Parmi toutes les réformes réalisées par Christine Lagarde dans la loi de Modernisation de l’Économie du 4 août 2008, l’introduction, pilotée par Philippe Gravier, ESSEC, ENA, administrateur civil, dans le code fiscal des fonds de dotation est un peu une révolution dans le paysage philanthropique ; pour l’instant, elle est ce qui nous rapproche le plus du mécanisme des fondations américaines ; un rapprochement raté en 1967, 1985 et 2003.
Les fonds de dotation apportent en effet toutes les souplesses que permettent les associations mais avec, en plus, le droit de recevoir des dons lourds et des legs en exemption totale d’impôt.
Deux limites : l’exonération d’imposition des revenus du patrimoine disparaît si la dotation en capital est déclarée consomptible dans les statuts ; et surtout le fonds doit avoir des activités « kosher », entrant dans les limites fixées par l’article 200 du CGI.
La première restriction ne paraît pas être un obstacle considérable ; elle dit en effet que, dans le fonds de dotation, la dotation initiale ou les apports ultérieurs doivent rester dans le fonds et seuls leurs revenus peuvent être consommés. Être consomptible permet au contraire, comme une fondation américaine, de dépenser les dons reçus au fur et à mesure mais les revenus sont alors taxés ; aux USA, cette distinction n’existe pas pour bénéficier de l’avantage fiscal.
Il ne semble pas cependant que cet obstacle soit décisif car d’après une enquête menée par le cabinet Aklea pour l’année 2010, les deux tiers des fonds de dotation déjà constitués ont déclaré des statuts à capital consomptible.
La seconde restriction concerne les activités qui n’entreraient pas dans la liste des activités de l’article 200 du CGI. L’Administration fiscale peut rejeter la déductibilité du don si elle juge que l’activité du fonds ne rentre pas dans cette liste. Une certaine incertitude juridique existe sur les limites car peu de cas ont fait leur chemin jusqu’à la cassation qui est le Conseil d’État. C’est actuellement l’obstacle le plus important qui sépare encore la législation philanthropique française de celles des pays les plus avancés comme les USA.
On peut cependant douter que l’Administration s’oppose à des dons lourds, legs ou dons manuels importants, faits à des activités qui sont le cœur de la philanthropie comme des cliniques ou des universités. La pratique déjà acquise de grands dons à des fondations dans le domaine artistique devrait faciliter cette mutation profonde de la philanthropie qu’apportent les fonds de dotation.
Le signe encourageant qu’il s’agit bien d’une réforme majeure est que non seulement le nombre de fonds de dotation créés a dépassé le millier en mai 2012, en seulement 4 ans, alors qu’il n’y a qu’environ 600 fondations RUP (reconnues d’utilité publique) ; mais aussi les montants levés qui, depuis la loi de 2008, atteindraient le milliard d’euros alors que les fonds de l’ensemble des fondations françaises sont estimés à environ 14 milliards.
On a remarqué que beaucoup de ces fonds sont très petits, souvent quelques dizaines de milliers d’euros et que seule une poignée dépasseraient les 500.000 euros.
Mais c’est aussi une caractéristique des fondations américaines : la très grande majorité des fondations créées une année le sont avec des fonds inférieurs à 100.000 dollars. Il n’y a pas là de différence avec la création d’entreprises dont la plupart débutent aussi très petites ; car, après tout, une fondation est aussi une entreprise, une création qui délivre un service ; la seule différence est que ce service, qu’il soit éducatif, artistique ou de santé, est non lucratif.
Nous sommes encore très loin avec ce milliard des chiffres américains ou même britanniques, mais 2008 pourrait bien être l’année zéro du développement de la philanthropie en France.