On a beaucoup entendu parler du « grand emprunt », lancé en 2010 à l’instigation d’une commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard. En une période de crise où l’on a tendance à rogner sur les investissements, il s’agissait de les pérenniser et les sanctuariser dans une logique extrabudgétaire, ceci bien sûr afin de relancer la croissance française. Quatre ans après, il ne fait aucun doute qu’il s’agissait surtout d’une opération de com, permettant de continuer à dépenser l’argent public en toute tranquillité.
Une certaine naïveté
En remarque préliminaire, il convient tout d’abord de rappeler une certaine naïveté de ce programme qui prétend relancer la croissance avec un montant en réalité minuscule si on le remet en perspective : à l’époque, 35 milliards d’euros d’investissements financés par l’emprunt, à décaisser sur environ une décennie, soit chaque année en moyenne 3,5 milliards d’euros, ou encore moins de 0,2% du PIB. Aujourd’hui, soit quatre ans après, seuls 9 milliards d’euros ont été effectivement décaissés pour les différents projets.
On peut ensuite s’interroger sur le caractère d’ « avenir » de ces investissements. Sur les 35 milliards d’euros décidés au départ, seuls 6,5 milliards au total sont destinés aux filières industrielles et aux PME, le reste étant consacré à l’enseignement supérieur et la formation (11 milliards alors que la dépense publique afférente est déjà de près de 40 milliards chaque année) à la recherche (7 milliards), au développement durable (5 milliards, alors même qu’il subsiste de gros doutes sur la rentabilité de ces énergies) et au numérique (4,5 milliards).
Afin de ne pas être en reste par rapport au gouvernement de droite précédent, le gouvernement socialiste a décidé un « plan d’investissement d’avenir 2 » (le PIA2 après le PIA1) mais qui laisse tout autant dubitatif que le premier : dotés de 12 milliards d’euros à l’horizon 2025, soit 1,2 milliard par an en moyenne, il a par ailleurs une dimension clairement écologique. La moitié des projets seraient ainsi soumis à des critères « d’éco-conditionnalité », et l’endettement public supplémentaire sera également d’environ la moitié du total.
Une mise en œuvre bureaucratique
En ce qui concerne les quelques milliards dévolus aux filières industrielles, il convient ensuite d’examiner dans quelles conditions ils sont attribués : dans une interview de la semaine dernière[[http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/11/24/20002-20141124ARTFIG00005-schweitzer-piocher-dans-les-investissements-d-avenir-c-etait-irresistible-pour-l-etat.php]], Louis Schweitzer, nouveau commissaire à l’investissement, indiquait qu’il se passe parfois dix-huit mois entre un appel d’offres pour un « projet d’excellence » et le moment où le contrat est effectivement passé. Une attente si longue est énorme pour une petite entreprise, surtout lorsque l’on prétend encourager l’ « innovation », marché où le retard pris par rapport à un concurrent est souvent irrattrapable. Comme le dit lui-même le commissaire à l’investissement, ce délai devrait être réduit à trois mois maximum…
Un piochage invétéré dans la cagnotte
Depuis 2011, ce sont déjà plus de 3 milliards d’euros qui ont été piochés par Bercy pour faire face à des « impasses budgétaires » et ses services prévoient à nouveau de le faire pour le budget 2015. Ce qui transparaissait déjà en filigrane – à savoir que les investissements d’avenir sont en fait de la dépense publique comme les autres – devient donc dans ce cas précis tout à fait évident. Autre exemple de vases communicants, Najat Vallaud-Belkacem a indiqué vouloir débloquer 600 millions d’euros, dont notamment grâce aux investissements d’avenir, pour stimuler l’investissement privé dans les zones urbaines sensibles, où le niveau d’emploi est de 18 points plus faibles qu’ailleurs. Ceci revient donc à transformer une politique nationale pour l’innovation et la recherche en une opération de lutte contre les inégalités géographiques. Ceci n’est pas une mauvaise chose en soi –peut-être la première politique intelligente contre les inégalités – mais montre bien une nouvelle fois la versatilité des objectifs affichés par le gouvernement.