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Pourquoi l’industrialisation de la France est si difficile : l’exemple Michelin.

par Bertrand Nouel
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Michelin vient d’annoncer la fermeture totale de deux de ses sites industriels français, à Vannes et Cholet. 1.254 emplois seront supprimés. La direction du groupe met en cause la « lente dégradation de la compétitivité » de l’Europe. En l’occurrence, il s’agit de l’ « effondrement » de la demande en pneus pour camionnettes et poids lourds, spécialités de ces deux sites, et de la concurrence asiatique de plus en plus virulente. Précisons aussi, c’est important dans le contexte, qu’il s’agit de l’exportation des pneus Michelin dans le monde et non pas de la demande interne, la France ne représentant que 8,7% des ventes du groupe.

Michelin transférera l’activité en question en Espagne, et Italie et Pologne, ce qui indique que c’est surtout en France que le problème se pose, bien que deux sites allemands soient aussi en voie de fermeture. En vingt ans, six sites français auront été fermés, et Michelin ne comptera plus que 8.000 emplois industriels dans notre pays, sur un total de 132.000 emplois totaux.

Certes l’automobile est actuellement en crise, comme en témoignent aussi généralement les difficultés des équipementiers, mais demandons-nous pourquoi, mise à part cette crise conjoncturelle, ce fleuron de l’industrie française connaît-il une telle attrition de son activité française dans le temps, sinon pour des raisons de compétitivité tenant aux coûts de production.

Un récent article paru dans les Echos du 20 novembre fait le tour de la question, sur la base notamment des indications données par le président du groupe, Florent Ménégaux, dans ses diverses déclarations.

Quels sont les facteurs de non-compétitivité ?

En premier lieu, le patron de Michelin invoque le prix de l’énergie, qui a augmenté de 2,3 fois depuis 5 ans, et est devenu double de celui des Etats-Unis (35% des ventes de Michelin) ou de l’Asie. L’énergie compte pour 12% des coûts de production de Michelin.

En second lieu, le rythme d’amélioration de la productivité est particulièrement défavorable à la France puisque, selon le cabinet Roland Berger, elle aurait augmenté pendant les trente dernières années, de moitié aux Etats-Unis, d’un tiers en Allemagne et seulement d’un quart en France.

Troisièmement, le coût des normes (encore!), avec pour exemple l’obligation de traçabilité du caoutchouc, qui n’existe qu’en Europe (coût : 200 millions par an chez Michelin).

Enfin, et là aussi ce n’est pas une surprise, le coût des prélèvements fiscaux et sociaux : impôts de production (4 fois plus élevés qu’en Allemagne), et surtout les charges (ou cotisations) patronales, qui sont de 21% en Allemagne et de 42% en France dès que le salaire s’éloigne du smic.

Michelin, acteur mondial.

Le secteur automobile est en crise partout en Europe, et notamment en Allemagne où Volkswagen et Ford multiplient les plans de licenciement. Les équipementiers sont aussi touchés (32.000 licenciements en Europe). Difficile dans ces conditions de faire de Michelin un exemple des problèmes généraux d’industrialisation de la France. Il n’en demeure pas moins que la France présente comme nous allons le voir des handicaps vis à vis de ses concurrents européens.

Michelin est un fleuron français, 1er groupe mondial du pneu, très près du japonais

Bridgestone et de Goodyear. Il le doit à sa valeur ajoutée tient à sa remarquable faculté d’innovation technologique qui est bien localisée en France. Mais la production est largement délocalisée dans le monde, où Michelin compte entre 120.000 et 132.000 employés selon les estimations, contre seulement 17.000 en France. La production purement française concerne les pneus haut de gamme, alors que le marché mondial se tourne de plus en plus vers la moyenne ou basse gamme, servi par les producteurs surtout asiatiques. Michelin est donc victime d’une concurrence féroce, et son manque de compétitivité est son problème principal.

La spécificité française de la fiscalité et de la parafiscalité des entreprises.

