La lecture du dernier rapport de la Cour des comptes sur notre système de santé est de nature à donner des cauchemars à toute personne un tant soit peu concernée.
1/ Quelques chiffres
L’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) s’est élevé à 178,3 milliards d’euros, en croissance de 2,4%. Il représente 75% de la dépense nationale de santé. L’objectif global a été tenu (avec quelques bidouillages de fin d’exercice pour compenser les soins de ville qui ont dérapé à 2,9% de croissance).
Les recettes ont progressé plus rapidement (3%) que la masse salariale, grâce surtout à des taxes nouvelles. Le déficit, qui devait être réduit à 4,4 milliards d’euros, est en fait resté stable à prés de 6 milliards d’euros.
De lourdes menaces pèsent sur 2016-2017 avec la revalorisation indiciaire de la fonction publique, la négociation d’une nouvelle convention avec les médecins libéraux, le faible nombre de brevets médicamenteux tombant dans le domaine public et l’arrivée de nouveaux traitements onéreux.
La Cour estime qu’il faut d’urgence revenir à une croissance des dépenses égale ou inférieure à celle du PIB, et que de toute manière l’équilibre ne pourra être atteint, au mieux, qu’en 2021. Par contre, le retour à l’équilibre n’est plus envisagé par la Sécu dans son horizon prévisionnel.
La santé, c’est encore 1.300 hôpitaux et assimilés de toute taille, 1.200.000 personnels hospitaliers, 500.000 professionnels en libéral très inégalement répartis sur le territoire, un véritable monstre.
2/ L’analyse du passé proche et les perspectives
Contrairement à l’habitude, l’étude ne se borne plus à tancer avec onction les errements de l’année, mais, prenant du recul, elle analyse 15 ans de tentatives de restructuration du système pour conclure effarée que sur les 20 à 25 objectifs d’aménagement, un seul (la réforme des maternités) a connu un demi succès ou un demi échec, au choix, et que tous les autres sont de francs échecs tels que la réforme des hôpitaux, le décloisonnement médecine de ville / hôpital, la généralisation des génériques, la diminution du nombre d’analyses redondantes et le clou final, l’effondrement du DMP (dossier médical personnalisé), pièce essentielle d’une (éventuelle) modernisation. Il est bien évident – en faisant l’addition des économies espérées – que si la réussite avait été au rendez-vous, il n’y aurait pas de déficit et il n’aurait pas été nécessaire d’accroître sans arrêt les recettes par des taxes nouvelles ou des augmentations de taxes.
Face à un tel désastre, la Cour a cherché à en comprendre les raisons et s’est aventurée à analyser les outils de pilotage utilisés et les organismes de décision qui les conçoivent et les utilisent (soit le ministère de la Santé et ses satellites, mais malheureusement la CNAM, et surtout la CNAMTS, qui constituent des états dans l’État, ne sont pas ou peu analysées).
Les outils tout d’abord, sont constitués d’outils contraignants tels que le non-référencement des personnels soignants libéraux, d’outils semi-contraignants tels que les normes à respecter et les schémas directeurs lorsqu’ils contiennent des dispositions opposables, ainsi que le financement des investissements, enfin les incitations financières (subventions diverses telles que le paiement des charges sociales des médecins s’installant en zone critique, la distribution des fonds MIGAC et FIR par les ARS (agences régionales de santé)) et la persuasion pour pousser les hôpitaux à signer des accords de collaboration (fusion des fonctions support) à la limite des fusions de service.
Les outils contraignants ont pratiquement été abandonnés. Utilisés pour les professions paramédicales en conjonction avec des incitations, ils ont donné de faibles résultats. Quant aux seules incitations utilisées avec les médecins libéraux, les résultats en sont nuls.
Les outils semi-contraignants tels que les normes et les SROS (schémas régionaux d’organisation des soins des ARS) avec contraintes, ont pratiquement été abandonnés bien qu’ils aient donné des résultats (notamment pour les maternités). Les raisons sont le volume de travail pour établir des documents à jour et, dans le cas des SROS, les possibilités de génération de conflits. Les dernières générations de SROS sont donc des SROS à l’eau de rose.
Le financement des investissements n’agit que très lentement et est faussé dans les structures de décision par le jeu de la DGOS qui est le porte-parole des hôpitaux et celui du budget qui prend le contrepied.
Restent les incitations et les opérations de bonne volonté, persuasion débouchant sur des accords de mutualisation, surtout entre hôpitaux. Elles n’apportent aucune solution pérenne comme une pure et simple restructuration ou fusion, et ont surtout pour but de préserver l’autonomie des établissements. Elles ont pourtant toutes les faveurs officielles et sont prônées (même par l’opposition si l’on en croit la dernière interview de François Fillon).
La Cour condamne la déliquescence des outils de pilotage et demande la reprise ou la génération de nouveaux outils.
L’analyse des structures de décision, soit les directions générales du ministère et le CNP, la CNAMTS incidemment, n’est pas plus réjouissante. Les attributions de chaque direction se recoupent, favorisant les conflits entre services et les empiètements de la CNAMTS, la structure la plus dynamique du lot. Pour simplifier, les critiques les plus importantes portent sur la DGOS et le CNP.
