Claude Sicard dans cet article tente d’analyser la stratégie qui sous-tend, implicitement, le programme économique de François Fillon : quels sont les objectifs de cette stratégie, et quel est l’élément-clé sur lequel le stratège parie pour en assurer le succès ?
François Fillon vient de sortir vainqueur, haut la main, de la primaire de la droite. Ce candidat à la prochaine élection présidentielle a affiché un programme libéral fondé sur l’entreprise privée. Ce programme qui résulte d’un long travail de réflexion vise à redresser la situation économique de la France et à permettre à notre pays de retrouver le plein emploi. Les mesures que ce candidat propose sont affichées très clairement, et chiffrées. Elles tiennent en trois points : restaurer la compétitivité des entreprises, renforcer le financement de l’économie, et simplifier le code du travail. François Fillon a pris le soin d’expliciter en détail son programme dans l’ouvrage qu’il a publié en 2015, qu’il a intitulé « Faire » » pour bien marquer sa ferme détermination à agir. Cet ouvrage a eu un immense succès. Ce candidat fait de l’emploi la clef du redressement de la France, nous disant dans un slogan affiché sur son site : « L’emploi est la mère de toutes les batailles ». Aussi envisage-t-il d’être en mesure de ramener le taux de chômage de notre pays à 5%, en cinq ans. Le programme de François Fillon pour redresser l’économie de notre pays est fondé implicitement, comme tout programme économique embrassant une longue période, sur une stratégie, une stratégie intuitive dans ce cas, comme c’est généralement le cas en matière d’élaboration d’une stratégie.
Il est donc intéressant de tenter d’analyser cette stratégie en utilisant les enseignements et les concepts que les chercheurs américains ont dégagés de leurs travaux de recherche sur les problèmes de stratégie d’entreprise. Ces recherches qui ont débuté vers la fin des années 1960 ont conduit à dégager des concepts spécifiques de stratégie, et à mettre au point différentes méthodes pour élaborer rationnellement, et non plus intuitivement, des stratégies que l’on voudrait gagnantes. On a abouti ainsi à différentes méthodes : celle très connue des matrices d’analyse stratégique du BCG, la méthode dite du « bonzaï technologique », la méthode de Harvard avec les apports précieux de Michael Porter, la méthode dite de « la force motrice », etc.
La notion-clé de « force motrice » dans l’élaboration d’une stratégie
La méthode qui nous paraît transposable au cas présent, s’agissant cette fois d’un État et non pas d’une entreprise, est la méthode de la « force motrice » qui a été proposée dans les années 1970 par deux chercheurs américains très connus : Benjamin Tregöe et John Zimmerman. Elle consiste à déceler avec la plus grande pertinence quelle est la force motrice qui anime une entreprise, et de bâtir ensuite la stratégie de développement de cette entreprise en se fondant sur cette force motrice. Si celle-ci ne convient pas dans la situation concurrentielle où se trouve l’entreprise, il faut en changer, et les auteurs de cette méthode ont élaboré un catalogue de 10 forces motrices différentes. Dans cette méthode, la force motrice est le principal déterminant des choix stratégiques : et elle est la source des avantages concurrentiels.
En examinant la stratégie dont le programme de François Fillon est l’expression on constate que la force motrice qui, par nature, sous-tend cette stratégie, n’a pas été identifiée, et c’est préjudiciable à la mise sur pied du programme présenté par ce candidat. La force motrice dont il s’agit, ici, est l’innovation.
Les objectifs des stratégies de Juppé et Fillon
Voyons, tout d’abord, le problème des objectifs, problème numéro un à traiter lorsque l’on entreprend d’élaborer une stratégie. François Fillon les énonce de la façon suivante : « faire de la France la première puissance économique européenne en l’espace de dix ans », et, simultanément, « arriver au plein emploi ». Son concurrent, Alain Juppé avait, lui, choisi un objectif différent : « Une France à l’identité heureuse ». Comme on le voit, l’objectif fixé par François Fillon s’est révélé bien plus concret et mobilisateur, que celui d’Alain Juppé qui a proposé un objectif quelque peu inconsistant, et les électeurs n’ont pas hésité à opter pour l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, qu’ils ont jugé être l’homme dont la France a besoin pour demain.
Quelle est la « force motrice » de la stratégie de François Fillon ?
Second point : la détermination de la « force motrice », et c’est l’identification de celle-ci qui a fait défaut dans l’élaboration de la stratégie de François Fillon. Pourquoi cette omission est-elle préjudiciable à la réussite du programme de redressement de la France proposé par ce candidat ? Parce qu’elle ne focalise pas les actions à mener sur ce qui va faire la réussite du programme. Et l’on note que François Fillon, d’ailleurs, ne nous dit pratiquement rien de la recherche-développement qui est la source dans toute société moderne de l’innovation et donc de la création de nouvelles entreprises. Car c’est précisément dans ce domaine que notre pays a le plus grand besoin de start-up qui, rapidement, créeront des emplois. L’Irdeme, Institut de recherche spécialisé dans les problèmes de démographie des entreprises, a parfaitement démontré que ce ne sont pas tant les entreprises existantes qui, réellement, dans un pays, créent des emplois, mais bien les entreprises nouvelles. Et il est important que ces créations se fassent dans le secteur industriel, car notre pays a vu fondre avec la mondialisation son secteur industriel du fait d’un manque de compétitivité de nos entreprises et des difficultés qu’ont eues beaucoup de nos entreprises industrielles à se battre sur les marchés étrangers. Notre secteur industriel ne représente plus aujourd’hui que 11% du PIB, alors qu’il s’agit de 24% en Allemagne, la moyenne des pays de l’OCDE se situant à environ 20%.
