La tâche la plus difficile pour notre nouveau premier ministre va être de déterminer où faire des économies, et il va falloir qu’il en décide dans des délais extrêmement brefs. Certes, il ne va pas manquer de céder à la tentation d’augmenter certains impôts, et il le fera dans « un esprit de justice fiscale » ; mais il faudra bien qu’il procède à de sérieuses économies car nous sommes le dos au mur. On nous annonce que notre déficit en 2024 sera encore plus élevé que prévu : il faut donc que nous baissions nos dépenses pour cesser d’augmenter notre dette.
Celle-ci a fini par dépasser le montant du PIB, et elle nous coûte de plus en plus cher ; et la Commission européenne, à Bruxelles, a ouvert une procédure contre nous pour « déficit excessif ».
Il va donc falloir nous organiser pour en arriver à un déficit du budget national qui ne soit pas supérieur à 3 % du PIB en 2027 : nos partenaires européens exigent, en effet, que nous respections désormais les règles de fonctionnement de notre zone monétaire.
Nous devrons donc faire entre 80 et 100 milliards d’euros d’économies d’ici à fin 2027, mais pour l’instant personne ne sait d’où elles vont pouvoir provenir.
Nous allons voir qu’en procédant à des comparaisons internationales on peut se donner des lignes d’action pour agir.
Les dépenses publiques des pays européens
Les dépenses publiques varient beaucoup d’un pays à l’autre. On a les chiffres suivants, pour l’année 2023, selon l’INSEE :
Dépenses publiques
(En % du PIB)
Bulgarie | 39,8 % |
Roumanie | 40,2 % |
Pologne | 46,7 % |
Grèce | 50,5 % |
Espagne | 46,4 % |
France | 57,3 % |
Allemagne | 48,6 % |
Suède | 48,0 % |
Pays Bas | 43,5 % |
Danemark | 47,2 % |
UE | 49,4 % |
Le pourcentage français est exceptionnellement élevé : on est à 8 points de PIB au-dessus du niveau européen.
En France, les dépenses publiques sont essentiellement des dépenses relevant de l’État : on a la ventilation suivante :
Dépenses publiques (2023)
(milliards euros)
État…………………………..1.502 |
Collectivités territoriales……..234 |
——— |
1.736 |
Dans notre pays, les collectivités locales n’interviennent que pour 15 % seulement : dans les pays à structure fédérale les collectivités territoriales jouent un rôle beaucoup plus important que chez nous, et le suivi des dépenses publiques est ainsi mieux contrôlé par les citoyens. Une étude de l’IFRAP nous dit que la Suisse, qui est un État fédéral, a des dépenses publiques qui se limitent à seulement 37 % du PIB !
Et il faut raisonner en considérant qu’il y a deux grands types de dépenses publiques : des dépenses de fonctionnement et des dépenses sociales.
On a ainsi, pour 2023, la ventilation suivante :
France : dépenses publiques en 2023 |
(En milliards euros) |
– Les dépenses de fonctionnement………..…. 761 |
– Les dépenses sociales……………………… 975 |
______________ |
Total 1.736 |
Les dépenses de fonctionnement sont celles qui sont engagées chaque année par les États pour faire fonctionner la société selon la structure qui a été choisie collectivement par les citoyens. On a des États centralisés, comme la France, ou bien des États fédéraux comme l’Allemagne ou la Suisse.
Par ailleurs, selon les pays, le partage n’est pas le même entre le secteur public et le secteur privé, aussi bien dans l’enseignement que dans le système de santé.
Enfin, les dépenses militaires sont plus ou moins importantes selon les pays. Ces grands choix faits par les pays conduisent à des dépenses de fonctionnement qui sont très variables, et on est dans un domaine où les comparaisons internationales sont difficiles à interpréter.
Par contre, les comparaisons internationales sont plus significatives dans le domaine des dépenses sociales, qui, elles, sont discrétionnaires. En France on a affaire à un « État Providence », et elles sont donc particulièrement importantes. Ces dépenses ne relèvent pas de la structure des pays mais plutôt de la volonté des dirigeants, chaque pays apportant à ses citoyens des aides plus ou moins importantes selon la propension que l’État a à faire « du social ».
Les éclairages fournis par les comparaisons internationales
Nous allons donc examiner où nous en sommes pour ces deux grands types de dépenses, par rapport aux autres pays européens.
a) Les dépenses de fonctionnement
On a les chiffres suivants :
PIB/capita
(US$)
Dépenses de fonctionnement
(En % du PIB)
Bulgarie | 15.797 | 20,8 % |
Roumanie | 18.419 | 23,9 % |
Pologne | 22.112 | 20,6 % |
Grèce | 22.990 | 23,9 % |
Espagne | 32.577 | 18,8 % |
France | 44.460 | 23,9 % |
Allemagne | 52.745 | 18,0 % |
Suède | 56.305 | 20,5 % |
Pays Bas | 62.536 | 15,6 % |
Danemark | 67.967 | 17,6 % |
UE | 40.823 | 20,7 % |
On voit à l’examen de ce tableau que la France a des dépenses de fonctionnement extrêmement élevées : on en est à des taux qui sont ceux de la Grèce ou de la Roumanie, et ce ne sont pas en matière de gestion des références flatteuses.
