Tous les candidats à l’élection présidentielle ont inscrit à leur programme le problème de la réindustrialisation du pays : il était temps ! Ce n’est en effet qu’avec la crise du Covid-19 que nos gouvernants ont découvert que notre pays était très fortement désindustrialisé, et ils ont pu en mesurer ainsi les graves inconvénients. Il a fallu importer pour plus de 6 milliards € de masques de protection et nos salles de réanimation dans les hôpitaux ont manqué de respirateurs artificiels, car les fabricants étrangers complètement débordés ne pouvaient pas nous approvisionner : l’Allemagne en compte deux, et la Suisse un qui est très réputé, mais la France, aucun. Et la population a appris avec stupeur que 90 % de nos médicaments étaient produits en Chine ou en Inde, d’où une très grande dépendance de l’étranger en cette matière. Certains économistes, certes, avaient depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme, tout particulièrement Elie Cohen et Christian Saint-Etienne, mais ils n’ont pas été entendus.
La nécessité de réindustrialiser le pays est ainsi apparue comme une évidence, et les pouvoirs publics se sont donc attelés à la tâche. Mais les dispositions envisagées pour redresser la situation sont très loin, comme nous allons le voir, de ce qu’il conviendrait de faire : le gouvernement actuel, pas plus d’ailleurs qu’aucun des candidats à la présidentielle, ne parait mesurer vraiment l’effort qu’il va falloir demander à la nation pour reconstituer notre tissu industriel. C’est pourtant bien là, la voie par laquelle passe le redressement de notre pays : ce n’est, en effet, qu’en réindustrialisant la France que l’économie française pourra retrouver progressivement tous ses grands équilibres.
1. Pourquoi notre industrie a-t-elle si fortement décliné ?
On doit s’interroger tout d’abord pour savoir pourquoi la France s’est si fortement désindustrialisée. Cela tient à deux raisons :
a- La perte de notre empire colonial : très longtemps nos industriels ont bénéficié de ces marchés protégés que constituait notre vaste empire colonial, et lorsque la mondialisation s’est mise en place, la plupart d’entre eux n’étaient pas préparés à lutter dans ce cadre nouveau : manque de compétitivité des entreprises qui s’étaient quelque peu endormies faute de concurrents, et manque d’expérience à l’international y compris une totale méconnaissance des langues étrangères, dont l’anglais, chez nos chefs d’entreprise.
b- La théorie dite « des trois secteurs de l’économie » de Jean Fourastié, selon laquelle une société dans son évolution passe obligatoirement du secteur primaire, l’agriculture, au secteur secondaire, l’industrie, puis ensuite, du secteur secondaire au secteur tertiaire, les activités de service, en sorte qu’une société moderne ne serait plus constituée que par des activités de service.
Le manque d’expérience de nos chefs d’entreprise à l’international et le manque de compétitivité de nos entreprises industrielles sont les causes qui ont fait décliner assez rapidement notre secteur industriel lorsque la France a perdu son empire colonial et qu’elle est entrée dans la mondialisation. Les pouvoirs publics ne s’en sont guère alarmés, car nos élites avaient toutes été formées à la même école, celle de Jean Fourastié qui avait publié, en 1952, cet ouvrage remarquable qui marqua très fortement les esprits : « Le grand espoir du xx siècle ». Il faut se souvenir que Jean Fourastié a enseigné à Sciences-Po de 1947 à sa retraite en 1978, ainsi qu’à l’ ENA, en sorte que nos dirigeants, après la fin des trente glorieuses, se sont tous trouvés être des personnes qui avaient été ses élèves. De surcroit, cet économiste a été éditorialiste au Figaro pendant une vingtaine d’années.
Sa théorie sur l’évolution des trois secteurs de l’économie a donc beaucoup marqué les esprits de nos responsables politiques, et nos dirigeants n’ont donc pu que se réjouir du déclin de notre industrie, voyant là, le signe manifeste de la modernisation à vive allure du pays. Il leur a paru naturel que notre société devienne une société «post-industrielle », sans plus d’industrie. Et l’ on a estimé qu’il allait y avoir tout naturellement, dans le monde, un partage des rôles : aux pays en voie de développement les tâches fastidieuses et salissantes de l’industrie avec la main d’œuvre disciplinée et bon marché qui est la leur, et aux pays développés les tâches nobles consistant à faire avancer la science : on a même qualifié ces sociétés modernes de « sociétés du savoir et de l’intelligence ». Ce que l’on peut reprocher à Fourastié c’est d’avoir raisonné en termes d’effectifs sans se préoccuper de la valeur ajoutée des secteurs de l’économie : dans une économie moderne les emplois industriels, en effet, déclinent, mais la valeur ajoutée par emploi augmente considérablement. Quant à la répartition des tâches dans le monde, on s’est complètement trompé : on a totalement sous-estimé cette capacité extraordinaire qu’ont eue la Chine et l’Inde de se développer et d’accéder à toutes les technologies modernes : on en était encore, il est vrai, à la suprématie de l’homme blanc dans le monde.