Parmi les handicaps de compétitivité invoqués par le président du groupe, le prix de l’énergie et l’explosion des normes européennes ne sont pas spécifiques à la France. Il faut aller chercher un certain manque de productivité, dont les facteurs sont complexes, mais surtout l’importance des prélèvements fiscaux et sociaux. Et sur ces questions, hélas les mesures gouvernementales, pour autant qu’on les connaisse, ne vont pas dans la bonne direction.

Les impôts de production devaient être abaissés, et en particulier la CVAE dont l’extinction était prévue en 2027. Le gouvernement proposait de repousser à 2030 cette extinction, mais l’Assemblée a fait mieux encore, sous la pression de LFI : voter le rétablissement de la CVAE, ni plus ni moins ! Rappelons que l’écart avec l’Allemagne est d’environ 100 milliards à ce sujet. Ce qui n’empêche pas LFI d’estimer que supprimer la CVAE constitue un « cadeau » injustifié aux entreprises ! Par ailleurs il est aussi question d’augmenter le versement transport, autre impôt de production, hausse qui pourrait atteindre 1 milliard d’euros pour financer les transports en commun…

Le coût du travail fait l’objet de toutes les attentions actuellement avec les réflexions autour de la trappe à bas salaires et des réductions de cotisations patronales. Rappelons qu’actuellement les cotisations patronales sont supprimées au niveau du smic, et que les cotisations familiales sont réduites pour les salaires jusqu’à 3,5 smics ( le « bandeau famille ») et les cotisations maladie jusqu’à 2,5 smic ( le « bandeau maladie »). Le gouvernement escomptait lisser les exonérations sur les bas salaires par rapport aux réductions sur les salaires plus élevés, mais le Sénat a voté en faveur d’un maintien des réductions sur le smic (jusqu’à 1,6 smic), et en revanche d’un abaissement de 2,5 à 2,2 smics de la limite du bandeau maladie, et de 3,5 à 3,2 smics pour le bandeau famille.

Le résultat en serait une augmentations de 3 milliards d’euros des cotisations patronales, mesure qui bien entendu soulève les protestations des organisations patronales.

[ Encadré. Comparaison Allemagne/France des cotisations patronales.

La différence des cotisations patronales entre les deux pays est considérable suivant le niveau des salaires.Alors qu’au niveau du smic français le coût des charges employeur est de 4,2% du salaire brut en France et de 19% en Allemagne, au niveau d’un salaire brut de 50.000 euros, ce coût est de 42% en France et de 19% en Allemagne.

Cela tient à la fois à la politique de la France de réduction des charges sur les bas salaires dans une optique de lutte contre le chômage, et au modèle social très coûteux de la France qui contraint les charges à la hausse en même temps que les hauts salaires doivent compenser les pertes tenant aux exonérations sur les bas salaires. La France ne connaît pas de plafonnement des cotisations comme il en existe en Allemagne et dans la plupart des pays européens.

A salaire égal, il est exact, comme le dit le patron de Michelin (dont les salaires sont relativement élevés pour la France), que l’employeur français est extrêmement désavantagé par rapport à l’employeur allemand. Mais il faut noter quand même que l’employeur français pratique des salaires qui sont très inférieurs en moyenne à ceux en vigueur en Allemagne. Du coup ce sont les salariés français qui se trouvent désavantagés – conclusion qu’il faut encore nuancer dans la mesure où le salarié allemand paye nettement plus d’impôt sur le revenu que le français…Rien n’est simple.]

Conclusion.

Nous savons désormais que ce budget comme le gouvernement n’est plus d’actualité. Mais il semble que les pressions politiques sont telles que la politique de l’offre, mantra de l’ère macronienne, soit en voie de retournement au bénéfice du soutien du pouvoir d’achat à court terme des salariés, ce, du fait qu’il sera demandé d’importants sacrifices aux entreprises dans le cadre de la lutte contre le déficit. L’amélioration de la compétitivité de la France n’est pas au bout du tunnel, et le pays ne paraît pas prêt à sortir de son déni économique, ni de régler ses problèmes de déficits budgétaire et commercial et encore moins de dette. A quand le retour du bâton ?

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