Page d'accueil Regards sur l'actualité Notre premier ministre aux prises avec le mythe de Sisyphe

Notre premier ministre aux prises avec le mythe de Sisyphe

par Claude Sicard
265 vues

On se souvient de ce personnage de la mythologie grecque qui avait été condamné par les dieux à monter un rocher au haut d’une montagne, et il n’y parvenait pas car sitôt arrivé près du sommet ce rocher roulait à nouveau jusqu’en bas. Et Camus en avait fait le titre d’un de ses ouvrages, un des plus fameux d’ailleurs, où il développait sa philosophie de l’absurde. Le mythe de Sisyphe symbolise un travail ardu, inutile car sans espoir.

La tâche qui attend notre nouveau premier ministre est de cette nature. Michel Barnier n’a pas encore formé son gouvernement que déjà beaucoup de députés annoncent qu’ils vont combattre ce qu’il va proposer : il va se heurter, en permanence, aux blocages des parlementaires, notre Assemblée nationale s’étant mise à fonctionner d’une manière absurde.  Cela signifie que Michel Barnier devra se limiter à relever les deux défis essentiels qui sont devant lui : 1/, fixer la voie à suivre pour en arriver à 3 % de déficit seulement, d’ici à 2027, et 2/, lancer un plan décennal de réindustrialisation de la France. Son gouvernement va avoir une durée de vie très courte, une dizaine de mois sans doute, car il y aura vraisemblablement une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2025. S’attaquer à d’autres problèmes : les retraites, le logement, l’école, la santé, le renforcement de notre législation sur l’immigration, etc…serait vain. Cela attendra : les blocages, on le sait, seront systématiques pour contrer ce qu’il veut faire.

1 – L’ objectif d’un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2027

    La Commission Économique, à Bruxelles, vient d’ouvrir une procédure contre 7 États membres pour «  déficit excessif », et notre pays est de ceux-là. Le Pacte de Stabilité et de Croissance de la zone euro exige que les États membres veillent à avoir un déficit public en permanence inférieur à 3% du PIB, et une dette se maintenant en dessous de la barre de 60 % de celui-ci.

    La France est un pays qui pour faire fonctionner son économie s’endette chaque année : le budget de la nation depuis une cinquantaine d’années est régulièrement en déficit, et la dette du pays n’a donc pas cessé de croître, comme l’indique le tableau ci-dessous :

    Dette de la France
    (En % du PIB)
    1974…………..20 %
    2000……………60%
    2016…………..96%
    2024…………111%

    Et chacun de nos Présidents y a eu sa part :

    Accroissement de la dette
    (En milliards d’euros)
    Jacques Chirac……… ….323
    Nicolas Sarkozy…… ….635
    François Hollande… … 397
    Emmanuel  Macron .. .…940

    Cette dette nous coûte de plus en plus cher, et elle est en passe de devenir le premier poste du budget.

    Quant au déficit, il a tendance à s’aggraver : on nous annonce, maintenant, 5,6 % en 2024 au lieu de 5,1 % prévu, et 6,2 % en 2025, et même 6,7% en 2026 !

    La Commission de Bruxelles nous donne jusqu’à fin 2027 pour mettre nos comptes  en ordre, sans quoi elle nous appliquera les sanctions prévues au traité de Maastrich : une amende de 0,5 % du PIB, chaque année. Emmanuel Macron avait qualifié ces règles d’ « obsolètes », mais il n’a pas été suivi pour les modifier.

    Michel Barnier va donc devoir tracer le cheminement à suivre pour en arriver à 3 % de déficit en 2027, et cela va nécessiter pour le moins 80 milliards d’euros d’économies. Augmenter encore un peu plus  les recettes fiscales est exclu, car nous sommes déjà le pays, en Europe, où les prélèvements obligatoires sont  les plus élevés : 51,5  % du PIB , alors que la moyenne  européenne se situe à 41,1 %, soit 10 points de moins. Et déterminer d’où vont provenir les économies sera extrêmement difficile : on doit s’attendre, là, à des débats interminables et houleux.

    2 – Un plan de 10 ans pour redresser l’ économie française :

    Nous sommes arrivés au bout du processus infernal d’endettement pour faire fonctionner le pays, et il va donc falloir lancer un plan pour redresser notre économie : c’est, là, pour Michel Barnier, le second défi à relever.

