, ce capital a déjà payé l’IRPP avant sa constitution et repaiera sur les dividendes et plus-values. Gardons le moral !

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