Les Pays-Bas, eux, en sont à seulement 15,6 % du PIB, et le Danemark à 17,6 %. Si nous étions au taux européen, nous ne dépenserions que 627 milliards d’euros, ce qui signifierait que nos dépenses sont excessives de 134 milliards d’euros.
Pour procéder à un chiffrage plus précis, on doit procéder à une approche par l’économétrie. On s’en réfère alors aux dépenses calculées par habitant, et on corrèle ces données avec les PIB/capita des pays.
Le graphique ci-dessous illustre cette corrélation :
On voit que la France occupe une position particulière, se situant très au-dessus de la droite de corrélation. L’équation de cette droite indique que nous devrions en être à des dépenses de fonctionnement de seulement 8.485 dollars/habitant, alors qu’elles se montent à 10.647 dollars. Par cette méthode on aboutit à un excès de dépenses de fonctionnement de 147 milliards d’euros, chiffre légèrement plus élevé que le précédent
b) Les dépenses sociales :
La France, comme dans le cas précédent, se situe à nouveau à un niveau très élevé :
Dépenses sociales
(En % du PIB)
Bulgarie | 18,3 % |
Roumanie | 16,3 % |
Pologne | 22,5 % |
Grèce | 26,8 % |
Espagne | 27,6 % |
France | 33,4 % |
Allemagne | 30,6 % |
Suède | 27,4 % |
Pays Bas | 27,9 % |
Danemark | 29,4 % |
UE | 28,7 % |
Nous en sommes à 5 points de PIB au-dessus de la moyenne européenne : avec le taux européen nous en serions à 869 milliards d’euros, alors que nous nous situons à 1.012 milliards, soit un excès de 143 milliards d’euros.
En procédant, comme précédemment, à une approche par l’économétrie, on a la corrélation suivante :
Tous les pays se placent sensiblement sur le droite de corrélation, à l’exception de la France qui est très nettement au-dessus. L’équation de cette droite indique que nous devrions en être à 12.674 dollars par habitant, alors que nous en sommes à 14.882dollars, soit 17,4 % de trop. En 2022, cet excès de dépenses a représenté la somme de 150 milliards d’euros, ce qui recoupe le chiffre précédent.
Il s’est agi, par exemple en 2022, des dépenses suivantes :
Dépenses sociales
(milliards euros)
Vieillesse | 375,6 |
Santé | 317,7 |
Famille | 59,1 |
Emploi | 47,9 |
Pauvreté | 33,1 |
Logement | 15,6 |
——- | |
850,0 |
Les deux postes les plus importants, et de loin, sont la vieillesse et la santé.
Comment doser les économies ?
Comme nous venons de le voir, nous sommes en excédent de dépenses sur les deux types de dépenses :
Excédent de dépenses | |
(milliards euros) | |
Dépenses de fonctionnement | 147 |
Dépenses sociales | 150 |
———- | |
297 |
Nos excédents de dépenses sont donc considérables. Le déficit du budget de la nation va se monter nous dit Bercy à 6 % du PIB cette année, c’est-à-dire environ 182 milliards d’euros : si nous n’avions pas ces 297 milliards de dépenses excédentaires, notre budget accuserait un solde positif de 115 milliards.
Vue l’urgence dans laquelle se trouve le gouvernement de Michel Barnier, ce sont les économies sur les dépenses sociales qui peuvent fournir les résultats les plus rapides. Les dépenses de fonctionnement sont plus rigides : elles demandent des délais beaucoup plus longs pour être corrigées, car il faut procéder à des licenciements ou attendre les départs à la retraite et réorganiser les services.
On pourrait donc, pour les 80 milliards d’euros à économiser d’ici à 2027, adopter la répartition suivante :
Economies à réaliser d’ici à 2027
(milliards euros)
Dépenses de fonctionnement | 25 |
Dépenses sociales | 55 |
____ | |
80 |
Il s’agirait donc de réduire de 3,3 % les dépenses de fonctionnement, et de 5,6% les dépenses sociales. Ce devrait être pour les Français des efforts tout à fait acceptables, d’autant que dans le domaine des dépenses sociales il y a, selon beaucoup d’experts, des fraudes considérables. Certains ont avancé le chiffre de 40 milliards d’euros, et une étude de l’Université anglaise de Portsmouth nous indique que dans ce type d’organisme les fraudes peuvent même aller jusqu’à 10 % !
Le problème, pour notre premier ministre, va être de savoir s’il va lui être possible de faire admettre qu’il faille faire 55 milliards d’économies sur nos dépenses sociales, un secteur extrêmement sensible au plan politique.
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Très intéressante analyse par comparaison avec d’autres pays « proches ». 2% d’amélioration de la productivité, taux annuel normal en entreprises, ferait 761*0,02 = 15 milliards par an ! C’est l’axe le plus légitime… à condition de trouver des directeurs capables de vouloir améliorer la productivité et diminuer leurs effectifs…
L’envers de la fraude sociale santé ce sont les professionnels de santé qui la gagnent … et qui ne se mobiliseront pas pour la réduire.
Des privatisations et de la concurrence, avec de la décentralisation, seront nécessaires.