    Notre économie est atone, très peu  dynamique. C’est ce qu’a montré une étude des Nations Unies, publiée en  2018, qui avait pour objet de faire ressortir  ce que sont les tendances de fond d’évolution des économies des différents pays, dans le monde. Notre PIB/tête, dans la période 1980-2021, a été multiplié seulement par 3,4, alors que dans le cas de l’Allemagne le multiplicateur a été de 4,2, et que dans celui de la Suisse ou du Danemark, il s’est agi de 4,9. Depuis des années, on sent bien que le mécontentement croit. Il y a eu la révolte de « gilets jaunes » en 2018, puis celle des agriculteurs en 2024. Les Français se battent, en effet, pour  sauvegarder leur niveau de vie, et il s’est opéré un décrochage entre le niveau de vie de la population et la capacité de l’économie à répondre à ses besoins.  Avec les données que nous fournit l’INSEE sur les niveaux de vie en Europe on peut calculer l’écart existant en France entre le niveau de vie des habitants et le niveau de richesse du pays, qui est exprimé par un indicateur très simple : le PIB/tête. Par une approche économétrique, cet écart  se chiffre à 17,6 % : nous distribuons un niveau de vie supérieur de 17,6 % à ce que permet le niveau de richesse du pays, et cet écart est financé par le recours à l’endettement1, chaque année. On comprend enfin pourquoi on s’endette, chaque année. On se souvient que Raymond Barre, en 1974, avait tiré la sonnette d’alarme : il avait déclaré  en présentant son plan d’action aux  Français (le Plan Barre) : « La France vit au-dessus de ses moyens : il faut que nous remettions l’économie française en ordre ». Et Thierry Breton, en 2005, quand il avait été ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement Raffarin, avait fait de même, en rajoutant : « La croissance passe par le fait de travailler plus, et plus longtemps ».

    Il va  donc s’agir de réindustrialiser le pays à un rythme accéléré, car c’est le  déclin de notre secteur industriel qui explique l’atonie de notre économie. Nous sommes le pays d’Europe qui est le plus désindustrialisé, aujourd’hui, la Grèce exceptée, et notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB, alors qu’il s’agit de 23 % ou 24 % en Allemagne ou en Suisse : il va falloir remonter à 16% ou 17 % la participation de l’industrie à la formation du PIB.. Nous  avons chiffré, dans d’autres articles, qu’il va s’agir de créer environ 800 000 emplois nouveaux dans l’industrie, c’est-à-dire 80 000 emplois  industriels par an s’il s’agissait d’un plan décennal. Et pour y parvenir, il nous faudra le concours des firmes étrangères, car les entreprises françaises, à elles seules, n’y suffiront pas.

    Il faut donc lancer un vaste plan de  réindustrialisation du pays, qui compléterait et élargirait le plan « France 2030 » d’Emmanuel Macron. Vue la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui notre pays, il faudra des mesures importantes de soutien à l’investissement pour compenser la fiscalité très lourde qui est la nôtre, les réglementations pointilleuses existantes, un droit  du travail particulièrement rigide, et les freins à l’industrialisation mis par les écologistes pour préserver la nature. Nous avons chiffré à 150 milliards d’euros le plan de soutien qu’il serait nécessaire de mettre en place, en s’inspirant de ce qui se fait aux États-Unis. Donc, pour notre premier ministre, un combat à mener pour trouver le moyen de financer un tel plan, ce qui va être extrêmement difficile.

    Ce sont là les deux défis à relever par Michel Barnier, notre nouveau premier ministre. Il faudra qu’il ne défasse surtout pas ce qui a été fait par Emmanuel Macron pour rendre notre pays attractif pour les investisseurs étrangers car nous avons un besoin vital de ce que les économistes appellent des IDE (Investissements directs étrangers). Et il n’aura donc pas la possibilité  d’augmenter les crédits pour les hôpitaux, les écoles, la police ou la gendarmerie. Il lui faudra convaincre les députés  que l’amélioration de l’efficacité des services publics est une affaire qui  ne relève pas, à présent, de l’augmentation des crédits, mais de l’accroissement du temps de travail dans les services publics, ainsi que de leur productivité.

    1. Le PIB étant la somme des consommations finales + les dépenses publiques (au coût des facteurs), il suffit que les dépenses publiques augmentent de 2 % environ pour faire apparaître une « croissance » du PIB de 1 % laquelle en France est financée à date par la dette ! Notre croissance est en fait une illusion. ↩︎

    Tu pourrais aussi aimer

    1 commenter

    moulin septembre 23, 2024 - 2:17 pm

    Comme la croissance par habitant est quasi nulle depuis 2008, tout le monde est gêné dans son budget. Les politiques ont choisi de distribuer de l’argent emprunté. Actuellement, 9 € par jour et par habitant. Cela ne peut plus durer, il faut investir pour créer de vrais emplois compétitifs : 120 k€ par emploi en moyenne plus la formation compensatrice de tout ce qui n’a pas été appris à l’école . Consommer nettement moins et travailler bcp plus.

    Répondre

    Laissez un commentaire

    Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d’accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus

    Privacy & Cookies Policy