Et voici le serpent de mer de la réduction du temps de travail qui resurgit. Avec un à-propos et une coordination bien calculés (Ah ! les radios du « service public » …), France-Inter et France-Info invitaient vendredi dernier, la première Laurent Berger (CFDT) et la seconde Philippe Martinez (CGT). Tous deux plaident pour la réduction autoritaire du temps de travail, bien que de façon différente mais peu importe. Ce qui interpelle en revanche : Le même jour, Sébastien Bazin (PDG d’Accor) s’inquiète (euphémisme) de ce qu’il manque 300.000 employés dans le secteur de l’hôtellerie. Jolies coïncidences. Les syndicalistes veulent-ils vraiment mettre la France par terre ?
Le fameux partage du temps de travail
Avec les Verts et une bonne partie de la gauche, la CGT reprend le flambeau. La vieille lune responsable de dizaines de milliards de dépenses publiques, de faillites ou d’abandons d’entreprises, de la catastrophe dans les hôpitaux français, la voilà qui se re-pointe à l’horizon : “Si on fait moins travailler ceux qui ont du boulot, ça libère du boulot pour ceux qui n’en ont pas », nous dit Philippe Martinez, sans se demander pourquoi « ceux qui n’en ont pas » se retrouvent dans cette situation. Et bien entendu, pour le leader syndicaliste cela se ferait à salaire égal, mais de l’argent ce n’est pas ça qui manque n’est-ce-pas ?
Quant à Laurent Berger, il reprend sa proposition de la présidentielle 2017 consistant à réduire le temps de travail, non pas sur la semaine, mais sur la durée de vie, en créant une « banque des temps ». Si l’on a bien compris, chacun naîtrait avec un capital de travail déterminé à gérer comme il l’entend. Un capital fixé au départ de la vie on suppose, suivant des prévisions à 70 ans que l’Etat saura, comme toujours bien entendu, bâtir. Quelle perspective de rêve aussi pour les nouveaux-nés !
Nous n’entendons pas ici refaire une fois de plus le procès de cette lubie qu’est le partage du travail, gâteau dont il faudrait couper des parts de plus en plus petites en fonction du nombre de convives. Mais ce qui est stupéfiant, c’est le contre-temps absolu de la proposition.
Réduire le temps de travail en pleine période de pénurie de main-d’œuvre ?!
+Importance de la pénurie+
Sébastien Bazin, PDG d’Accor, s’alarme ce même vendredi sur RMC d’une très forte pénurie de main-d’œuvre dans l’hôtellerie : « Il manque un tiers des employés, c’est beaucoup, entre 200 000 et 300 000 dont 20 000 chez Accor ». Cela au moment où la demande va reprendre, plus exigeante que jamais, précise-t-il. Autrement dit, c’est un déficit d’offre qui se prépare, en France comme ailleurs. Comment va-t-il devoir faire ? Accor n’a pas les moyens de revaloriser les salaires, devant rembourser à l’Etat les prêts accordés pendant la crise. Baisse de charges, renforcement de l’apprentissage… Sébastien Bazin va jusqu’à évoquer l’embauche de migrants, triste paradoxe compte tenu du taux de chômage français.
Le phénomène n’est évidemment pas propre à l’hôtellerie : restauration, artisanat, soudage et mécaniciens, bâtiment, transports routiers, métiers du soin… sont gravement victimes de cette pénurie. La Banque de France estime que 44% des entreprises ont des difficultés à recruter, et son gouverneur pense que cette pénurie de main-d’œuvre menace l’économie française plus encore que les variants de la Covid. Il est difficile de savoir combien d’offres d’emploi sont concernées (on avance souvent le chiffre de 400.000, la CPME avance de son côté 800.000 à 900.000), et ce que le terme de « difficultés » recouvre réellement et quelles en sont les conséquences. Mais il est certain qu’il s’agit au moins de retards importants dans les embauches, ce qui suffit, compte tenu du caractère récurrent de la pénurie (le phénomène ne date pas de la crise et lui est bien antérieur), à faire baisser de plusieurs points le taux d’emploi national[[La population active française ayant un emploi est de 27 millions, et un manque de 400.000 représente donc 1,5% de cette population, sans compter les effets induits de désorganisation. Le PIB tourne quant à lui autour de 2.400 milliards €.]], donc le PIB et donc encore les ressources budgétaires permettant de faire face aux dépenses publiques.
+Effets à prévoir de la réduction du temps de travail+
Quelles sont les causes de la pénurie de main-d’œuvre ? On estime généralement que deux causes fondamentales sont à distinguer : les difficultés d’appariement entre offres et demandes d’emploi (problèmes de compétence), et le manque d’attractivité de ces offres, auxquels on peut ajouter le manque de mobilité des travailleurs (dû lui-même en grande partie au manque de logements accessibles dans les métropoles).