On rajoute généralement à ces causes, le fait que les Français n’aiment pas l’industrie, et c’est ainsi que dans l’histoire de notre pays on a vu Colbert créer le « colbertisme », une doctrine d’intervention de l’ Etat dans l’économie destinée à pallier les insuffisances du secteur privé, doctrine qui s’est traduite par la création de grandes manufactures publiques afin de rattraper notre retard sur nos voisins. A cette époque, il s’agissait des Anglais, les inventeurs de l’ industrie, qui avaient pris une grande avance sur nous.
Il y a également une autre raison, celle-là fiscale : la désastreuse fiscalité française sur les successions. Elle explique que nous ayons relativement peu d’ETI aujourd’hui, des entreprises de taille intermédiaire. Les héritiers d’un industriel, en France, se trouvent contraints très souvent de passer la main, à la différence de ce que l’on constate en Allemagne ou en Italie, où les entreprises familiales sont bien plus nombreuses, avec les vertus que l’on reconnait à présent à ce type de sociétés. Les entreprises familiales développent dans le long terme des stratégies plus vertueuses que les grands groupes qui sont des sociétés anonymes, visant bien plus que ces derniers à assurer leur pérennité plutôt que de dégager trimestre après trimestre des profits substantiels.
2. Le rôle de l’industrie dans l’économie
L’industrie joue un rôle-clé dans l’économie des pays, intervenant de manières très diverses.
Tout d’abord, c’est le secteur d’activité où la productivité augmente le plus rapidement, et Jean Fourastié avait précisément pris ce critère pour établir son classement des activités en trois secteurs :
– Secteur primaire : l’Agriculture où le progrès technique est moyen (PTM) ;
– Secteur secondaire : l’Industrie, où le progrès technique est élevé (HPT) ;
– Secteur tertiaire : les Services, où le progrès technique est faible (PTF).
Second intérêt : les économistes considèrent qu’un emploi créé dans l’industrie induit la création de 3 emplois dans le secteur des services : transports, bureaux d’études, maintenance, gardiennage, commerces, etc.
Troisième intérêt : la génération de devises par les exportations. Elle est indispensable à tout pays pour pouvoir payer ses importations. Et l’on constate que les exportations des pays développés sont constituées à 70 % ou 75 % par des biens manufacturés. C’est, précisément, parce que son secteur industriel a failli que la France a une balance commerciale chaque année déficitaire, et ce depuis maintenant une vingtaine d’années. Une société constituée uniquement d’activités tertiaires, et cela a échappé, semble-t-il à Jean Fourastié, exporte très peu, et cela conduit à des balances commerciales déséquilibrées. En effet lorsqu’une entreprise du secteur tertiaire s’internationalise elle le fait d’un manière « multi-locale », c’est-à-dire en créant des activités, chaque fois, sur place dans les pays où elle agit. C’est le cas des firmes œuvrant dans la restauration collective, dans la location de voitures, dans la maintenance industrielle, dans les loisirs, dans le domaine de la santé, etc.
Quatrième raison : les entreprises ont besoin de faire de la R&D pour se doter d’avantages compétitifs, et pour ce faire il faut qu’elles aient une certaine dimension. C’est ainsi que naissent en permanence de nouveaux produits et que les anciens sont améliorés. La Recherche publique, dans les pays, est en charge de la recherche fondamentale, et ce sont les entreprises qui font de la recherche appliquée, celle qui a des effets directs sur l’activité économique des pays.
3. Le rôle de l’industrie dans la création de richesse
L’impact des activités industrielles sur la création de richesse dans un pays se démontre aisément par une approche économétrique toute simple où l’on prend en abscisses comme variable explicative la production industrielle des pays (calculée par habitant), et en ordonnées les PIB/tête de ces pays. La corrélation est illustrée par le graphique ci-dessous, et l’on voit que le coefficient de confiance de la corrélation est particulièrement élevé.
Sur ce graphique la France se trouve sensiblement au-dessus de la droite de régression du fait qu’elle a un secteur tertiaire très fort, marqué notamment par des activités touristiques particulièrement importantes (140 milliards d’euros en 2019). On voit que la France est très fortement pénalisée par son faible ratio de production industrielle.