Quid donc, alors, de la R&D française ? Nous sommes, aujourd’hui, dans un monde plus que jamais engagé dans une course à l’innovation technique, et l’innovation est un des principaux ressorts de la croissance. Les deux grands puissances qui dominent aujourd’hui le monde, les États-Unis et la Chine, ont des budgets de R&D considérables : 397 milliards de dollars dans le cas des États-Unis et près de 300 milliards dans celui de la Chine, et ce pays accroît à très vive allure ses dépenses de R&D. Elles ont doublé entre 2008 et 2012, et ce pays a annoncé qu’il consacrerait à la recherche 2,5% de son PIB en 2020. En nombre de chercheurs, la Chine rivalise avec les États Unis : 1.489.000 chercheurs dans le cas de la Chine et 1.413.000 dans celui des États-Unis. La Chine est devenue innovatrice, et les offices de brevets nous indiquent qu’elle a effectué en 2012 un peu plus de un million de demandes de brevets, chiffre à comparer aux 578.802 demandes déposées par les États-Unis, et 325.989 par le Japon. En matière d’innovation la bataille va donc être très dure dans les années qui viennent, car les budgets de R&D des puissances européennes sont lilliputiens en comparaison de ceux des deux grands géants, sans compter dans cette bataille le Japon et la Corée du Sud.
Pourquoi faut-il miser sur un renforcement drastique des activités de R&D en France
La France, elle, a un budget de R&D qui se monte à 48 milliards d’euros seulement, soit 2,3% de son PIB. L’Allemagne, en est à 2,8% du PIB, avec des dépenses de R&D s’élevant à 79 milliards d’euros. Le Royaume-Uni est en retard, avec seulement 33 milliards de dollars, soit 1,7% de son PIB. En matière de brevets, les offices de dépôts de brevets indiquent que notre pays en est à un peu plus de 16.000 dépôts par an, et l’Allemagne à 60.000 environ.
L’urgence, on le voit bien, est donc à un accroissement considérable de nos budgets de R&D. Il faudrait se fixer de les porter à 4% du PIB, comme c’est le cas de la Finlande ou d’Israël. Quant au nombre des chercheurs, il faudrait pratiquement le doubler, pour passer de 259.000, chiffre actuel, à 400.000 environ, demain. Il va donc falloir consacrer chaque année environ 90 milliards d’euros à la R&D dans notre pays, et recruter environ 140.000 chercheurs, en les payant correctement, car beaucoup de jeunes doctorants émigrent actuellement aux États-Unis. Les 100 milliards d’euros d’économies dégagés par le plan Fillon sur les dépenses publiques seront très loin de suffire car dans le programme de François Fillon il s’agit de 100 milliards dégagés sur la période du quinquennat. Il faudra donc trouver d’autres sources de financements pour alléger les charges qui minent la compétitivité de nos entreprises. Et, par ailleurs, va-t-on être en mesure de recruter, rapidement, 140.000 chercheurs nouveaux ?
L’exemple d’Israël, une « start-up nation »
L’exemple d’Israël doit nous donner espoir qu’un programme fondamentalement centré sur le renforcement de la R&D pourrait porter à terme ses fruits, et il y a donc à s’inspirer au plus vite des dispositions qu’a prises ce petit pays de 7,8 millions d’habitants pour se situer aujourd’hui dans le peloton de tête des pays les plus innovants. Israël est souvent qualifié de « start-up nation ». Ce pays est leader mondial de la sécurité informatique, des drones, de l’imagerie médicale et de l’irrigation en goutte à goutte. Et c’est une terre d’accueil pour la R&D des grandes multinationales. En effet, 250 multinationales, pour les deux tiers américaines d’ailleurs, y ont à présent de très gros centres de recherche. Et l’on sait qu’Intel délocalise maintenant en Israël sa recherche française en s’installant à Haïfa.
La nécessité d’infléchir le programme de François Fillon en le centrant sur l’innovation
Il faudrait donc que François Fillon, candidat de la droite à l’élection présidentielle de 2017, puisse revoir son programme économique en le centrant bien davantage sur le développement de l’innovation dans notre pays. Dans une de ses publications, l’OCDE nous confirme bien dans cette orientation, disant : « L’innovation est un facteur déterminant de la croissance et des performances de l’économie mondialisée ».
Claude Sicard
Consultant international
Auteur de « Le Manager Stratège » et « L’audit de Stratégie » (Ed Dunod)