Il n’est probablement pas beaucoup de causes plus grandes que la justice et nous ne manquons pas d’ailleurs d’en rappeler la nécessité à tout instant.
Le 23 mars 2023, le Président de la République s’est longuement exprimé sur la réforme des retraites et s’est vu reprocher de ne pas jouer l’apaisement. Derrière cette supplique était soigneusement cachée l’idée qu’il était responsable des violences de toutes sortes qui envahissent notre pays depuis que nous avons attaqué ce sujet brûlant.
Ceci pose plusieurs questions.
Tout d’abord, qu’est-ce que la justice ? Cette notion me rappelle inexorablement une discussion de rencontre avec un prêtre qui, parlant de la vérité, avait eu cette très belle phrase :
« Oui, la vérité est une et indivisible, mais elle est comme une montagne : elle apparaît souvent différente à chacun selon l’endroit d’où il l’observe. »
Le lundi précédent, j’ai également – comme souvent – écouté Monsieur Luc Ferry dont j’apprécie en général les chroniques et interviews qui, contrairement à mon pronostic, s’est prononcé contre la réforme en cours parce qu’injuste, en particulier pour les carrières longues.
Il y a bien des choses à dire sur la justice de cette réforme :
Premièrement, on ne devrait jamais oublier le lien entre la perception d’une retraite et la cotisation qui a été prélevée auparavant pour la provisionner. Si l’on regarde la montagne de ce côté-là, on s’aperçoit que ce sont les cadres qui cotisent le plus fortement directement pour la retraite, et cotisent une deuxième fois par le biais de l’IRPP qui vient combler le déficit des cotisations des autres catégories par rapport aux versements. Où est la justice ?
Deuxièmement, les régimes spéciaux sont les premiers des « échappatoires » que d’habiles négociateurs ont inventées pour tourner la justice de base, à savoir : mêmes conditions de cotisations et de liquidation pour tous ainsi qu’un retour sur cotisations similaire. Où est la justice ?
Troisièmement, la pénibilité est une très curieuse invention franco-française. Sa définition est pour le moins contestable, encore plus depuis qu’on a introduit la pénibilité mentale en complément de la pénibilité physique. Nous serions les seuls à en tenir compte (tous les métiers ont des côtés pénibles) ce qui, de nouveau, paraît bien une machine à créer des régimes spéciaux. La balance pour mesurer cette nuisance est non seulement introuvable mais encore historique. La pénibilité est d’ailleurs déjà rémunérée dans les coefficients et les salaires, donc dans les retraites. Où est la justice ?
Quatrièmement, les carrières longues dépendent de manière bien évidente du mode de définition des bornes : traditionnellement, une carrière longue débute quand un jeune commence à travailler contre rémunération, ce qui effectivement arrive dans certains cas très tôt. Qu’en est-il de l’apprenti ? Rémunéré ou non ? Quand commence le décompte de ses trimestres ? À date, les trimestres d’apprentissage sont décomptés pour la retraite. Cela explique peut-être une partie de l’engouement récent des étudiants du supérieur pour ce statut. Effectivement, les années d’études standards ne rentrent pas, pour le moment, dans le schéma. Un étudiant n’accumule pas de points de retraite, sauf à Polytechnique, Normale et en médecine car il est rémunéré (plus ou moins bien d’ailleurs). Doit-on cumuler la formation dans les trimestres et à partir de quand ? De l’école communale, par justice ? Et dans ce cas que deviennent-ils ? Est-il juste qu’un polytechnicien accumule des trimestres pendant sa scolarité et pas un Centralien ou un étudiant en droit ?
Cinquièmement, pour trouver l’équilibre en cas de déficit prévisible faut-il, pour faire simple, baisser les retraites ou augmenter les cotisations ? À date, on a surtout raboté les retraites puis réintroduit des minima… Où est la justice ?
Je ne suis certainement pas au bout des paramètres contestables ou divers.
Tout cela pour dire qu’en la matière, la justice, qui est en général la toge virginale dans laquelle se drape tel ou tel intervenant péremptoire, est bien difficile à distinguer.
Même l’équilibre ou le déséquilibre des comptes est aujourd’hui l’objet de discussions épiques et ne peut pas être autre chose, dans la mesure où il intègre des prévisions, donc des incertitudes sur ce qui va arriver (l’avenir est à Dieu !)
La seule chose certaine et constatée est l’augmentation du nombre de retraités et la stagnation voire la diminution prévisible du nombre de cotisants. Il est donc urgent d’agir et il est parfaitement malhonnête de reprocher à notre Président, lequel avait prévenu, de vouloir mettre un tout petit peu de sagesse et d’équité, à défaut de justice, dans cette machine déréglée. Il est également inexact de reprocher au Président Macron de n’avoir pas écouté les Français. Si l’on revient à l’origine de cette réforme, son souhait affiché était un régime unique, par point, et la suppression des régimes spéciaux. On en est loin aujourd’hui. Il y a donc bien eu écoute et aménagement dans le projet du gouvernement On peut en revanche sans grand risque de se tromper reprocher aux Français leur refus de regarder en face ce qui est un phénomène démographique mondial déjà bien documenté[[Au Japon et en Corée, par exemple.]]. On peut également reprocher ceci aux syndicats : ils nient le problème et ont construit délibérément un immense voile de désinformation sur le sujet. La CGT et la CFDT ont réussi à transformer les deux tiers des Français en défenseurs inconditionnels et permanents des régimes spéciaux privilégiés (leurs derniers électeurs), systèmes injustes par construction et en cours d’extension rampante ![[Madame Hidalgo continue à refuser d’appliquer la loi sur le temps de travail des fonctionnaires à Paris. Qui se moque de qui ? La pénibilité et les carrières longues seront avant longtemps aussi injustes que la SNCF ou les aiguilleurs du ciel. On marche sur la tête.]] Plus grave, ils ont incité les populations à « se faire justice » elles-mêmes. Cela entraîne à chaque fois des violences dont les instigateurs rejettent l’origine sur leurs interlocuteurs alors que ces derniers ont uniquement cherché à régler un problème de société qu’ils n’ont en aucun cas créé. Cette inversion des fins et des moyens, bien connue et régulièrement utilisée, devient pénible à la longue. Elle est déjà difficile à tolérer de groupuscules activistes. Dans la bouche de syndicats établis et officiels, financés par la collectivité, elle est aussi cynique que les éructations répétées de Messieurs Martinez, Berger et Mélenchon, Messieurs annonçant « Nous ou le chaos ? »
Cela vous rappelle quelque chose ?
2 commentaires
Retraites : justice ou équité ?
Depuis le début du débat sur les retraites, c’est un concours au plus grand déni et au plus gros mensonge ! Personne n’ose dire aujourd’hui que les syndicats, sauf la CGT qui n’a pratiquement jamais signé aucun accord, ont décidé, en négociation avec les représentants des employeurs, le report de l’âge de la retraite à taux plein des régimes AGIRC/ARCO à 65 ans ! Pourquoi ce qui s’applique aux retraites privées ne s’appliquerait pas à toutes les retraites. Où est l’équité ?
Idem pour le calcul des retraites des agents de l’Etat et des Collectivités sur le 6 derniers mois avec à l’appui, comme par hasard, une hausse conséquente des rémunérations juste sur ces derniers 6 mois. Où est l’équité ?
Retraites : repartition pour les uns, arnaque pour les autres
et pas de capitalisation* (y compris prélèvements [détournements?] pour frais de gesssions)
Sans oublier le coût (délirant?) des caisses de retraites elles-mêmes sans parler de leurs investissements aventureux . . . .
*sauf pour certaines catégories de fonctionnaires