La baisse des impôts de production pour les entreprises françaises est – enfin – programmée. Aussitôt des voix s’élèvent à gauche pour exiger des contreparties en échange de cette baisse. On avait déjà connu la même réaction à propos du CICE. Pas plus dans un cas que dans l’autre une telle réaction n’est pas justifiée : la baisse généralisée des impôts n’est pas un « don » ni une subvention.
On connaît les chiffres : 77 milliards payés par les entreprises chaque année, autant que la totalité payée par tous les pays européens, contre 10 milliards en Allemagne, 3,5% du PIB national, un long ensemble de taxes diverses dont la caractéristique, spécifique à la France, est d’obérer les coûts de production indépendamment de la rentabilité de l’entreprise. De plus, ces taxes ne se justifient pas par des contreparties apportées aux entreprises. Outre la CET, la C3S, la contribution foncière, sait-on par exemple que le versement mobilité (VM) (payé par les entreprises de plus de 11 salariés dans le ressort de régions couvertes par des autorités organisatrices de la mobilité, AOM) couvrent pour environ 9 milliards près de la moitié des ressources de ces autorités, ce qui est particulièrement vrai pour l’Ile de France avec un taux de 3% des salaires versés – ceci sans compter la prise en charge par les entreprises de 50% du coût de transport des salariés ? Un prélèvement qui, lui, est sans contrepartie. Ainsi, la patronne de l’ETI Thuasne rappelle que ses sites ne sont même pas desservis par les transports en commun !
1. Question naïve : Pourquoi faudrait-il imposer des contreparties à la suppression d’impôts qui ont toujours été qualifiés d’ « idiots », « punitifs » et « stupides » par les gouvernants successifs ?
Les appréciations en question sont signées François Mitterrand à propos de la taxe professionnelle (depuis remplacée par la contribution économique territoriale, CET), Jean Castex (à l’université du Medef 2020), ou encore Bruno Le Maire très récemment.
Le Medef met en avant, pour refuser l’imposition de contreparties, un argument que l’on se permettra de trouver faible : selon l’organisation, on ne pose pas de conditions pour lancer une bouée de sauvetage à « quelqu’un qui se noie ». Mais la suppression des impôts de production (partielle) n’est pas un « cadeau » aux entreprises, ni même une aide. Ce n’est pas parce que les entreprises risquent de se noyer qu’il faut baisser ces impôts -sinon comment expliquer que cette mesure sera pérenne et non limitée à la durée des effets de la Covid ? La disparition des impôts en cause s’impose parce qu’ils sont « idiots », donc malfaisants. Heureusement, Bruno Le Maire paraît l’avoir compris, même s’il s’explique de façon alambiquée en opposant « contreparties » et « conditions » : « Nous voulons des relocalisations industrielles en France, nous voulons de nouvelles lignes de production, que des nouvelles technologies à forte valeur ajoutée comme les batteries électriques soient produites en France et pas en Chine. Pour cela il ne faut pas se mettre des boulets aux pieds. Et les impôts de production sont des boulets aux pieds de l’industrie française depuis des années. » C’est possible de demander des contreparties, pas des conditions. Pour les impôts de production, nous sommes avec des impôts beaucoup plus élevés, donc on se contente de retirer « des boulets ».
Mais ce n’est pas le cas apparemment de la secrétaire d’Etat Agnès Pannier–Runacher qui fait fausse route en affirmant que « sur les impôts de production, vous avez effectivement une trajectoire qui est en train d’être discutée, qui doit être valorisée. Mais là aussi c’est du donnant-donnant. On ne va pas baisser les impôts de production sans contreparties. (…) Solidarité, ça veut dire que les entreprises, l’Etat et les collectivités locales doivent être capables de travailler main dans la main. Baisser les impôts pour baisser les impôts, ça n’a pas de sens. Baisser les impôts pour dire : ‘je suis capable de relocaliser des productions et donc ça va donner de l’argent supplémentaire aux collectivités locales sous d’autres formes’, alors ça commence à se regarder ». Mais si ! baisser les impôts pour les baisser, cela fait sens et ce n’est pas un « don » !
2. Un « cadeau » insuffisant et très relatif
Il s’agit pour les entreprises de retrouver une compétitivité qui leur fait défaut comme on le sait. La suppression des impôts de production constitue une condition nécessaire pour remettre les entreprises françaises à niveau.
Mais d’une part on reste très loin de remplir cette condition : on évoque un montant de 10 milliards en 2021 et autant en 2022. Mais il faudrait au moins 35 milliards pour atteindre ne serait-ce que la moyenne des pays européens, et près de 70 milliards pour atteindre le niveau de l’Allemagne… Sans compter que le « cadeau » final est bien plus faible, car en allégeant les impôts au niveau de la production, on augmente mécaniquement ceux qui seront payés au niveau des bénéfices… dont le taux reste en France encore supérieur à celui de bien d’autres pays concurrents.
3. Quelles contreparties exiger, et, à supposer qu’on puisse en trouver, quelle est la compétence de l’Etat, voire du Parlement, pour décider de ce que doivent faire les entreprises ?
Condition nécessaire pour que les entreprises retrouvent une compétitivité, la suppression des impôts de production n’est évidemment pas une condition suffisante pour assurer la prospérité de ces entreprises. Quels critères adopter pour déterminer quelles contreparties, telles l’obligation d’embaucher, celle de « relocaliser », l’augmentation des salaires, voire encore l’interdiction de licencier ? Chaque entreprise est un cas particulier. L’objectif est irréalisable, et ne peut conduire qu’à construire de nouvelles usines à gaz.
4. Enfin, à supposer qu’on puisse imaginer des contreparties, quelle est la compétence de l’Etat, voire du Parlement, pour décider de ce que doivent faire les entreprises ?
Comme très souvent en France, l’Etat chercherait à se mêler de la conduite des entreprises par des mesures imposées « top down » alors que les décisions ne peuvent être prises qu’au cas par cas au niveau de ces entreprises. On entend dire que l’exécutif proposerait au Parlement de légiférer sur le sujet. Cela promettrait de belles surenchères de propositions plus populistes les unes que les autres. La seule solution possible passe par le dialogue social au niveau de l’entreprise, et même pas au niveau de la branche, tant les décisions au niveau de cette dernière sont imposées par des syndicats qui ne laissent pas de liberté aux entreprises.
2 commentaires
chiche : descendre ces impôts au niveau de l’Allemagne
les baisser de près de 70 milliards pour atteindre le niveau de l’Allemagne… et plus que raboter la ponction sur les bénéfices qui sont de la valeur ajoutée qui n’a pas été assez « assaisonnée » par la TVA . . .
L’état va devoir se séparer d’un nombre conséquent de ses valeureux ponctionnaires que le monde entier nous envie ? (entre 600 et 700 000)
Pas de contreparties à la baisse des impôts de production !
De toute façon, vous allez effacer mon commentaire, vous l’avez déjà fait, vous continuerez de le faire.
Vous voulez supprimer les impôts de production, à commencer par l’URSSAF ? Budgétisez 240 K€, dressez par notaire les statuts de 2 sociétés au capital de 120 K€, à savoir, d’une part une société anonyme de droit luxembourgeois; d’autre part une SAS de droit français, ayant son siège sur un campus universitaire. Ceci fait, vous fusionnez les 2 sous la forme d’une société européenne. Vous avez l’extraterritorialité, exactement comme si vous étiez dans un paradis fiscal.