Quel serait l’effet d’une réduction du temps de travail compte tenu de ces causes de pénurie ? S’agit-il du manque d’attractivité des offres d’emploi ? Ce manque se résume presque toujours à l’insuffisance de la rémunération, même quand les conditions de travail sont en cause. Or il n’est pas envisageable que les employeurs puissent rémunérer un travail de 32 heures le même montant qu’un travail de 35 heures. L’instauration des 35 heures il y a deux décennies a coûté cher à l’Etat, et les salariés l’ont par la suite subi par une plus faible augmentation des salaires. En conséquence, la réduction du temps de travail se traduira immanquablement par un manque d’attractivité encore plus prononcé des offres d’emploi, résultat parfaitement contraire à celui attendu.
Quant au problème d’appariement et d’absence de compétence, l’effet est encore plus évident : on ne ferait par hypothèse que diminuer la disponibilité, déjà insuffisante, des travailleurs compétents déjà embauchés… Bien entendu il faut s’attaquer efficacement à la question de la formation, mais cela est un autre problème qui n’a rien à voir avec la réduction du temps de travail.
Conclusion
On est proprement consterné de voir resurgir le thème de la réduction du temps de travail. Il est évident qu’une telle réduction ne servirait à rien pour remédier au chômage, mais que, pire encore, elle n’aurait que des effets économiques extrêmement pervers. De façon logique, le chef du Medef avait de son côté prévenu que la crise allait contraindre à revoir le temps de travail dans le sens de… l’augmentation. Laurent Berger avait qualifié la réflexion d’indécente ! Témoignage de l’opposition radicale entre syndicats patronaux et salariés.
Que ces syndicats s’opposent ne saurait surprendre. Mais que la gauche pense retrouver son unité sur ce thème est significatif de son désarroi et de la pauvreté de son discours – encore que la candidate socialiste soit plus prudente, qui se prononce en faveur, non d’une loi imposant universellement les 32 heures (se souvient-elle du passage aux 35 heures ?), mais d’accords de branche. En tout cas, nous voici revenus aux meilleurs temps de la classique et stérile opposition droite-gauche. Cinq années de macronisme n’y auront rien changé. Mais le monde, lui, a changé.
3 commentaires
Réduction du temps de travail : ce n’est vraiment pas le moment ! Les 40 000 heures de Jean Fourastié…
Je reviens encore une fois avec Jean Fourastié, et son ouvrage de 1965 : les 40 000 heures ! Ces 40 000 heures par carrière auraient donné en gros 1000 heures / an, pendant 40 ans environ aujourd’hui (et même 50 ans, si l’on passe les apprentis à 65, pour la retraite !) . Ces 22 heures par semaine (1000 / 45)vont faire sauter au plafond mes amis du MEDEF ! Ce n’est pas le but !
J’ai aujourd’hui des petits patrons qui me disent « très discrètement » qu’ils n’ont que 5, 10 15 heures de charge par machine, tellement les vitesse d’usinage UGV ont explosé depuis les années 80. Grace à la polyvalence, il ont réussi à « dégraisser le mamouth », comme dirait feu Claude Allègre ! Mais aujourd’hui, payer 20 heures déchargées au lieu de 35 surchargées pourrait les arranger terriblement, au niveau de leur compétitivité, à condition, bien sûr, d’une possible flexibilité à 45 heures seulement, en fonction du boulôt, de 3 fois sept à 5 fois neuf, par exemple. C’est trop révolutionnaire pour être entendu actuellement… Les grecs sont entrain d’évoluer, avec les RPC chinois, vers les 140 000 heures, 55 ans x 48 h x 50 semaines, et cela n’apporte pas grand chose pour l’instant, à part un meilleur équilibrage des retraites, très peu la toucheront, malheureusement, dans les professions physiques ?! A contrario, les pays bas vont un peu mieux, ils ont du gaz, certes ?! En 1936, on faisait 80 000 heures dans une vie avec 20 millions d’actifs, en 1965, on en faisait 70 000, aujourd’hui, si les 44 millions d’actifs possibles en faisaient 60 000, on n’en serait pas là où on en est !??
Vive les vacances : ce n’est vraiment pas le moment !
j’oubliais : ne pas oublier de leur donner leurs pilules de « soleil vert » et de les inviter à la grande fête !
Augmentation du temps de vacances : ce n’est vraiment pas le moment !
Pour Berger et Martinez, afin qu’ils montrent le « bon exemple », il est absolument nécessaire de supprimer leur « travail » à chacun, ainsi on satisferait au moins pour ces 2 là de pouvoir prendre des vacances aux frais de la princesse jusqu’à la fin de leurs jours !