L‘Institut des Libertés, de son côté, dans une étude récente sur le cas de la Suisse, a montré le rôle moteur que joue l’industrie dans l’économie de ce pays, et nous reproduisons ci-dessous le graphique mettant en évidence ce phénomène :
4. Les effets économiques désastreux de la désindustrialisation du pays
Curieusement les économistes n’ont pas joué leur rôle d’éclaireurs auprès des pouvoirs publics, pour les tirer de leur indifférence face à la désindustrialisation du pays. On a donc manqué de voir que la France était entraînée dans un cercle vicieux, un cercle infernal créé par la désindustrialisation du pays. Il eut été pourtant facile de soupçonner qu’il y avait des relations de cause à effet entre les variables suivantes :
– D’un côté, les ratios les plus élevés de tous les pays développés en matière de chômage, de prélèvements obligatoires, de dépenses sociales, et d’endettement du pays ;
– De l’autre, un secteur industriel qui est devenu rapidement le plus réduit de tous les pays européens (la Grèce mise à part), en proportion du PIB du pays.
L’explication logique que l’on peut voir entre ces différents paramètres est ainsi la suivante :
– Le déclin de l’industrie a amené un appauvrissement constant de la population ( comme le montre le graphique ci-dessus) ;
– Il s’en est suivi un accroissement régulier des dépenses sociales de l’Etat pour compenser l’appauvrissement de la population, des dépenses sociales sous différentes formes. Celles -ci représentent ainsi, à présent, 70 % des dépenses publiques, et se situent à un niveau n’existant nulle part ailleurs.
– Les dépenses publiques s’accroissant régulièrement du fait des dépenses sociales, il s’en est suivi une augmentation régulière des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire de la fiscalité (particuliers et entreprises), et la France est devenue ainsi le pays où ils sont les plus élevés. Et la forte taxation des entreprises a réduit leur compétitivité.
– Et les prélèvements obligatoires se révélant toujours insuffisants, un recours chaque année à de l’endettement.
On en est ainsi arrivés à avoir :
– Les dépenses sociales les plus fortes (en pour cent du PIB) de tous les pays de l’ OCDE ;
-Les prélèvements obligatoires les plus élevés de tous les pays de l’ OCDE ;
-Un endettement extérieur extrêmement élevé, dépassant de très loin la barre des 60 % du
PIB qui était fixée par le traité de Maëstricht.
Conclusion ; il s’agit d’un cercle vicieux, et cela ne peut pas durer indéfiniment. Il faut donc s’attaquer au problème de la désindustrialisation du pays qui est la cause de tous les maux. En redressant notre secteur industriel, l’économie retrouvera automatiquement tous ses grands équilibres.
5. Comment réindustrialiser la France
La France a perdu énormément d’emplois dans le secteur industriel : on en est actuellement à 2,7 millions d’emplois seulement. L’objectif visé serait de remonter le secteur industriel à au moins 18 % du PIB, ce qui porterait ses effectifs, selon les ratios dont on dispose et qui sont ceux d’avant la troisième révolution industrielle (la révolution numérique) à 4,5 millions de personnes, soit 1,8 million de plus qu’actuellement. L’Allemagne, rappelons-le, en est à 6,2 millions de personnes dans les entreprises de plus de 20 personnes. On notera que si un emploi industriel induit au moins 2 emplois dans les services, il n’y aura plus alors de chômage en France, en fin de plan : au contraire, même, une pénurie de main d’œuvre, tout particulièrement de main d’œuvre compétente.
Première considération : la réindustrialisation du pays doit se faire essentiellement à partir de technologies nouvelles, et non pas en rapatriant des fabrications relevant de technologies anciennes.
Deuxième considération : rien, vue l’urgence qu’il y a à reconstituer notre tissu industriel, ne pourra se faire sans une intervention de l’ Etat, notamment sans des aides financières importantes ;
Troisième considération : Il va falloir s’affranchir des contraintes de Bruxelles en faisant valoir à nos partenaires de l’ UE que nous sommes dans une situation d’urgence, notre pays étant sinistré : ils devront accepter cette thèse sans quoi nous devrions quitter l’ Europe.
Quatrième considération : il va falloir innover au plan social et fiscal, et ne pas chercher à simplement procéder à des modifications à la marge : et c’est là que se trouve la difficulté majeure pour nos gouvernants. On doit craindre qu’il ne soit pas possible de procéder, dans notre pays, aux réformes nécessaires, et il en résulterait alors que le pays continuerait à décliner.
Les principales mesures à prendre seraient les suivantes :
+- Aide financière de l’Etat+
Cette aide se justifierait, officiellement, par le fait qu’il faut compenser les écarts de salaire considérables existant aujourd’hui entre la France et les pays de l’Europe de l’Est, sans quoi nos entrepreneurs seraient tentés d’aller y localiser leurs nouvelles usines.
