Pendant ces deux semaines de trêve des négociations, et depuis le départ de Jean-Paul Delevoye, une nouvelle réflexion sur la réforme des retraites est possible.
Première réflexion :
la réforme était justifiée. « Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites » annonçait le programme électoral d’Emmanuel Macron.
Ces injustices sont patentes :
. pension mensuelle moyenne des salariés du secteur privé (CNAV+ Agirc-Arrco) : 1.167 € ; pension mensuelle moyenne des fonctionnaires civils de l’Etat partant en retraite : 2.223 € ( + 90%) ;
. pensions mensuelles moyennes des agriculteurs et des commerçants (740 et 970 €) trois à cinq fois inférieures à celles de la RATP, d’EDF et de la SNCF (3700, 3600 et 2600).
. Ecarts sur les âges réels de départ en retraite : moyenne du secteur privé : 63 ans ; fonctionnaires des « catégories actives » : entre 55 et 57 ans ; pour la RATP et la SNCF : roulants à 52 et 53 ans, les autres à 57 et 58 ans.
Mettre fin à ces avantages motivait inévitablement de fortes réactions de la part des privilégiés. En faisant connaître clairement ces injustices, le gouvernement aurait pu mettre l’opinion publique de son côté. Agnès Buzin qualifiait d’« extrêmement avantageuses » les retraites du secteur public. Mais les autres ministres refusaient de « monter les Français les uns contre les autres » en faisant connaître la vérité. Le gouvernement se privait ainsi du soutien essentiel de l’opinion publique, qui reste favorable aux grévistes.
Deuxième réflexion :
La méthode choisie pour mettre fin à ces injustices n’était la bonne qu’en apparence. « Un système universel avec des règles communes de calcul des pensions sera progressivement mis en place ». Certes un « système universel » mettant fin aux « régimes spéciaux » assure en principe l’égalité entre Français : « à carrière identique, des droits identiques ».
Mais un système universel, assorti d’une « Caisse nationale de la retraite universelle » supprimant les régimes complémentaires Agirc-Arrco, ceux des professions indépendantes, des agriculteurs, des fonctionnaires contractuels (mais pas des titulaires), de la RAFP (retraite additionnelle de la fonction publique, assise sur les primes), sera en fait un système étatique, « piloté par la loi » et le Parlement.
Le système n’a d’universel que le nom, puisque des régimes spéciaux subsisteront pour les policiers, gendarmes, militaires, artistes, marins, journalistes, cheminots, électriciens. Les carrières longues, les métiers pénibles, les chômeurs et les malades auront un traitement spécial. La cotisation unique à 28,1% sera réduite à 12,9% pour les professions indépendantes (au-delà du plafond de la Sécurité sociale).
De plus, et fort heureusement, dans ce système universel, la date de départ en retraite ne sera pas la même pour tous mais laissée au choix de chacun. En revanche tout le reste, les cotisations et pensions, les caisses de gestion des retraites, et même le rendement (5,5 € de pension annuelle pour 100 € de cotisation) sera fixé par le système.
Dans son rapport, Jean-Paul Delevoye avait bien décrit le choix qui s’imposait : « deux modèles s’affrontent : l’individualisation et l’assurance ou le collectif et la mutualisation ». Il avait choisi : « Contre le chacun pour soi, je retiens le choix d’une mutualisation collective de nos risques individuels ». Ce choix n’est pas le bon.
Certes dans la plupart des pays développés le système de retraites comprend un « minimum vieillesse » financé par les impôts et un système de retraites financé par des cotisations obligatoires sur les salaires les plus bas jusqu’à un plafond, versées à une seule caisse en monopole, qui les répartit entre les retraités.
Mais des choix existent pour les retraites complémentaires. En France ce choix est très limité. Il porte au niveau de l’entreprise sur les cotisations Arrco-Agirc. Ailleurs le choix est plus large. Il peut être individuel, entre de nombreuses caisses, dont certaines fonctionnent par capitalisation.
On cherche en vain dans le rapport Delevoye le terme de capitalisation. Pourtant la loi des intérêts composés fait grossir une épargne pour la retraite. La durée moyenne des placements pour la retraite est de 30 ans : 20 ans en moyenne pendant les 40 ans de cotisation, plus 10 ans en moyenne pendant les 20 ans de retraite. Avec un rendement de 5% par an, une cotisation est multipliée par 4,5 au bout de 30 ans. C’est la différence avec la répartition. C’est pour cela que les fonctionnaires sont attachés à la RAFP, leur retraite additionnelle par capitalisation assise sur les primes, dont le rendement moyen depuis l’origine est de 4,8% par an. En outre l’Etat les y encourage par une subvention égale à leur cotisation. De même les avocats et autres pharmaciens veulent garder leur régime, qui assure de meilleures pensions grâce à une bonne part de capitalisation.
Les fonds de pensions anglo-saxons n’ont pas de problèmes d’« équilibre », particulièrement après une année 2019 où les indices boursiers auront bondi de 25%. Les retraités d’Europe du Nord profitent de leur retraite complémentaire obligatoire par capitalisation et les Allemands de leur retraite complémentaire facultative par capitalisation, subventionnée, comme la RAFP, par leur gouvernement. Alors que le gouvernement français est obligé, pour trouver l’équilibre du financement des retraites, de se battre sur un âge d’équilibre avec bonus-malus.
Pourtant il eût été facile de laisser en dehors du système universel les régimes spéciaux des avocats et autres professions indépendantes, et d’étendre à tous les Français le régime si favorable de la RAFP. En instaurant ainsi un régime complémentaire obligatoire par capitalisation à bon rendement on pouvait limiter les cotisations obligatoires sous le plafond de la Sécurité sociale à un taux inférieur à 28,1%, peut-être même au niveau allemand de 20%, tout en assurant des pensions confortables bien financées.
On aurait évité la controverse sur l’âge-pivot, le risque réel que les pensions futures baissent par manque de financement, le mécontentement des indépendants et des fonctionnaires qui vont perdre leurs retraites par capitalisation.
Il n’est peut-être pas trop tard pour rêver à ces progrès.
2 commentaires
La réforme des retraites, archétype des travers de la France
Telle que programmée, la réforme des retraites est absolument typique des 2 grands travers de la France, qui plombent son développement depuis des décennies et sont la cause fondamentale de son décrochage économique et social : le centralisme étatique, l’égalitarisme.
Il serait de toute évidence préférable d’instaurer un régime de base universel par répartition et par points ou non, prenant en compte les vrais besoins de solidarité ; et de laisser libre ensuite tous les régimes complémentaires collectifs ou individuels.
Mais à 2 conditions essentielles : les cotisations obligatoires baissent laissant donc plus de choix à des régimes volontaires choisis ; l’Etat retire sa garantie de tous les régimes actuels et s’interdit d’apporter une quelconque contribution ou garantie aux régimes complémentaires et volontaires
On peut encore rêver !
Les faits ne sont pas agressifs.
Sur le premier point, il faut rappeler à nos dirigeants que les faits, l’information juste et claire, non manipulée, ne génèrent pas d’agressivité. Oui il est très facile de communiquer ces chiffres sur les pensions pour faire réfléchir.
Ce qui déclenche l’agressivité que nous voyons, ce sont les rumeurs et les non-dits.
Agressivité des uns pour défendre des avantages acquis afin d’éviter qu’ils ne soient clairement exposés, agressivité des autres par peur d’un projet sur lequel ne circule aucune information fiable.
Et une fois de plus l’état nous fait payer le mauvais management des entreprises dont il assure la direction!