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Sans confiance point de société :

par Yves Buchsenschutz
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Croissance du produit intérieur brut mondial de 1960 à 2021

Au cours de ma carrière professionnelle, j’ai eu l’occasion d’occuper le poste de responsable des opérations du métier eau de Danone. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Danone n’est pas seulement une affaire de yaourts mais elle gère également plusieurs sociétés commercialisant de l’eau, en général en bouteille, dans le monde : c’est, en France, Évian, Volvic, Badoit, Salvetat mais aussi en Espagne Font Vella et Lanjarón, en Indonésie, Aqua, en Chine, etc. le métier des opérations couvrait en fait tout ce qui tournait autour des problèmes de mise à disposition des produits : les sources, les usines d’embouteillage et l’industriel, les achats et la logistique…

Un jour nous arriva, comme bien souvent en matière de business, une nouveauté des États-Unis : la Supply Chain. J’ai mis assez longtemps à l’époque à comprendre ce que c’était que ce concept. Il me semblait que traduit en chaîne d’approvisionnement, cela donnait essentiellement la logistique. Une fois creusée, l’histoire était beaucoup plus intéressante puisque jusqu’à cette époque-là nous avions surtout travaillé en silo : les achats essayaient d’acheter le mieux possible, les industriels de fabriquer vite et bien, et le résultat était transporté dans des conditions optimales. Pour la petite histoire, nous utilisions beaucoup la SNCF (un train lourd de 29 wagons = 1 million de litres) mais sa médiocre efficacité lui a causé beaucoup d’infidélités. Tout bien réfléchi, le concept de Supply Chain consiste à additionner aux performances, atteintes dans chaque domaine par les opérations, l’optimisation des articulations de ces différentes fonctions entre elles. L’eau était particulièrement sensible à ce type de réflexion car c’est un produit lourd, encombrant et peu valorisé. Un passage en entrepôt évitable et évité peut vous permettre d’améliorer votre marge de plusieurs pour cent, le déplacement d’une palette ou un passage en stock également, etc., un examen des différentes sociétés permettait de constater des écarts de près de 10 % sur la gestion de la Supply Chain ! Comme les opérations avaient pour mission de fournir un produit en permanence moins coûteux et si possible et de meilleure qualité c’était une source inespérée de progrès. Une condition impérative toutefois : la confiance entre les services, nécessité critique d’articulations réellement plus efficaces
Passons maintenant aux années 2000-2020 dans le monde. Ces décennies ont été une période de croissance très importante sur la quasi-totalité de la planète jamais le nombre de pauvres n’a reculé aussi vite et aussi fort et jamais l’humanité n’avait réalisé autant de progrès dans des domaines aussi divers, dans des pays de toutes sortes et sans aucun besoin de reconstruction après une guerre, comme cela avait été le cas après les années 1940-1945.

Croissance du produit intérieur brut mondial de 1960 à 2021

Croissance du produit intérieur brut mondial de 1960 à 2021

On observe clairement :
– la montée continue
– la mini cassure de 2008 liée aux crises financières
– le redémarrage encore plus fort ensuite jusqu’au COVID
– une certaine reprise qui se heurte à l’énergie et la guerre en Ukraine (gel des relations)