Le tableau suivant donne la mesure des écarts existant en Europe, entre les pays de l’UE :
France | 36,5 |
Allemagne | 35,0 |
Hongrie | 9,90 |
Pologne | 9,90 |
Roumanie | 6,50 |
Bulgarie | 5,30 |
En euros, par heure – Source Statista pour 2018 |
Les écarts de salaires existant entre notre pays et les pays de l’Europe orientale seraient donc l’argument à faire valoir auprès des autorités de Bruxelles. Il pourrait s’agir, par emploi créé, de 20.000 € pendant les 5 premières années, et 10.000 les 5 années suivantes. Cette aide financière permettrait, incidemment, aux entreprises de beaucoup mieux rémunérer leur personnel, car il va falloir inciter les personnes à venir travailler dans l’industrie, en drainant les meilleurs éléments. On sait qu’actuellement les entreprises ont beaucoup de mal en France à pourvoir les emplois disponibles, et que l’on butte, dans l’industrie, pour trouver du personnel compétent.
La compensation pleine pour les écarts de salaires existant entre notre pays et les pays de l’est de l’ Europe serait de l’ordre d’une vingtaine d’euros de l’heure, soit pour une année pleine la somme d’ un peu plus de 36.000 euros. Nous proposons donc des compensations d’un montant moindre et limitées dans le temps, mais néanmoins très substantielles.
En fait, on l’a bien compris, il s’agirait d‘inciter fortement les entreprises à investir et d’être extrêmement attractives pour les investisseurs étrangers. L’aide ainsi fournie par l’Etat représenterait 150.000 euros par emploi créé, ce qui constitue un montant très significatif par rapport à ce qu’est, aujourd’hui, l’intensité capitalistique dans le secteur industriel où la numérisation triomphe de plus en plus. Les firmes étrangères seront tout particulièrement sensibles à cette incitation à investir en France car nulle part ailleurs il n’existe une telle aide à l’investissement. Il faut en effet être conscient que la reconstitution de notre secteur industriel en 10 ans ne pourra pas se faire sans un apport massif d’investissements étrangers, et les IDE afflueront ainsi, inévitablement.
+- Un code du travail spécifique au secteur industriel ?+
Une autre mesure à envisager consisterait à créer un code du travail spécifique au secteur industriel. Il y a bien une cinquantaine de régimes spéciaux dans le domaine des retraites, car chaque profession a ses particularités : pourquoi donc, en matière de droit du travail, n’y aurait- il pas un régime spécial, dans cette période où l’on se trouve en état d’urgence, pour le secteur de l’industrie ? On pourrait adopter le code du travail de la Suisse pour ce secteur d’activité qui est à redresser, en faisant valoir que ce pays est celui qui a la production industrielle par habitant la plus importante de tous les pays européens, et qu’il en résulte un PIB par tête qui est le plus élevé d’ Europe !
6. Le coût de ce programme
L’objectif visé serait, selon les ratios actuels, la création de 1,8 million d’emplois, soit 180.000 par an pour un plan qui se déroulerait sur 10 ans. C’est un objectif extrêmement ambitieux. Le coût de ce plan s’élèverait ainsi à 270 milliards d’euros, sur 20 ans, soit un rythme de dépenses pour l’ Etat de douze à quinze milliards d’euros par an, ce qui serait tout à fait supportable.
En fait, avec la révolution numérique il devrait s’agir d’un effectif moindre, peut être un million d’emplois nouveaux seulement. Quoi qu’il en soit, il faut rappeler qu’il ne s‘agirait pas moins que de remettre la France sur pied, en dix ans, ce qui est une période extrêmement courte, et cela mérite bien un effort financier de cette importance pour la collectivité.
Ce n’est là, qu’une première esquisse pour ce qui est des mesures à prendre pour redresser la situation de la France. Bien d’autres mesures, certes de moindre importance, seraient nécessaires pour compléter ce plan, notamment pour alléger bon nombre de règlementations qui paralysent par trop les industriels dans leur action, et on sait qu’elles sont nombreuses.
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il s’en faut de décénnies pour recréer une industrie prospère et certainement pas un claquement de doigt
idem pour l’innovation : un claquement de doigt ?
Au fond personne ne commence par « purger l’administration » la pléthore de fonctionnaires tue à petit feu la France (combien de petits copains-coquins ?)
un exemple Mairie de Paris :
– sous Chirac-Tiberi 23000 fonctionnaires. (une douzaine d’emplois fictifs?)
– avec Delanoë-Hidalgo 65000 fonctionnaires = plusieurs milliers d’emplois inutiles.
et tout à l’avenant.
Sans le nerf de la guerre il sera impossible de réindustrialiser quoique ce soi.
rappel : 1 million de ponx en trop c’est chaque année une énorme somme pour alimenter le gouffre de la dette.
nb votre serviteur, 35 ans d’industrie manufacturière