Ce qui suit est un article « à chaud ». Philippe Baccou y réagit, de façon très personnelle, à deux nouvelles apparemment sans lien, la mort de l’héroïne du Guépard et l’irruption de la taxe Zucman dans le débat politique. Deux évènements qui appellent cependant à une réflexion sur le destin des riches et sur la haine irraisonnée qui, parfois, les poursuit.
23 septembre 2025 : triste journée pour le cinéma !
Giuseppe Tomasi di Lampedusa est mort en 1957 sans avoir vu publier son roman Le Guépard, refusé par deux éditeurs.
Luchino Visconti, qui tira de ce roman l’un des plus beaux films de tous les temps, est mort. Nino Rota, compositeur de la musique, est mort, les acteurs Burt Lancaster, Alain Delon sont morts. Et Claudia Cardinale, le 23 septembre dernier, est décédée elle aussi.
« Que tout change pour que rien ne change », écrivait Lampedusa. Ce fut, en Union soviétique, le projet de Mikhaïl Gorbatchev, avec le peu de succès que l’on sait. N’est-ce pas aujourd’hui ce que semble chercher Emmanuel Macron, avec les mêmes chances de succès ? Décidément, il faut revoir Le Guépard.
Cela me remémore un autre film profond et émouvant. Après la mort de Lampedusa, son manuscrit tomba entre les mains d’un intellectuel italien, Giorgio Bassani. Bassani lut Le Guépard, l’aima et le fit éditer en 1958. Heureux hasard, triomphe immédiat. Bassani avait en chantier un roman, paru en 1962. Il y évoquait l’histoire de sa propre famille, riches bourgeois juifs de Ferrare, vers la fin des années trente, montrés du doigt et persécutés sous le régime fasciste. En 1970, Vittorio de Sica porta à l’écran ce livre, Le Jardin des Finzi-Contini.
Quand je vois ce film, je pense à ma mère. Autour de 1935, elle passait ses vacances d’été dans une pension chic sur la côte normande. Quelques traces me sont parvenues de ce temps-là. Jeunes gens de bonne famille, natation, parties de tennis, émois adolescents, insouciance: même époque, même milieu social que dans le film. Seul varie le destin ultérieur, plus tragique pour les uns, moins pour les autres.
Mais tout cela n’est-il que du passé ? Aujourd’hui, trop souvent, les riches sont pour les gens de gauche ce que sont les juifs pour les antisémites. Ce fut le cas en Italie dans les années 1970, au temps des Brigades rouges. Par peur d’être enlevés et assassinés, des riches fuyaient le pays, comme les Bruni-Tedeschi, parents de Mme Sarkozy.
Le mouvement s’est désormais inversé. L’extrême-gauche ne menace plus guère l’Italie. Le centre et les démocrates-chrétiens ne sont plus dominants. Depuis trois ans, Giorgia Meloni gouverne le pays, à la tête d’une coalition des populistes et de la droite classique. Un peu comme si Marine Le Pen gouvernait la France avec, à ses côtés, à droite, les amis d’Éric Zemmour et, à gauche, ceux de Bruno Retailleau.
Mme Meloni ne hait pas les riches. Elle ne veut pas les spolier par petits morceaux, comme le propose M. Zucman. Ni leur dire, s’ils tentent de s’exiler, « vos actifs sont gelés, vous pouvez être arrêtés à l’aéroport », comme le souhaite M. Piketty. Elle voudrait au contraire en accueillir beaucoup plus chez elle, et elle fait ce qu’il faut pour cela.
Allons-nous voir bientôt les Bruni se réinstaller à Turin, et les autres riches les suivre ? Dans le climat actuel, une telle issue n’est plus jugée impensable. Selon un récent sondage, 86 % des Français approuveraient une taxe Zucman sur les « ultra-riches ». Ils sont encore plus nombreux (92 et 89 %) chez les sympathisants du centre et de LR. Les moins convaincus sont, au contraire, les sympathisants du RN (75 %). Cela semble affoler certains députés. Pour Pierre Cazeneuve, député Renaissance des Hauts-de-Seine et vice-président de son groupe à l’Assemblée, « C’est très difficile de voter ce qu’on estime être une connerie, mais on va devoir apprendre à le faire dans les prochains mois ». Pour Sylvain Maillard, autre député macroniste, la taxe Zucman n’est pas moins « une connerie », mais « il faut y aller parce que les socialistes disent qu’ils veulent absolument un symbole ».
Il serait bon de garder un peu plus la tête froide devant ces agitations. Les emballements politico-médiatiques ne sont souvent pas durables, comme les bugs en informatique, les bouffées délirantes en psychiatrie ou les accès de fièvre pendant la grippe hivernale. Pourquoi faudrait-il que la France de demain aime moins les riches que l’Italie d’aujourd’hui, où la coalition de Mme Meloni resterait majoritaire si de nouvelles élections avaient lieu ?
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