La DGOS est en fait l’ancienne direction des hôpitaux que l’on a voulu transformer en clef de voûte du système de soins. Elle n’a jamais pris la mesure de son nouveau rôle et ne s’est jamais impliqué dans l’articulation des parcours de soins ville / hôpital (à l’inverse de la CNAMTS) et ne fait pratiquement aucune prospective. Bien que perçue comme le porte-parole des hôpitaux, elle a perdu de nombreuses prérogatives sur le sujet, et dans les conseils de financement elle est très étroitement surveillée par le SGMAS et le Trésor.
La condamnation est sans appel. La DGOS doit être complétement transformée et son recrutement modifié (trop d’anciens cadres des hôpitaux).
Les ARS sont devenues sur beaucoup de sujets, l’ultime espoir et l’ultime pensée. Or leur organe central le CNP souffre de nombreuses lacunes.
Sa composition doit être revue et ses attributions exactes clarifiées, notamment en matière stratégique.
Les relations avec les autres services et notamment la DGOS et la CNAMTS doivent être formalisées.
Les fonctions de stratégie doivent primer par rapport aux actions administratives et une coordination efficace entre une DGOS rénovée et un CNP réorganisé doit être mise en place.
3/ La qualité des soins
Dans ce contexte effroyable, la qualité des soins se dégrade mais pour le moment à une vitesse modérée grâce à la valeur des personnels techniques (article à venir). Qu’en sera-t-il en cas de choc financier grave ?
Conclusion
Le navire santé dérive vers des eaux de plus en plus troubles. En l’état actuel des choses, il n’est pratiquement plus gouverné ni gouvernable. Les deux préalables nécessaires seraient une réorganisation complète du ministère et la reconstitution d’outils de pilotage décents. Puis devraient être réactivées les multiples actions engagées mais jamais menées à terme. Enfin les fameuses réformes structurelles devraient être définies et mises en route. Tout cela semble bien long alors que l’horizon actuel semble se limiter à 2017. Et après, le déluge ?
3 commentaires
Bureaucratie plus les maires…
Le système hospitalier en France est surdimensionné (plus de 30 % selon certains), et bureaucratique à l'excès : l'APHP (assistance publique de Paris) emploie 90 000 salariés, dont ….20 000 soignants !
Quand on sait en plus que le maire du coin est statutairement le président du conseil de l'hôpital, tout est en place pour ça ne bouge pas. Dans bon nombre de régions en France, l'hôpital est le premier employeur du département ! Hidalgo est bien entendu à la direction de l'APHP.
La démocratie à la française noye les compétences
Merci pour cette excellente analyse du système de santé qui identifie les mêmes travers que ceux qui sont à l'oeuvre pour détruire l'écosystème ferroviaire français.
Les comptables ne sont pas là pour prescrire la fermeture de lignes ferroviaires. Préconiser la fermeture de petites lignes capillaires, c'est abandonner 20% du chiffre d'affaires. C'est déraciner le ferroviaire de son marché.
Ce qu'on attend de ces comptables ce ne sont pas des observations à la Buridan qui a fini par tuer son âne pour économiser, "optimiser" le nettoyage de son écurie.
Par contre, la Cour pourrait défendre la vraie compétence dans ce dévoiement de l'investissement ferroviaire vers un instrument de valorisation électorale.
Voyez sur "Le Cercle LES ECHOS":
"L'infantilité", Monsieur le législateur, ne caractérise pas le ferroviaire!
(je n'arrive pas à en copier l'adresse INTERNET)
L'irresponsabilité
Lors de l'établissement des règles qui aujourd'hui encore régissent la sécurité sociale, un certain nombre d'arrières pensées n'ont pas été portées à la connaissance du public.
– Tout d'abord les gens ne sont pas capables de se constituer eux mêmes une réserve financière suffisante pour faire face aux dépenses occasionnées lors de leur retraite de la vie active.
A partir de là, toutes les dérives furent autorisées :
– La déresponsabilisation des citoyens à ce sujet les amenèrent à considérer l'ensemble des services de santé comme totalement gratuits et qui plus est un devoir absolu de l’État envers eux-mêmes, réciproquement un droit à la santé total y compris pour tout et n'importe quoi jusqu'à la moindre peccadille et des transports en ambulance pour un oui ou pour un non entre autres exemples non limitatifs.
– Bien entendu pour gérer tout ça un personnel qualifié, suffisamment nombreux, correctement payé, en assurant son repos dans des centres de vacances quasi gratuits et du fait du travail harassant accompli durant 28 heures par semaines (dont 15 effectives entre la machine à café, la photocopieuse et les archives disposant d'un lit de repos pour ce personnel épuisé . . .) et cerise sur les profiteroles une retraite bien méritée basée sur les sommes perçues au cours de la dernière année avec 2 ou 3 indices hiérarchiques de plus ? indépendamment d'un nombre de trimestre de cotisations réduites pour prétendre à une pension complète à 57/58 voire 60 ans maximum
– Ah ! j'oubliais un nombre de chefs, sous-chefs, directeurs, détachés, missionnés, fantômes (mais ça ce n'est pas prouvable, quoique . . . ) avec salaires et avantages idoines.et assortis de secrétaires accortes et avenantes comme il se doit.