Pour des raisons que je suis bien incapable d’identifier clairement – sinon l’appât du gain et de la croissance pour les pays déjà « développés » qui peinaient à continuer l’aventure du développement dans leur propre territoire, ainsi que l’intelligence de pays d’accueil qui ont su s’approprier toute cette science et technologie pour se développer à leur tour – le monde s’est construit pendant ces années-là sur une fantastique Supply Chain mondiale.[[Rôle probable des acheteurs qui ont développé les achats internationaux et le partage optimisé des tâches.]] Adossé à des transports maritimes internationaux performants et peu coûteux,[[Dont la généralisation des porte-conteneurs.]] l’outil de production monde a optimisé systématiquement l’approvisionnement de l’ensemble des biens. C’est comme cela d’ailleurs que la Chine (suivie par quelques autres) est devenue l’usine du monde et que les pays européens ont perdu peu ou prou leur industrie. La chasse au fournisseur du meilleur produit (coût, qualité, délai) était ouverte du 1er janvier au 31 décembre. Une condition par contre incontournable : la CONFIANCE ! Chaque produit devenant l’objet d’une chaîne ininterrompue d’intervenants successifs, il importait que chaque maillon soit non seulement fiable mais encore à même d’encaisser les aléas inévitables.
C’est la destruction de la confiance lors du COVID puis de sa sortie manquée par la crise de l’énergie et la guerre en Ukraine qui a détruit la confiance et explosé en vol la mondialisation[[Relayé par l’opinion publique qui a oublié ses bienfaits pour ne plus en voir qu’une dépendance insupportable.]]. Le discours a changé sur les problèmes des masques, du gaz, du changement climatique, etc. et l’on veut désormais consommer « local » de peur de manquer. Et puis, bien sûr, on s’est aperçu que la mondialisation n’avait pas que des avantages : le T-shirt à 10 € importé de Chine, c’est bien pour les consommateurs, mais que devient l’ouvrier breton qui fabriquait l’ancien ?
On est revenu, probablement un peu vite, sur la Supply Chain mondiale, même s’il est certain qu’il y a matière à retravailler les équilibres globaux.
Venons-en maintenant à nos sociétés modernes : comme la Supply Chain mondiale, les organisations se sont extraordinairement complexifiées tout en améliorant considérablement les performances. Quelques exemples : les PTT, grande gloire de l’après-guerre en France ont fondu devant l’invention du téléphone portable, des e-mails et le virement bancaire par simple téléphone ! L’Encyclopædia Britannica, somptueux cadeau pour les élèves studieux d’autrefois, est aujourd’hui abandonnée sur les rayons au profit d’Internet, Google et Wikipédia… Grâce aux progrès de l’informatique, on peut en France faire des feuilles de paye de 20 ou 40 lignes sans aucune difficulté et le ministère des Finances ne se prive pas d’ajouter des feuillets aux impôts chaque jour sans se soucier de qui les lira puisque ce rôle est désormais dévolu aux machines.
Mais le problème de la confiance, lui, est resté présent. Plus la société se complexifie, plus il est important que chaque rouage et chaque connexion soit fiable et fonctionne : c’est le prix à payer pour le fonctionnement concret du système.
Il y avait bien de toute éternité quelques professions qui jouissaient de privilèges extravagants de par leur position de goulot d’étranglement : sans aiguilleurs du ciel, pas de trafic aérien ; sans conducteur de train ou de métro pas de transport en commun ; sans éboueurs, des poubelles éventrées et des rats ; d’autres comme les camionneurs ou les motards pouvaient bloquer les routes ou les enseignants bloquer les parents… mais leur nombre était relativement limité. Plus grave, ajoutons que sans constitution[[C’est notre contrat social de base.]] (appliquée, acceptée et reconnue dans son entièreté) pas de démocratie et sans confiance, une société arrêtée[[Bloquée aurait dit Michel Crozier en son temps.]].
La situation a évolué et la question est aujourd’hui que le maillage des sociétés est devenu tellement intense que n’importe quel grain de sable peut bloquer l’ensemble. Que se passe-t-il demain si les informaticiens ou les banquiers bloquent le versement des salaires ? Si les administrateurs d’Internet interrompent le fonctionnement du réseau ? Si les médias et en particulier la télévision suspendent les nouvelles ou les diffusions de divertissement ou du foot ? Il n’y a pas si longtemps nous courions tous après des masques mais aussi de la moutarde ! On ne parle plus des pénuries de « puces » mais le problème n’est pas encore réglé et les délais de livraison des voitures à échanger quasi obligatoirement contre un modèle électrique dépassent plusieurs mois, des médicaments sont en rupture de stock, tout comme les médecins, ce qui est plus compliqué à résoudre et plus grave (10 ans de formation).
En regardant de près on s’aperçoit que, d’un petit nombre de professions, privilégiées au demeurant, qui pouvaient plus facilement obtenir des avantages contre blocage pas toujours justifiés, quasiment toutes les professions aujourd’hui pourraient mettre à mal le fonctionnement du réseau économique global et la qualité de vie de l’ensemble de leurs concitoyens.
On parle beaucoup du droit de grève – sans préciser au demeurant le droit de non grève, au moins aussi largement bafoué –, du droit de manifestation étendu aux black blocs, du droit de réquisition, dont l’observateur lambda a franchement beaucoup de mal à constater les effets, parfois du droit de vote que de moins en moins de gens semblent utiliser : il serait peut-être temps de se mettre d’accord sur un autre pacte social que celui de CRS casquées face à des syndicalistes à pavés, et de black blocs à mortiers.
En tant que personne âgée, donc quasi inapte à la manifestation de rue et sans accès à la « nouvelle démocratie » sociale et manifestante, incapable de s’exprimer hors vote ou hors le cadre d’une constitution incontestable, je souhaiterais bien que l’on commence par son respect. C’est la règle du jeu ! Et ceci pour tous et en tout lieu, n’en déplaise à certains ! En cas de manquements caractérisés, des sanctions doivent exister y compris un droit de réquisition efficace et l’obligation de service au public, en gros la même chose. Cela devrait a minima restaurer la confiance à l’intérieur de chaque pays et rendre possible le vivre ensemble, en attendant celui entre les nations. Ce serait un geste utile en soutien de la coexistence nécessaire d’opinions différentes.[[Nous venons tout de même de passer six mois avec comme obsession le plein d’essence !]]
Accessoirement il faudrait réfléchir raisonnablement à la reconstruction de la Supply Chain mondiale.[[Honnêtement je ne crois pas beaucoup à sa reconstruction. La méfiance fondamentale installée entre les démocraties et les « démocratures » mettra beaucoup de temps à refluer, si elle reflue.]] Cela reste probablement le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, mais la confiance ne se décrète pas, elle se construit.

 

Croissance du produit intérieur brut mondial de 1960 à 2021
Croissance du produit intérieur brut mondial de 1960 à 2021
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2 commentaires

Laurencin JF avril 2, 2023 - 9:29 pm

Sans confiance point de société :
Bien vu, bien dit; vous allez à l’essentiel de la pénurie qui s’annonce, celle de la confiance.

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zelectron avril 18, 2023 - 2:29 pm

Avec défiance la société actuelle meure :
L’exemple de la supply chain est excellent, mais en France le quarteron de l’Élysée et collatéraux démonte, pille, perverti, sali, bride, casse, abîme tout ce que la sphère entrepreneuriale crée, construit, imagine, porte à bout de bras.
De quelque coté qu’on se tourne si ce n’est pas le gouvernement, ce sont les syndicats et leurs braillards rien ne peut rester debout, à peine la première pierre posée il en est un qui trouve à redire et la fait déplacer ou jeter. Dans ces conditions la fabrique du découragement peut battre son plein, et même l’expatriation ne peut que présenter d’autres avanies qui découragent tout autant.
Prenons l’exemple d’un simple ressort 1€63 par 100 pièces au mieux disant en France (20 entreprises restantes sur près de 100 il y peu) en chine 42 centimes et tout à l’avenant. Comment manufacturer quoique ce soit quand le prix de revient français tangente l’absurde. Seul les secteurs « innovants » peuvent tirer leur épingle du jeu avec le risque d’échec permanent.

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